“Il y a en chacun de nous, un autre monde. La chose la plus importante est toujours celle qu’on ne connait pas.”
Mais qui est donc Harrison William Shepherd, un homme au nom si parfaitement américain, à la vie si parfaitement rocambolesque ? Exhibitionniste comme un écrivain, discret comme un diariste, utilisant ses petits carnets pour photographier la vie qui l’entoure sans vraiment s’y révéler, riche d’un bon sens toujours en butte à la réalité et d’un l’humour discrètement corrosif, un homme en bref tout de contradictions qui cherche l’invisibilité jusque dans ses journaux intime – écrits à la troisième personne, mais devient romancier à succès, en étant pourtant bien conscient que s’exposer – en particulier pour un artiste – c’est se rendre vulnérable…
Le vie de cet Harrison – mais qui donc l’appellera jamais ainsi – nous est racontée par ses carnets, des lettres, des articles de journaux ou des relations d’interrogatoires, on y croise Diego Rivera et Frida Kahlo – ce couple flamboyant, Lev et Natalia Trotsky, ce couple lumineux, mais aussi des cuisiniers, des domestiques, des secrétaires, des activistes, des voisins, des gardes du corps, des avocats, des journalistes, quelques sénateurs et un ou deux chats. Mais en filigrane de ce roman positivement picaresque, c’est bien de la façon dont se forge l’identité politique de l’Amérique à travers son rapport à l’art et à l’information qu’il s’agit. Barbara Kingsolver explore bien sûr le présent – elle a commencé à écrire ce livre en 2001 – à travers le passé, mais il est effarant ou peut-être effrayant – de voir à quel point sa fresque – version littéraire du muralisme de Diego Rivera – résonne avec l’actualité plus de dix ans après sa publication. Car ce roman traitant d’un romancier piégé par le McCarthysme triomphant, écrit pendant l’ère Bush après que l’autrice ait été lynchée médiatiquement pour des propos “anti-américains” sur la guerre en Afghanistan, pourrait tout aussi bien nous parler de l’ère post-trump. Magistral et un tout petit peu terrifiant !
Un autre monde – Barbara Kingsolver – 2009 – Traduit de l’américain par Martine Aubert – 2010 – Rivages – 2012 – Orange prize for fiction 2010
PS : j’aurais pu vous dire bien des choses encore sur ce roman foisonnant mais j’essaie de garder mes billets d’une raisonnable longueur. Pour la peine je vous tague un beau billet de Papillon
PPS : Encore un roman qui m’a fait faire un tas de recherches sur l’internet : la maison-atelier bauhaus de San Angel, la maison bleue de Frida qui abrita Trotsky (aujourd’hui le musée Frida Kalho), le muralisme de Rivera, et ceci et cela…
PPPS : je vous ai dit que j’aimais beaucoup Barbara Kingsolver ? Non ? et bien je vous le dis !
Il y a trop longtemps que je n’ai pas lu cette auteure, et ce roman a tout pour me plaire. Merci de la piqure de rappel.
Moi aussi j’adore Barbara Kingsolver 🙂
olemxt