Tout Beyrouthin d’un certain âge a appris qu’en sortant de chez lui pour une promenade il n’est jamais certain qu’il rentrera à la maison, non seulement parce que quelque chose peut lui arriver personnellement mais parce qu’il est possible que sa maison ait cessé d’exister
Aaliyah a soixante douze ans, les cheveux bleus et toute une vie de papier derrière elle. Chaque année cette solitaire par choix, choisit un roman qu’elle apprécie et le traduit en arabe avant de le ranger soigneusement dans un carton et de passer à un autre. Elle s’est donnée des règles, a développé des rituels et ainsi sa vie se passe, plus ou moins confortable en fonction du baromètre, des voisins ou des guerres, dans l’étourdissante virtuosité des mots, des idées, des vies de papier qu’elle traduit sans fin et qui deviennent un peu les siennes, quelque part au coeur de ce Beyrouth qu’elle aime et qu’elle n’a jamais quitté…
La littérature m’apporte la vie, et la vie me tue.
Il est bien difficile de résister à Aaliyah, son humour, son esprit, son amour des livres – j’ai noté des pages de titres, ses amitiés de papier – ses auteurs favoris s’invitent sans façon au détour de chaque page – sa timidité maladive, son manque de sociabilité, sa fermeté adamantine quand il s’agit de protéger son quant-à-soi. Elle sonne juste Aaliyah, on la croit, on l’accompagne dans ses souvenirs, son enfance un peu cabossée, son mariage désastreux à seize ans, son indépendance soigneusement préservée, sa vie de lectrice boulimique. On a l’impression de la connaitre, on aimerait l’avoir rencontrée. Un plaisir de chaque page, un hymne à la magie du verbe, à recommander absolument. Réjouissant !
Les vies de papiers – Rabih Alameddine – traduit de l’anglais par Nicolas Richard – Les Escales 2016
L’avis de Cuné qui m’a donné envie


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