Les villes de papiers, ce sont des repères imaginaires – villes, ponts, rivières – que les cartographes dissimulaient autrefois au détour d’une carte pour se protéger des contrefaçons. De quoi faire rêver une enfant déjà portée aux songes que ces endroits impossibles à trouver ailleurs que sur le papier. De là à s’évader dans cette autre réalité, faite de maison, de fleurs, d’oiseaux, d’étoffes ou d’épices épinglées par des mots noirs sur la page blanche…
D’Emily Dickinson, on sait peu de choses, c’est à dire tout ce qui est concret et rien de ce qui importe. Cette femme qui sema toute sa vie des poèmes sur des chiffons de papier d’emballage et préféra de loin les relations épistolaires aux rencontre de chair (IRL avant la lettre), n’a apparemment aucun mystère. Née dans une famille puritaine, elle mena une vie de jeune fille rangée, étudia au séminaire, revint vieillir doucement dans la maison de ses parents auprès de sa jeune soeur, se coupa peu à peu du monde pour vivre, éternellement vêtue de blanc, quasiment recluse dans sa chambre. Ce qui se passait dans son esprit et dont témoigne une immense correspondance et près de 2000 poèmes, c’est une autre histoire. Et c’est celle-ci que Dominique Fortier entend raconter. Perchée sur l’épaule d’une enfant émerveillée par le minuscule, elle s’accorde à son rythme et ses mots, cueillant les images de sa poésie pour en retrouver l’inspiration.
“En écrivant, elle s’efface. Elle disparaît derrière le brin d’herbe que, sans elle, on n’aurait jamais vu. Elle n’écrit pas pour s’exprimer, quelle horreur, ce mot lui rappelle celui d’expectorer, dans les deux cas le résultat ne peut être qu’un flegme gluant, plein de glaires ; elle n’écrit pas pour se distinguer. Elle écrit pour témoigner : ici à vécu une fleur, trois jours de juillet de l’an 18**, tuée par une ondée un matin. Chaque poème est un minuscule tombeau élevé à la mémoire de l’invisible.”
Les villes de papiers est un roman au charme entêtant, une écriture cristalline qui témoigne elle aussi des plaisirs minuscules d’un monde plus sensible que sensuel. On le referme avec une seule chose en tête, trouver un recueil d’Emily Dickinson et s’y plonger. Lumineux
They shut me up in Prose —
As when a little Girl
They put me in the Closet —
Because they liked me “still” —
Still! Could themselves have peeped —
And seen my Brain — go round —
They might as wise have lodged a Bird
For Treason — in the Pound



17 réponses à Les villes de papiers