Nord et Sud

Élevée en partie à Londres par sa tante, une femme fortunée, Margaret Hale a idéalisé Helstone, le village du sud de l’Angleterre où se trouve le modeste presbytère familial. Après le mariage de sa cousine, elle se réjouit de retourner y vivre mais ce bonheur est de courte durée car son père décide de quitter l’église anglicane et de trouver un travail de précepteur dans une ville industrielle du nord du pays, une ville active, laborieuse et enfumée à mille lieues de ce que Margaret connait et apprécie. Entre un père faible, rongé par la culpabilité et une mère maladive peu encline à accepter la notable réduction de son train de vie, la jeune fille va être contrainte de fréquenter des gens qu’elle n’aurait jamais imaginé côtoyer et peu à peu remettre en cause ses certitudes et ses (nombreux) préjugés.

Elizabeth Gaskell est une victorienne qui a fréquenté Dickens – son éditeur -, Charlotte Brontë et bien d’autres mais c’est une victorienne quelque peu atypique. Nord et Sud dépeint en effet très précisément non seulement le contraste qui se créait en ce milieu du XIXe siècle anglais entre un sud campagnard et un nord urbain en pleine transformation, mais aussi les tous premiers affrontements entre deux classes appelées à en voir bien d’autres, les ouvriers et leurs patrons. Elizabeth Gaskell campe ici deux superbes antagonistes Thornton et Higgins reflétant le contraste entre les opinions et façons de vivre de ces deux classes, misère mais aussi émancipation d’un côté, ambition et fascination pour le progrès de l’autre. Décriées à l’époque (parce qu’écrites par une femme), les joutes verbales entre les deux hommes trouvent aujourd’hui d’étranges résonances.

Dans un autre registre, l’auteure se livre également ici à l’exercice classique du roman d’apprentissage avec une belle finesse. L’affrontement des caractères rappelle bien évidemment Orgueil et Préjugés de Jane Austen et cela de plusieurs façons mais l’évolution de Margaret est tout autre et beaucoup plus profonde que celle de Lizzie. Sans en dire trop disons que si Austen est inégalable dans son registre caustique, Gaskell livre ici une oeuvre beaucoup plus sociale qui s’intéresse autant aux classes laborieuses, domestiques ou ouvriers qu’aux marges de la bonne société, industriels, dissidents religieux ou… femmes. J’ajouterais que je trouve assez impressionnant qu’une femme de son époque ait peint comme des personnages positifs un renégat de l’église anglicane, un mutin condamné à mort par contumace (les joies de la marine anglaise), ou même une femme décidée à prendre sa vie en main, toutes rebellions à l’autorité établie assez peu conformes aux idéaux de l’époque. Un roman riche et foisonnant, magnifiquement écrit dont je pourrais parler beaucoup trop longuement si je me laissais aller. Excellent !

Nord et sud – Elizabeth Gaskell – 1855

Les avis de Isil, Fashion, Pimpi, Karine, Chiffonette, Keisha…

PS : d’Elizabeth Gaskell, j’avais déjà lu Lady Ludlow qui m’avait beaucoup plu quoique la forme en soit moins aboutie à mon sens et la bonne nouvelle est que j’ai Cranford dans ma pal.

PPS : Mon personnage préféré est bien entendu le plus austenien de tous (on ne se refait pas), le spirituel Mr Bell.

PPPS : la description d’une grève de l’époque est pleine d’intérêt, entre autre chose sont je n’ai pas parlé et qui devrait vous convaincre de lire ce superbe roman.

Elizabeth Gaskell est morte au milieu d’une phrase, une tasse de thé à la main… n’est ce pas une mort intéressante pour le challenge nécrophile de fashion (que j’avoue oublier de mentionner la plupart du temps) ?

Ce contenu a été publié dans roman britanique. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

28 réponses à Nord et Sud

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *