Corder le bois

Ces trois derniers jours, j’ai cordé du

bois. Le bois du verglas. Pensé à mon père.

Qui me l’a montré. On ne fait pas ça

n’importe comment. On fait adonner les

noeuds et la taille et le beau côté que la scie

a fait. Et si un morceau n’est pas à sa place,

on le met ailleurs. C’est du temps: corder.

Des jours et des heures à se voir agir

comme qui mettrait du temps dans l’espace

où c’était prévu par petits morceaux. Des

heures… des jours le même silence et les

mêmes gestes cent fois répétés et repris

encore pour corder en soi un peu du décor.

Mais je suis content, j’ai cordé dix cordes:

du frêne, du pin, du saule et de l’orme, du

faux peuplier, du bouleau, du cèdre, mais

pas de sapin, pas gros d’épinette; le grand

sécateur les a épargnés.

Ma corde finie, je l’ai enlignée, l’oeil

assez heureux. J’entendais mon

père: «T’auras gardé ça. C’est toujours

autant…»

Et moi lui répondre: «Oh c’est

important! Bien plus important que vous

pourriez croire. Le bois bien cordé, il sèche

plus vite, et ça paraît mieux! Ça résiste au

vent!»

J’ai gardé tout ça et plus en mémoire,

comme on plie au fond d’une vieille

armoire les plus beaux habits.

Je l’ouvre souvent.

 

Gilles Vigneault – L’armoire des jours – 1998

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