Retour au pays bien aimé

retourà la mort de sa mère, Georges, jeune trentenaire suisse plutôt aisé, décide de retourner dans le veld sud-africain où il est né mais dont il ne garde que de vagues souvenirs. Son idée, revoir la ferme de ses grand-parents et peut être la vendre. Encore faudrait-il la retrouver car le pays de ses souvenirs a disparu, il ne reste que des ruines, des terres à l’abandon, quelques fermes déshéritées où survivent une poignée d’afrikaners déclassés, appauvris, isolés qui lui offrent l’hospitalité mais le considèrent avec méfiance. Sous le ciel immense et plombé du Veld, l’exil peut prendre bien des visages mais permet-il le retour ?

Dans Retour au pays bien aimé, tout – histoire, personnages, panorama – semble  s’étioler sous le poids d’un ciel pesant qui bien loin d’ouvrir l’espace ou de symboliser la liberté, pèse sur le paysage et enferme les hommes d’une façon quasi carcérale. Juste hors de vue, rôde la peur, celle d’un danger jamais nommé dont on ne sait ce qu’il est ni s’il existe réellement. D’une certaine façon, l’exil géographique de Georges, tout nourri des souvenirs de ses parents plus que des siens, semble peu de chose par rapport à celui que vivent ceux qui sont restés, exilés de leur propre vie, vivant des souvenirs d’un passé à jamais révolu englouti dans des événements dont on ne saura jamais exactement ce qu’ils furent. Jeunes et vieux, tous vivent de et dans cette perte,  projetant sur le revenant souvenirs, fantasmes d’évasions ou de changements mais sans jamais vraiment s’intéresser à ce qui peut se passer ailleurs, le regard de chacun semblant tourné vers l’intérieur, incapable de voir plus loin, autrement, autre choses.

Après quelques  recherches, j’ignore toujours si l’auteur avait en tête des événements précis pour ceux jamais nommés qui sont au centre de cette histoire – et qui auraient eu lieu dans les années quarante si on se réfère à la date de publication du livre mais l’histoire de l’Afrique du Sud est complexe et les bouleversements n’y manquent pas. En situant son roman hors du temps, l’auteur en fait un récit universel tissé de peur et de colère qui dérange et perturbe avec une puissance peu commune. Une roman fort qui se lit en apnée, se termine hors souffle, et laisse derrière lui bien des sujets de méditations. Puissant.

Retour au pays bien aimé – Karel Schoeman – 1972 – Traduit de l’afrikaans par Pierre-Marie Finkelstein – 2006 – Phébus

Lire-le-monde-300x413Lu dans le cadre du projet Lire le monde de Yspadadden – Les avis de Keisha ,   Brize et  Fanja

PS : Karel Schoeman est un auteur qu’on se réjouit de rencontrer, j’ai déjà un autre de ses titres en vue…

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Le Monde du fleuve

éternitéL’aube fut et l’humanité se réveilla d’entre les morts. Des milliards d’hommes, de femmes, d’enfants provenant de tous les continents et de toutes les époques ouvrirent les yeux près du grand fleuve, nus, jeunes, vigoureux et totalement perdus. Que s’était-il passé ? Qui les avait mis là et pourquoi ? Mystère. En attendant, ils avaient un monde à leur disposition…

Avec un tel sujet, on attendrait un roman philosophique, peut être ésotérique, post-humaniste avant la lettre pour le moins. Et on aurait tort car c’est essentiellement d’un roman d’aventures qu’il s’agit et mieux d’un roman d’aventures exotiques façon XIXe victorien dans la grande tradition des Ridder Haggard et consort. Jusque là tout va bien, j’ai un faible pour les romans du XIXe et le coté aventureux est fort enlevé, mon seul bémol est qu’il partage également les fantasmes et conceptions psycho-anthropologiques du XIXe victorien, sur les femmes notamment, ce qui m’a amenée plus souvent qu’à mon tour à lever les yeux au ciel. (Et même là, il me semble que Ridder Haggard en son temps reculé avait moins de mal à camper des personnages féminins d’envergure). Certes le fait d’avoir choisi comme héros principal de ce tome, un explorateur anglais et néanmoins fascinant du XIXe siècle – le très célèbre et très controversé Richard Francis Burton qui faillit bien en son temps être le premier à trouver les sources du Nil – pourrait y être pour quelque chose. Admettons et disons que le premier tome du fleuve de l’éternité est un bon roman d’aventures coloniales victorien, revenant sur les thèmes de prédilection de l’auteur, immortalité et religion notamment, un peu lent à l’allumage peut-être mais pêchu par la suite, avec un soupçon de SF pour faire passer et tenir en haleine. So seventy.

Le monde du fleuve – Le fleuve éternité 1 – Philip Jose Farmer – 1971 – Traduit de l’anglais (États-Unis) par Guy Abadia – Robert Laffont 1979

L’avis de Lou qui me semble assez enthousiaste

PS : De PJF, je ne connaissais jusque là que les nouvelles du Livre d’or de la Science Fiction que j’avais beaucoup aimés.

PPS : L’auteur se met lui-même en scène sous les traits d’un personnage du XXe siècle aux même initiales, grand admirateur de Richard Burton… et c’est plutôt réussi, avec le soupçon d’autodérision qui va bien.

Lu dans le cadre du défi Diversité de Lhisbei (dont WP me refuse d’insérer le logo aujourd’hui), premier tome d’une série jamais lue et post humanisme mais mon score n’augmente pas, j’avais déjà topé ces items donc 11/20 toujours

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Aïvali, une histoire entre Grèce et Turquie

AIVALI-coverChaque peuple a son ennemi, un ennemi mortel. S’il n’en a pas, eh bien il doit s’en trouver un. Un ennemi qu’il faut montrer du doigt, dénoncer dans les livres d’école. Car il ne s’agirait pas qu’en grandissant les enfants comprennent enfin que d’autre que lui sont responsables de ce qui va de travers dans leur vie.

1923, le traité de Lausanne redéfinit les frontières de l’ex empire ottoman et d’un trait de plume signe ce qu’on appellera l’échange ou la grande catastrophe. Un million et demi de Grecs d’Asie mineure et cinq cent mille Turcs essentiellement crétois devront quitter les terres où ils sont nés pour rallier celles du pays d’en face, qu’ils ne connaissent pas mais dont ils partagent, plus ou moins, la langue et la religion… mais dans quelles conditions ! Soloup, puisant tant dans l’histoire de ses grand-parents que dans les récits d’autres témoins des deux origines, choisit la ville d’Aïvali comme épicentre pour évoquer ces sanglants évènements à travers quatre portraits croisés  car les maisons d’Aïvali vidées manu militari de leurs habitants hellènes serviront d’abris aux réfugiés turcs venant de Grèce.

Elles ont deux vies ces maisons : une grecque et une turque. Mais si les maisons pouvaient parler, elles ne parleraient ni des Grecs ni des Turcs, mais de la souffrance des hommes.

J’attendais énormément de cette bd, on m’en avais dit tant de bien, cela me touchait de si près, du coup j’ai tourné autour un moment, hésitant de peur d’être déçue et puis finalement j’ai tenté et ce fut aussi bien que tout ce qu’on m’en avait dit. Aïvali est un merveilleux roman graphique. Par sa largeur de vue, son humanité sans angélisme, la poésie de son écriture, la sobriété élégante de son dessin qui alterne beauté paisible et terreur pure façon Munch, Soloup réussit le pari d’éclairer un épisode extrêmement complexe en restant au plus près des hommes et des femmes qui furent pris dans une tourmente qu’il ne pouvait que subir, ces réfugiés d’autrefois poussés sur des routes inconnues tout comme ceux d’aujourd’hui, qui eux aussi viennent de ses régions que le démantèlement de l’empire ottoman livra à toutes les convoitises. Dans la dernière partie du roman, Soloup se met en scène en miroir a Aïvali, ville de ses grand-parents, discutant avec Memet, un turc dont la grand-mère venait de Crète, et tous deux se reconnaissent comme les bâtards du traité de Lausanne portant une histoire inextricable qui exige d’eux qu’ils soient ennemis… mais au nom de quoi ? Dame Cryssilda et moi sommes nous aussi des petits-enfants de ce fameux traité et de l’échange qui suivit, c’est même ainsi que nous avons eu l’idée de cette année grecque mais tout ce qui concernait cette période était flou dans mon esprit, nourri uniquement de légende familiale, et je crois qu’il est bon et nécessaire que cette histoire soit mieux connue et racontée en mémoire de ce qui fut et pour se préserver de ce qui est ou sera. Bouleversant !

– S’il le fallait, chacun de nous prendrait le parti de son pays, n’est-ce pas ? Comment parler ensuite de “fraternité” et d’autres utopies du même genre ?
– Pourquoi ? Il serait plus réaliste de nous imaginer en train de nous battre au corps à corps ? Nous prendrions les armes pour défendre notre patrie et notre religion ? Pour donner à nos enfants une vie meilleure ? Ou au nom de la Bourse et du pétrole ?
– Va le dire aux patriotards, Turcs et Grecs confondus.
(…)
– Franchement, je ne sais pas ce qui est bien.
– En tout cas, nous savons ce qui ne l’est pas.
– SI c’est une utopie de vouloir que les hommes ne soient ni bourreaux, ni victimes, alors vive l’utopie !
– Et cela ne vaut pas seulement pour les Turcs et les Grecs.

evzonepa

Aïvali, une histoire entre Grèce et Turquie – Soloup – 2015 – Traduit du grec par Jean-Louis Boutefeu – Steinkis

L’avis – enthousiaste – de Cryssilda

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Relire

relire

“à l’heure où les réseaux sociaux imposent une vitesse supersonique à nos échanges, de préférence limités à cent quarante caractères, (…) un essai sur la relecture, éloge inévitable de la lenteur et hommage à la récidive, passera pour une provocation.”

Pour certains c’est une évidence, pour d’autres une perte de temps voire une incongruité. Relire, alors qu’il y a temps à lire, tant de nouveautés, tant de livres en attentes dans nos mémoires, nos étagères ou les rayons des librairies et bibliothèques. “Une expérience du contretemps, voire un acte de résistance, comme un luxe face à l’immensité des possibles” (P31) Dans ce petit essai, Laure Murat après nous avoir conté comment elle en est venue à s’intéresser au sujet – Ah les expériences de relecture et leurs trahisons – en vient à sa façon de s’y attaquer : en envoyant un questionnaire – assez précis ma foi – à quelque 200 intellectuels connus (et français ce me semble ou du moins francophones), écrivains, journalistes, éditeurs, libraires… Certains n’ont pas répondu, d’autres abondamment, certains ont suivi le questionnaire, d’autres l’ont raccourci ou se sont lâchés. La première partie fait donc la synthèse et l’analyse de leurs retours (avec quelques chiffres, mais aussi des questions de fond, Que relit-on et pourquoi ? et Proust dans tout ça ?), tandis que la seconde contient une partie des questionnaires complétés, ceux d’Agnès Desarthe, Stephane Audeguy, Olivier Rolin, Annie Ernaux et tant d’autres.

Dès que j’ai vu cet essai, chez dame Cuné sauf erreur, j’ai su qu’il était pour moi. Car au delà de toutes ces personnes fascinantes ou non qui ont répondu, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur ses propres pratiques, or il se trouve que je suis de celles qui lisent, relisent et relisent encore (et encore encore, mais si c’est possible). Et nos pratiques, on les retrouve bien sûr, en partie du moins. On se reconnait ici ou là, on s’interroge aussi sur les différences bien sûr ; pourquoi si peu de femmes citées comme relues ? Neuf seulement contre 125 hommes. Les résultats auraient-ils été différent ailleurs ? disons sans aller très loin, outremanche ? Ou si l’enquête s’était adressée à des lecteurs qui ne font pas profession d’écrire ? Mystère. Et les traductions ? les différentes traductions entrent-elles dans la catégorie des relectures ? pour moi certainement mais le débat est ouvert et fort passionnant. Bref toutes sortes de cogitations bien agréables qui débouchent au détour d’une page sur les fameux questionnaires complétés, une vingtaine au total, j’en attendais beaucoup, trop peut être. Disons qu’au delà de toutes ces théories diverses et variées et souvent fortement psychanalytiques, j’aurais aimé un tantinet plus de plaisir et de passion mais c’est personnel après tout. Quoi qu’il en soit j’ai noté quelques auteurs et titres parmi les relectures citées, mention spéciale tout de même à Stephane Audeguy qui connait l’art de clore une lettre avec élégance. Intéressant !

Relire – enquête sur une passion littéraire –  Laure Murat – Flammarion – 2015

Les avis de Cuné , Keisha, Dominique et Bluegrey

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Un Turc dans le jardin

illias1958 près d’Athènes, dans le vaste jardin et la maison pleine de recoins d’une octogénaire passablement excentrique, Ilias, le jeune fils du jardinier, a des visions aussi étranges qu’effrayantes. Pire, quand il est en présence de la vieille dame, des mots d’une langue inconnue se bousculent dans sa bouches et il devine des choses dont il devrait ignorer jusqu’à l’existence. Troublée, voyant en lui un medium, celle-ci s’attache à lui et le réclame sans cesse à ses côtés. Espérant par son intermédiaire, renouer avec son passé – oublié de tous – celui d’une jeune femme de la bonne société osmanlie qui suivit jadis un Grec, changea de nom et de religion et fit tout pour se fondre dans son nouveau monde, laissant derrière elle sa famille et surtout un frère tant aimé…

Voilà un roman qui m’a considérablement décontenancée, j’ai failli l’abandonner plusieurs fois, trouvant que je n’avançais pas – il est rare qu’il me faille autant de temps pour lire un roman – et pourtant je l’ai repris à chaque fois, pour sa réinterprétation onirique des Grandes espérances, pour ses parfums, ses couleurs, ses secrets tissés entre deux belle-soeurs séparées par la vie, l’une grecque devenue turque, l’autre turque ottomane devenue grecque, pour ses paysages aussi, des jardins touffus des alentours d’Athènes ou d’Edirne, aux splendeurs fantomatiques et glacées d’Istanbul sous la neige. Pour ses personnages, enfin, bien campés, curieux sinon vraiment attachants et qui restent longtemps en tête avec leurs petites et grandes misères  – Méropé-Justine-Rana notamment, la vieille dame d’Athènes, avatar oriental et ma foi assez savoureux de miss Havisham. Insolite !

Un Turc dans le jardin – Yannis Xanthoulis – 2001 – Traduit du grec par Florence Lozet – Acte Sud – 2005

evzonepaLu dans le cadre de l’année grecque organisée par cousine Cryssilda et moi-même et qui ne cesse de m’étonner…

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Le Poids du cœur

poids-du-cœur-le-HD-300x4602109, Bruna Husky, techno-humaine de combat reconvertie en détective privé, compte toujours le temps qui lui reste à vivre – trois ans, dix mois et vingt et un jours – enragée par l’inéluctable brièveté programmée de sa vie de réplicante – dix ans pas une heure de plus. Plus pragmatiquement il lui faut assurer le quotidien dans un monde où pratiquement tout se paie – et cher – et trouver une place pour les sentiments liées à sa “mémoire émotionnelle” hors du commun et dont elle ne sait que faire. Jusqu’à ce qu’elle se retrouve responsable d’une enfant plus que difficile échappée de la zone zéro – polluée au dernier degré – et que tout semble se détraquer encore plus qu’à l’habitude.

Le poids du coeur est la suite des Larmes sous la pluie, où Rosa Montero nous faisait faire la connaissance de Bruna, la doublement différente, des humains de part sa nature de techno-humaine, des rep de part sa mémoire inusitée, implantée en catimini par un mémoriste tourmenté. Et le talent de l’auteure est tel que ce roman s’adresse autant aux lecteurs qui la connaisse déjà qu’à ceux qui débarquent, ce qui n’est pas une mince affaire quand il s’agit de camper un monde – et plus précisément celui de Blade runner trente ans après (du film autant que du roman à mon sens – comme cela est d’ailleurs  suggéré dans le précédent opus – mais je m’égare) c’est à dire potentiellement du nôtre tel que nous le construisons aujourd’hui. Rosa Montero a dit quelque part que la science fiction offrait une merveilleuse liberté pour explorer et interroger les grandes questions humaines, qu’elles soient philosophiques, politiques ou autres et elle ne s’en prive pas. A travers ces mondes qui se font face, totalitaire, religieux ou démocratico-capitalistes (comment, cela vous rappelle quelque chose ?), à travers le compte à rebours qui cliquète inlassablement dans la tête de l’héroïne, à travers la question de la responsabilité, du vieillissement, de l’engagement, de la pollution, de tant d’autres thèmes encore, qui interpellent tout en trouvant très naturellement leur place dans une intrigue rondement menée entre policier et espionnage. C’est pêchu, efficace, attachant et pour tout dire ce second opus est, à mon sens, encore meilleur que le premier – surtout en terme narratif –  que j’avais déjà vraiment beaucoup aimé. J’en redemande. Futuriste !

Le Poids du coeur – Rosa Montero – 2015 – traduit de l’espagnol par Myriam Chirousse – Metailié – 2016

Les avis de Cuné et de Keisha tout aussi conquises.

PS : Une bien glaçante évocation de la conservation et la protection des déchets nucléaires aussi avec, en appendice, quelques précisions bien actuelles, réelles et flippantes sur les matériaux utilisés par l’auteur dans son roman brrrrrr

PSS : Est-ce que je vous ai dit que j’aimais Rosa Montero d’amour ? Non ? et bien je vous le dis maintenant…

diversitéCe roman entre dans le défi diversité de Lhisbei dans les catégorie 1, roman de SF écrit par une femme, 14, climate fiction, 17, y’a des robots très très au centre de tout, et 20, c’est du transhumanisme à ce niveau voire du post… bon j’enlève les catégorie déjà topées, reste la 1 et une note globale de 11/20, ça avance bien je dirai…

Publié dans roman espagnol, SFFF | 20 commentaires

Liquidation à la grecque

MarkarisDans une Athènes étouffée par la crise, où les annonces de restrictions sociales, les rumeurs du pire, les grèves et les manifestations se succèdent les unes aux autres sans faiblir, les têtes se mettent à tomber…au sens propre. Des banquiers sont retrouvés décapités alors qu’un mystérieux Robin des banques enjoint, par voie d’affiches, ses concitoyens à cesser de rembourser les emprunts qui les étranglent. La police – voire le gouvernement – aimerait imputer tout cela à une action terroriste mais le commissaire Charitos n’y croit pas. Il voit dans ces crimes, quelque chose de personnel qui l’incite à envisager une vengeance envers la finance. Hélas dans la Grèce d’aujourd’hui, cela revient à soupçonner les trois quarts de ses concitoyens, d’autant que la plupart semblent bien prendre faits et causes pour le meurtrier plutôt que pour les victimes et que lui-même n’est pas tout à fait sûr d’être du bon côté dans cette histoire…

De Petros Markaris, je connaissais L’Empoisonneuse d’Istanbul qui mettait déjà en scène le commissaire Charitos et que j’avais beaucoup aimé. Liquidation à la grecque, premier volume de la Trilogie de la crise, est tout aussi bon mais prête moins à sourire car il nous fait entrer de plein pied dans la situation des Grecs d’aujourd’hui. Les salaires s’amenuisent, les retraites sont repoussées et amputées, la sécurité sociale rognée, les perspectives d’avenir pour les jeunes ont disparu et les situations désespérées comme les protestations impuissantes se multiplient. Il y a quelque chose de terrifiant dans ces annonces qui tombent sans que le citoyens lambda y puisse quoique ce soit et on comprend – ô combien – ceux qui regardent la décapitation de quelques profiteurs de crise avec une certaine bienveillance. Car si Petros Markaris n’épargne personne et épingle au passage ceux qui ont cru en l’argent facile et les combines diverses, il ne s’en fait pas moins l’écho d’une indignation mêlée de frustration devant les donneurs de leçons en costumes cravates qui regardent tranquillement les plus fragiles sombrer tout en faisant leurs choux gras de cette fameuse crise. Mais je m’égare, revenons à ce très bon polar, classique dans sa construction, fort bien écrit,  à l’action astucieusement menée et entrelacée avec le quotidien d’une famille tout ce qu’il y a de plus normale (Merci Petros, de nous avoir évité le sempiternel flic alcoolo-dépressif). Une enquête prenante, des personnages attachants, un contexte qui prête à la réflexion, que demander de plus ? Efficace !

Liquidation à la grecque (trilogie de la crise 1) – Petros Markaris – 2010 – traduit du grec par Michel Volkovitch – Seuil 2012

L’avis de Jean-Marc, Martine, Miriam,

UlysseLu dans le cadre de la LC Polar de l’année grecque organisée par cousine Cryssilda et moi-même (et qui va probablement être commune sur quelques jours, c’est ça la vie des lectures communes)

Lire-le-monde-300x413Cette lecture s’inscrit aussi dans le cadre du défi Lire le monde organisé par Yspaddaden

PS : Les volumes suivants de la trilogie de la crise, qui s’intitulent Le Justicier d’Athènes et Pain, éducation, liberté, sont déjà dans ma PAL, décidément cette année grecque est une affaire qui tourne…

 

Publié dans année grecque, Polar, roman grec | 24 commentaires

La Nostalgie des dragons

nostalgiedragonLe vol d’une momie oubliée dans les réserves du musée archéologique d’Athènes aurait tout à fait pu passer inaperçu et le conservateur dudit musée continuer de couler des jours plus ou moins tranquilles si la presse, toujours à l’affut d’un sujet juteux, n’avait déclenché un scandale en révélant que la dite momie pourrait être beaucoup plus ancienne qu’on ne le croyait – une doyenne de l’humanité – et donc se révéler un trésor sans prix. De là à taxer Ion Dragonas, notre conservateur, de tous les maux depuis l’incompétence jusqu’à la la malhonnêteté, il n’y a qu’un pas que l’ensemble des médias voire une partie des autorités franchissent allègrement. Mais Dragonas, vieux briscard, résistant et obstiné, entend bien retrouver la disparue, qu’il ne se pardonne pas d’avoir sous-estimée, devrait-il se lancer dans une course poursuite à travers l’Europe et se voir adjoindre une commissaire de police dont on ne sait trop si le rôle est de retrouver la momie, de le surveiller ou de le protéger car la chasse au trésor s’avère rapidement plus dangereuse que prévue…

Que d’abracadabrantes aventures autour de cette momie perdue qui semble éveiller l’intérêt de multiples groupes plus ou moins occultes et néanmoins dangereux. Autour de Dragonas et Koutroubas, le vieil archéologue et la jeune policière, s’agite tout un monde de personnages plutôt truculents, de théories fumeuses, de meurtres sournois et d’intrigues compliquées sur fond de sociétés secrètes et de colloque anthropologique. Alors certes l’ensemble est assez invraisemblable – pas moins de trois organisations secrètes s’intéressent quand même à la fameuse momie,  les théories anthropologiques m’ont paru parfois datées mais le roman se lit fort agréablement de retournements de situation en coups de théâtre et de changements de trains en conversations polyglottes. Et si le dénouement parait un rien tarabiscoté, les personnages se révèlent  bien plus attachants que prévu. Rocambolesque !

La nostalgie des dragons – Démosthène Kourtovik – 2000 – traduit du grec par Caroline Nicolas – Acte sud 2004

evzonepaLu dans le cadre de l’année grecque organisée par moi-même et cousine Cryssilda pour découvrir un peu plus la littérature grecque notamment contemporaine…

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Entre Chien et loup

entre-chien-et-loupPour une fois, le voyage de Charles et Anna, s’annonce sous les meilleurs auspices. Pour choisir le cheval qu’il veut lui offrir pour son anniversaire, Charles a décidé d’emmener sa compagne en Arizona, dans le ranch de la famille Sani à laquelle des liens forts et anciens l’attachent. Très vite cependant, des évènements étranges viennent perturber leur séjour, un fae des plus malintentionnés semble rôder autour du ranch : vengeance personnelle ou nouvel épisode de la guerre larvée des Faes contre l’humanité…  et dans ce dernier cas que feront les loups ?

Voilà bien longtemps que je n’ai pas parlé de Bit-lit ou Urban fantasy comme il se dit outre-atlantique, ce qui ne manque pas de sel car ici nous sommes dans de l’Urban fantasy rurale mais qu’importe, cela ma manquait un peu. Patricia Briggs sait donner vie à des personnages attachants, complexes, qui évoluent de livres en livres et que l’on aime à retrouver. Tout aussi agréable, elle mène ses histoires tambour battant, brassant dans ses intrigues aussi bien les traditions amérindiennes – ici navajos – que le folklore féérique européen dont elle connait le ban et l’arrière ban. De ces mélanges, naissent des situations originales et quelques personnages spectaculaires qui ne laissent pas de réveiller chez le lecteur, l’ombre de ses terreurs enfantines.

Les séries de cette auteure (Mercy Thompson et son spin off Alpha et Omega dont je chronique ici le tome 4 (comment ça c’est compliqué, prenez des notes que diable)) comptent – à mon avis – parmi les toutes meilleures du genre et quoique je me sois un peu lassée des loups-garous et des vampires, je les lis toujours avec le même plaisir – et dès leur sortie oui, j’avoue tout – sans doute parce que, au delà du genre, ce sont d’excellents romans. Surnaturel.

Entre chien et loup – Alpha et Omega 4 – Patricia Briggs – 2015 – Milady 2016 – traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Clémentine Curie

PS : Les couvertures sont toujours aussi clinquantes, mais que cela ne vous arrête pas, les personnages sont beaucoup plus intéressants que cela…

 

 

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L’Invention de la Vénus de Milo

venusEn 1820, sur la petite ile de Milo* en mer Égée, Yorgos Kendrotas, paysan de son état, découvrit, dans un tas de pierre, une statue de marbre brisée en deux. L’aspirant Voutier de la marine française fut le premier à en faire un croquis et le premier à la nommer… Vénus. Elle ne pouvait être que Vénus, au point que d’aucuns prétendirent avoir vu sa main gauche tenant la pomme de discorde. Mais cette main ne reparut plus et la statut entama le rocambolesque parcours qui devait la conduire jusqu’au musée du Louvre…

Ils la découvrirent sans la chercher, mais ils la reconnurent d’emblée. Ils ignoraient son existence, mais ils l’accueillirent comme s’ils l’attendaient“. C’est par ces mots que débute ce singulier récit qui narre sur un mode très enlevé et fort plaisant les péripéties qui accompagnèrent la découverte de la plus célèbre des statues antiques. Autour de son corps brisé, se croisent et intriguent des militaires français férus de culture – Ah ce bon Dumont Durville offusqué que les habitants du cru ne parlent pas le vrai grec, des dignitaires ottomans plus ou moins intéressés par la chose, des notables locaux un rien dépassés par ce branle-bas, des révolutionnaires en mal de financement (la guerre d’indépendance grecque se prépare),  quelques religieux indignés, d’authentique aventuriers peu scrupuleux, et même des amoureux. Mais au delà du récit d’aventures archéologiques à la sauce XIXe –  le beau temps de pilleurs d’antiquités – L’auteur aborde avec brio, irrévérence et jubilation la question – essentielle ou peut être pas – de l’identité de la statue. Qui donc est cette femme à jamais amputée des deux bras ? Elle sera Vénus, pas Aphrodite, Vénus, comme une évidence, comme il se devait, comme cela s’inscrivait dans cette époque qui vit le triomphe des cabinets de curiosités devenus musées et permit au Louvre – et à tant d’autres musées occidentaux – d’accumuler des merveilles. Allègre !

L’invention de la Vénus de Milo – Takis Théodoropoulos – 2007 – Traduit du grec par Michel Grodent – Sabine Wespieser – 2008

zorba LOGOvenus_de_miloLu dans le cadre de l’année grecque organisée par Cousine Cryssilda et moi même.

L’avis de Miriam Panigel

PS : J’ai envie d’aller la revoir d’un autre œil cette statue maintenant…

* aujourd’hui Milos ou Mélos ou Μήλος

Lire-le-monde-300x413Une lecture qui s’inscrit aussi dans le cadre du défi Lire le monde organisé par Yspadadden

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