En 1852, le chef de guerre Hadji Mourat, lieutenant le plus redouté du chef de la résistance Tchétchène à l’annexion russe du Caucase, passe soudain dans le camp du Tsar. Vraie réddition, changement d’allégeance, effet délétère d’une vendetta jamais réglée avec l’Iman Chamil ? Les autorités russes s’interrogent, tergiversent… Comment traiter cet homme rigide et vertueux sur qui ils ne savent comment assurer leur prise ?
Tolstoï peint, autour de ce simple changement de camp, une impressionnante évocation d’un conflit qui brasse dans ses tourments des populations aussi différentes que possible, du simple paysan russe enrôlé pour 25 ans jusqu’au Tsar de toutes les Russies, le désolant Nicolas 1er, en passant par de jeunes nobles désargentés en quête d’aventures, de simples cultivateurs tchétchènes avides de tranquillité, des courtisans prêts à tous pour plaire ou des religieux fanatisés. Pendant huit ans, L’écrivain devenu ascète ne cessera de revenir à ce court roman qui au-delà de ses qualités littéraires – le style de Tolstoï est d’une limpidité qui touche au sublime selon moi – esquisse une image saisissante des origines de l’antagonisme russo-tchétchène autant qu’une critique sans concessions de la cruauté et de l’hypocrisie des pouvoirs* – car ici le Tsar et l’Iman sont renvoyés dos à dos, seuls personnages foncièrement négatifs d’un récit qui stigmatise essentiellement l’aveuglement de ses acteurs.
L’écrivain se met d’ailleurs lui-même en scène dans le personnage du jeune Butler, officier réfugié dans le Caucase pour éviter de se ruiner définitivement au jeu et trouver un sens à sa vie. Pages cruelles que Tolstoï vieillissant et pacifiste se sert à lui-même, quand son avatar se sent apaisé et heureux simplement d’être en vie au retour d’un coup de main sur un village tchétchène, laissant derrière lui loin de ses yeux et de sa pensée, des maisons en feu, des animaux massacrés, des vergers rasés et les humains attardés, morts. Hadji Mourat clôt en quelque sorte la boucle ouverte avec les Cosaques en 1863, un des premiers romans de l’auteur qui mettait en scène – mais de façon plus intimiste – ses jeunes années d’officier égaré dans le Caucase.
Ce beau récit, évocateur en diable et très documenté, rappelle d’une certaine façon la Guerre et la Paix mais en version épurée et concentrée dans cette langue précise et puissante mais lumineuse qui est la marque du maître. Epique.
Hadji Mourat – 1912 – Leon Tolstoï – traduit du russe par Jean Fontenoy et Brice Parain – Folio classique 2004
PS : La plupart des personnages de ce roman sont historiques, ce qui m’a valu une bonne plongée dans wiki et consort : la guerre du Caucase est un vaste sujet encore plutôt brulant aujourd’hui.
PPS : Hadji Mourat, le roman ou la longue nouvelle à votre convenance, sera non seulement publié après la mort de Tolstoï (selon ses désirs) mais en version expurgée en Russie (mais pas dans le reste de l’Europe) des passages touchants à la personnalité du Tsar Nicolas 1er.
Jamais lu, me plairait bien un jour.
Le Papou
excellente idée 🙂
Il me tente, pour l’aspect historique.
C’est fort intéressant en plus d’être très beau à lire 🙂
cela donne un certain éclairage sur la situation actuelle, sur une partie au moins des racines de cette guerre qui n’en finit pas.
Très juste 🙂 Tolstoï se place d’une manière très moderne en dehors du conflit et en montre tous les aspects en finalement très peu de pages… excellent vraiment, merci de ma l’avoir conseillé 🙂
alors là, tu donnes sacrément envie. Epique ? J’aime !
Tolstoï quoi 🙂 j’espère que tu apprécieras autant que moi Théoma 🙂
Tu me donnes envie de me plonger de nouveau dans Tolstoï ! En plus, je n’ai pas encore lu ce titre…
Tolstoï est un écrivain extraordinnaire 🙂