Le premier homme

Intercesseur : Vve camus
A toi qui ne pourra jamais lire ce livre*

Ce dernier livre d’Albert Camus a été retrouvé inachevé dans les débris de la voiture où il a trouvé la mort en 1960. Trente ans plus tard, sa fille s’est décidée à publier cette ébauche et comme elle a bien fait.

Tout commence par une nuit pluvieuse de 1913, un bébé nait dans une campagne reculée quelque part en Algérie. Quarante ans plus tard, Jacques Cormery se rend  pour la première fois sur la tombe de son père mort en 1914 et dont il ne connait à peu près rien. Il pensait être indifférent et le faire uniquement pour complaire à sa mère, mais devant la tombe il a une sorte de révélation, être le fils d’un homme tellement plus jeune que lui, fait soudain exister à ses yeux l’épaisseur de silence qui les sépare. A cet instant commence une quête un peu vague, un peu floue, une quête du père, de souvenirs, de racines, d’explications tout simplement…
Ce roman est une petite merveille d’emotions. J’ai lu souvent que la lanque n’en était pas parfaite, non corrigée, rédigée au fil de la plume. Cela m’a fait un peu le même effet que d’apprendre que Stendahl avait rédigé sa chartreuse en six semaines,  car enfin quoi, j’ai passé mon temps à en recopier des citations tellement ces phrases sonnent claires et justes, résumant en quelques formules concises, des idées lumineuses sur la famille, le souvenir, l’Algérie, le silence, toujours le silence entre les gens, entre proches. Ce silence épais tissé par l’ignorance et la misère autour de l’histoire de sa famille.
Certains moments m’ont plus particulièrement touchée, ainsi quand ce fils devenu homme revient questionner sa mère sur le père qu’il n’a pas connu comprend qu’elle est incapable de faire remonter les souvenirs qu’il demande : “Elle disait oui, c’était peut être non, il fallait remonter dans le temps à travers une mémoire enténèbrée, rien n’était sûr. la mémoire des pauvres est déjà moins nourrie que celles des riches, elle a moins de repère dans l’espace puisqu’ils quittent rarement le lieu où ils vivent, moins de repères aussi dans le temps d’une vie uniforme et grise”.
Cette sensation d’être “sans passé, sans morale, sans leçon, sans religion” est profondément liée à son Algérie natale, mais aussi à la pauvreté, à l’ignorance qui pèse comme un carcan, à la condition de ces populations déplacées, étrangères partout car sans famille ni histoire, tant d’autres thèmes qui s’entrecroisent autour de cet enfant solitaire, de ce premier homme. Impressionant !

Le premier homme – Albert Camus (vers 1960) – Gallimard 1994

PS : un grand merci à Lou qui m’a donné envie de lire Camus, perdu de vue depuis mon adolescence, m’a conseillé ce premier homme et qui a écrit de biens beaux billets sur Camus ici et et et encore

PPS : Le beau billet de Gaëlle sur Camus

*La mère de Camus qui l’a élevé avec sa grand-mère et son oncle lui même sourd et quasi muet, était illettrée, sourde et avait des difficultés d’élocution à la suite d’une maladie contractée dans son enfance.
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