À l’orée du XXe siècle, trois générations de femmes de la bonne bourgeoisie parisienne se succèdent dans le dévouement qu’exige leur éducation “royaliste et catholique”. Valentine, l’aïeule, est fiancée sans que l’on s’enquiert de ses sentiments, ses fiançailles rompues puis renouées toujours sans son avis. Du moins la constance du promis – Jules – méritait-elle son intérêt voire – à l’avenir – son affection…
“En une année, celle de ses vingt ans, elle fut fiancée officiellement, mariée religieusement, installée bourgeoisement, ardemment fécondée et douloureusement accouchée : la vie de Valentine commençait à être ce qu’elle devait être.”
Car tel est le destin des femmes de cette famille – de ces familles – enfanter et enfanter encore pour la gloire de Dieu, de la patrie et de la famille – dans cet ordre – avec tout ce que cela suppose de dévotion, de dévouement, d’oubli de soi et de douleur aussi, celle des pertes inévitables qui ne peuvent manquer de marquer profondément ces destins entièrement enroulés autour du noyau familial. Valentine, Mathilde, Gabrielle…
“C’était un bourgeonnement incessant et satisfait. Un élan vital (qu’ils avaient canalisé), un instinct pur (dont ils ne voulaient pas entendre parler), une évidence (que jamais ils ne bousculaient), les poussaient les uns après les autres, à rougir, s’épouser, enfanter, mourir. (…) Car les épouses étaient toutes accaparées par cette tâche : procréer. Et Dieu qui les guidait, à qui chaque soir elles offraient leur journée, ce Dieu-là se chargeait de bénir leur couche, et de pardonner aux époux la douceur des caresses en soufflant autour d’eux des petits enfants. Ainsi les couples étaient féconds, comme si la terre avait été si belle qu’il fallait enfanter des êtres capables de s’en émerveiller. Ou si cruelle qu’il fallait apprendre à compter, parmi ceux qui naissaient, lesquels survivraient.”
Ce court récit d’une élégance folle réussit à être à la fois un vibrant hommage à ces femmes – ces épouses et mères plutôt – profondément impuissantes mais étonnamment dignes et un réquisitoire impitoyable contre leur condition, contre cette vie bourgeoise étouffante, sclérosante, sans perspectives ni même velléités d’épanouissement. Servi par une écriture ciselée, c’est un roman beau, cruel, affuté comme un rasoir, touchant d’une certaine manière mais profondément perturbant. On le lit d’une traite, fascinée et on le referme en souhaitant du fond du cœur : Plus jamais ça !
L’élégance des veuves – Alice Ferney – Actes sud – 1995
avais adoré ! Il m’avait aussi toute retourneboulée ;_)
bizzzzz
C’est une histoire tourneboulante, voilà 🙂
Je ne l’ai pas lu ; je me demande ce que va donner la libre adaptation qui sort aujourd’hui “Eternité”.
J’irai la voir c’est certain 🙂
Cela a-t-il vraiment changé ?
(mon optimisme invertébré est incurable)
Et bien peut être pas pour tout le monde mais j’espère pour le plus grand nombre 🙂 (mon optimisme à moi résiste encore et toujours 😉 )
Encore une auteure que j’ai devoir découvrir un jour ou l’autre.
Bah j’en ai des listes comme ça 🙂 tout vient à point… 🙂
Ohlala, il a tout pour me plaire !
Alors lance-toi 🙂
Ca m’intéresse ton point de vue car je sors sceptique de l’écoute du livre audio. Je n’ai pas compris si c’était un hommage ou si c’était un hommage à la soumission des femmes (la mari m’a été très antipathique).
J’ai vu ça comme une dénonciation pure et dure d’une époque et d’un milieu… quel mari, celui de Mathilde ? ma foi, il n’était sans doute pas pire (et même probablement du point de vue de sa femme meilleur) que beaucoup d’autres… C’était un système et une mentalité… qui fait froid dans le dos aujourd’hui 🙂
Oh si quand-même Henri est d’un égoïsme sidérant (je trouve).
Pas pour moi, j’en ai bien peur.
Le Papou
Bah il y en a plein d’autres à lire 🙂
C’est intéressant de lire ton avis car je n’ai pas du tout ressenti de “rébellion” dans les mots d’Alice Ferney. Au contraire, j’avais plutôt l’impression qu’elle regrette cette époque et qu’elle trouvait belle cette résignation et impuissance de ces femmes. Sa posture me semblait très nostalgique.
Je comprends que ça ne t’ait pas plu du coup pour moi c’est une dénonciation claire et nette… le sort de – zut j’ai oublié son nom – de la jeune femme qui préfère mourir que dire à son mari ce que tout le monde lui répète qu’elle doit arrêter d’avoir des enfants est une indication claire de sa position il me semble… et il y en a d’autres 🙂