Au commencement était le domaine de Tearsham, son parc, ses arbres, ses étendues herbeuses, ses terres, son imposante maison XVIIIe où vivait depuis toujours la famille Orme assistée d’une armée de domestiques. Peu à peu la ville se rapprocha, les arbres se raréfièrent, un observatoire fut installé sur le toit, les terres furent vendues et un jour la maison elle-même, devenue le manoir de l’observatoire et désormais cernée par la route, fut morcelée en vingt-quatre appartements, ilot préservé mais de plus en plus délabré au centre d’un maelstrom vrombissant et meurtrier. Le jour où l’arrivée d’un nouveau résident fut annoncé dans le Hall par voie d’affiche, ils n’étaient plus que sept à vivre dans la vieille maison. Sept âmes solitaires, terrifiées à l’idée d’être un jour le dernier résident de la vieille bâtisse lépreuse ; ce qui n’était certes pas suffisant pour qu’ils acceptent de gaité de cœur un changement aussi péniblement inattendu qu’un nouvel arrivant : il ne pouvait tout simplement être question que l’intrus s’installe, quitte à tout mettre en oeuvre pour le convaincre de partir, et de partir vite. Mais évidemment rien ne se passa comme prévu !
Quel étrange livre, tout d’abord on se dit que les personnages sont assez remarquables dans leur repoussante excentricité pour en être les moteurs, manies étranges, bizarreries en tout genre, physique improbable, relations barrées, temps suspendu (mais quel temps d’ailleurs ?) il y a là abondance de matière. Puis peu à peu, la maison s’impose avec ses craquements, ses secrets, ses souterrains, ses pourritures et l’on se dit qu’il s’agit plutôt de l’histoire d’une maison, ou bien d’une famille et que les deux se confondent, ou encore de l’histoire d’un homme et d’un double ou enfin d’une histoire de solitudes hantées qui se croisent et se superposent sans jamais se soulager ou, finalement et plus probablement, de tout cela à la fois et certainement plus encore. Edouard Carey signe ici un roman multiforme et fascinant, à la construction et au style totalement décalés, une marmite bouillonnante d’inventivité où chaque remous révèle une nouvelle facette de l’étrange où les frontières entre fantasmes et souvenirs, cauchemars et réalité se dissolvent dans l’improbable. Ébouriffant ! Admirable !
L’Observatoire – Edouard Carey – 2000 – Libretto 2012 – traduit de l’anglais par Muriel Goldrajch
PS : La collection de Francis Orme mérite vraiment le détour. Pour ceux qui ont lu la chose, j’ai lu intégralement le catalogue… ce type (je parle de l’auteur) est complètement barré, voilà c’est dit !
PPS : La vision du père de Francis comptant les arbres de sa fenêtre et en trouvant de moins en moins à mesure que la ville rampait vers la maison, me hante toujours comme un certain nombre d’autres visions sorties de ces pages et qui renouent avec la traditionnelle opposition du début du XXe siècle anglais entre nature et industrie, verdure et décadence.
PPPS : Je pourrais multiplier les post-scriptum pour ce roman complètement fou mais serait-ce raisonnable ? Je me contenterais de remercier la divine Isil qui me l’a offert pour mon anniversaire, que son nom scintille à jamais au royaume des étoiles (oups c’est déjà fait, merci Tolkien).
Lu dans le cadre de l’extravagant mois anglais des fantasques Titine, Lou et Cryssilda



22 réponses à L’Observatoire