Mémoires d’Hadrien

hadrien« Les dieux n’étant plus et le Christ n’étant pas encore, il y a eu, de Cicéron à Marc Aurèle, un moment unique où l’homme seul a été. »
Flaubert

Au IIe siècle de notre ère dans une longue lettre à son petit-fils adoptif et successeur putatif, Marc-Aurèle, Hadrien, empereur vieillissant se confie sur sa vie et ses œuvres, ses désirs et ses volontés, ses goûts artistiques, ses réflexions philosophiques, ses réussites, ses échecs…

Ces mémoires, rédigées à la première personne donc – et ce n’est pas rien d’attirer si bien le lecteur dans l’esprit d’un homme qui vécut il y a presque deux millénaires, se structurent en périodes. Le premier chapitre – animula, vagula, blandula – campe le personnage, ses valeurs et ses convictions, les suivants retracent sa trajectoire :  sa jeunesse jusqu’à la mort de Trajan son père adoptif – Varius multiplex multiformis, ses premières années d’empereur pacifiste et épris d’ordre – Tellus stabilita, l’apogée de son existence et sa passion pour Antinoüs – Sæculum aureum et enfin les dernières années de sa vie Patientia, qui voient l’empereur, physiquement diminué, s’interroger sur la mort, la sienne et celle des autres, mais aussi plus généralement sur l’impermanence de toutes choses.

Comme toujours au moment d’écrire sur un classique, je me demande en toute honnêteté qu’écrire qui ne l’ait pas déjà été, et beaucoup mieux, sur ce roman considéré assez universellement comme un chef d’œuvre et inscrit sur la liste des 100 meilleurs livres de tous les temps*. Et comme toujours également, je me dis que le seul point de vue adoptable est celui de l’expérience de la lecture. Car j’avais déjà lu ce roman, il y a trente ans je pense, et à l’époque il ne m’avait pas laissé de souvenirs durables. Oh j’avais aimé mais comme un roman historique. Ce qu’il est sans aucun doute – l’érudition de Marguerite Yourcenar scintille à chaque page mais tellement intégrée et je dirais digérée qu’elle ne semble jamais pesante. Je l’avais aimé donc mais comme tant d’autres et oublié. J’ai toujours aimé l’histoire avec passion sinon avec sagesse et dévoré des quintaux de romans historiques de toute qualité. Mais en limitant ma lecture à cet aspect, j’étais passé à côté de ce livre – question d’âge, de période, d’expérience, de vitesse peut-être car j’en étais encore à mes périodes insatiables et ogresques de lectures dévorées toutes crues et à toute allure (mais je me suis calmée, si si je l’atteste, lecteur de peu de foi, je lis moins et moins vite) car s’il est bien plus qu’un roman historique, il se déguste lentement, se relit par morceaux, se médite, oblige à l’interruption par surcharge cognitive, au retour en arrière pour la musique des mots. Méditation philosophique et esthétique sur la solitude de l’esprit humain en quête de sens – en cette période où Flaubert l’envisageait libre car dégagé de tout dieu, réflexion humaniste sur les appétences humaines à l’ordre ou au chaos, au bonheur ou à la liberté, analyse lucide des traces que tout homme espère laisser sur l’onde des temps, ode à la tolérance et la paix – si ardemment souhaitées si rarement accomplies, exploration désenchantée des rapports de l’esprit et du corps, celui-ci servant celui-là avant de l’asservir par ses fêlures et ses usures. J’en oublie sans doute, tant ce roman est riche et dense, superbement écrit aux limites du roman classique et de la poésie pure.  Sublime !

Mémoires d’Hadrien – Marguerite Yourcenar – 1951 – Plon

*Celle du cercle norvégien du livre composée à partir des propositions de 100 écrivains de 54 pays différents

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