le vampire

Toi qui, comme un coup de couteau,
Dans mon cœur plaintif es entrée,
Toi qui, comme un hideux troupeau
De démons, vins, folle et parée,
  
De mon esprit humilié
Faire ton lit et ton domaine,
— Infâme à qui je suis lié
Comme le forçat à la chaîne,

Comme au jeu le joueur têtu,
Comme à la bouteille l’ivrogne,
Comme aux vermines la charogne,
— Maudite, maudite sois-tu !

J’ai prié le glaive rapide
De conquérir ma liberté,
Et j’ai dit au poison perfide
De secourir ma lâcheté.
 
Hélas ! le poison et le glaive
M’ont pris en dédain et m’ont dit :
«Tu n’es pas digne qu’on t’enlève
A ton esclavage maudit,

Imbécile ! — de son empire
Si nos efforts te délivraient,
Tes baisers ressusciteraient
Le cadavre de ton vampire !»

 

 

Charles Baudelaire – Les fleurs du  mal

 

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La parole

J’ai la beauté facile et c’est heureux.

Je glisse sur les toits des vents

Je glisse sur le toit des mers

Je suis devenue sentimentale

Je ne connais plus le conducteur

Je ne bouge plus soie sur les glaces

Je suis malade fleurs et cailloux

J’aime le plus chinois aux nues

J’aime la plus nue aux écarts d’oiseau

Je suis vieille mais ici je suis belle

Et l’ombre qui descend des fenêtres profondes

Épargne chaque soir le coeur noir de mes yeux.

 

Paul Eluard 1923

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Nevada est mort

Rocky Surprenant est comptable, père de famille, heureux en ménage et totalement à la dérive. Il s’enfonce dans une routine étouffante, torturante à laquelle il cherche une échappatoire dans des jeux vidéo. Conscient de détruire peu à peu tout ce à quoi il tient, il est incapable de rompre avec la spirale infernale dans laquelle il perd pied peu à peu au rythme obsédant d’une toute petite phrase “Nevada est mort”. Jusqu’au jour où Jésus, son peu fréquentable ami d’enfance, refait surface…

J’ai lu à plusieurs reprises qu’il s’agissait d’un livre humoristique j’avoue que cela me surprend un peu, certes le style est plutôt enjoué mais l’humour de la langue ne fait que rendre la souffrance de cet homme plus sensible, plus déchirante. Nevada est mort explore les effets du deuil et de la souffrance sur l’esprit, plongées dans le passé, perte d’emprise sur le réel, sensation d’impuissance, bouleversements des valeurs et des repères de toute une vie. A tâtons Rocky cherche à retrouver le fil de sa vie et pour ce faire, se laisse entrainer dans un road movie entre cauchemar et dérision. La forme est surprenante au départ, mais très vite j’ai été happée par l’intensité de cette histoire foisonnante à la fois enlevée et déchirante. Un beau roman !

 

Nevada est mort – Yves Trottier – 2010 – Hurtubise

PS : Un grand merci à Karine pour cette belle découverte

PPS : je sais ce roman n’était pas dans mon programme mais c’est que je l’ai lu depuis mon retour (je sais, je suis incorrigible my bad !)

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La terre est bleue

La terre est bleue comme une orange

Jamais une erreur les mots ne mentent pas

Ils ne vous donnent plus à chanter

Au tour des baisers de s’entendre

Les fous et les amours

Elle sa bouche d’alliance

Tous les secrets tous les sourires

Et quels vêtements d’indulgence

À la croire toute nue.

 

Les guêpes fleurissent vert

L’aube se passe autour du cou

Un collier de fenêtres

Des ailes couvrent les feuilles

Tu as toutes les joies solaires

Tout le soleil sur la terre

Sur les chemins de ta beauté.

 

Oeil de sourd

Faites mon portait.

Il se modifiera pour remplir tous les vides.

Faites mon portrait sans bruit, seul le silence,

A moins que – s’il – sauf – excepté –

Je ne vous entends pas.

 

Il s’agit, il ne s’agit plus.

Je voudrais ressembler –

Fâcheuse coïncidence, entre autres grandes affaires.

Sans fatigue, têtes nouées

Aux mains de mon activité.

 

Paul Eluard – 1929

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Fin de plage…

coucherDeSoleilEt voilà après deux semaines intensément plage, il est temps de revenir, d’allumer son ordinateur et de ressentir une certaine angoisse à l’idée de la quantité de “billets à écrire” ramenés dans mes bagages. Car il est des choses incontournables lors de vacances de ce type, les longues balades, les bains de mer, les coups de soleil sur le nez et les livres bien sûr, beaucoup de livres peut être un rien ensablés. Imaginez un peu, pas de télé, pas d’ordinateur, en fait même pas de connexion téléphone, un espace minimum, rien qui puisse nous distraire de nos lectures… oui je parle de moi au pluriel parfois, c’est ainsi… Il parait même que je suis partie avec trop de livres mais j’aime avoir le choix et puis j’ai quasiment tout lu alors, d’ailleurs j’en ai acheté d’autres en cours de route. Ce qui m’a valu (encore) des regards limite excédés mais bon que feriez vous si vous tombiez par hasard sur les Lais de Marie de France et les quatre branches du Mabinogi comme ça au détour du château de Comper en forêt de Brocéliande ? Je vous le demande. D’autant que je suis en plein challenge Valar, mais je m’égare, revenons à mes projets de billets en retard (oui je vois loin !), un genre de programme putatif en somme…

coucherDeSoleil2

Cela risque d’être un peu énumératif mais j’ai toujours eu un faible pour les listes… Or donc, au chapitre des romans j’ai quelques petites choses à raconter sur Ru de Kim Thuy (étonnant), Le prince des marées de Pat Conroy (un délice), Tous les matins du monde de Pascal Quignard (pour un billet double avec le film), La tournée d’automne de Jacques Poulin (fort sympathique), Histoire d’une déchéance et Un mariage à Lyon de Stephen Zweig (c’est du Stephen hein), L’échappée belle de Anna Gavalda (mignon).

Pour les polars et la SF pas grand chose mais du bon, Les visages de Jesse Kellerman (absolument excellent) et L’odyssée de l’espèce – Les futurs mystères de Paris 3 – de Roland C. Wagner (J’aime bien Tem et son borsalino vert fluo).

En catégorie jeunesse, La fête des fous de Martine Pouchain, La nuit des loups, une aventure de Garin Trousseboeuf, de Evelyne Brisou Pellen, Le rendez-vous d’Alésia du même auteur, premier opus des messagers du temps et Le roi de la forêt des brumes de Michel Morpurgo.

Un petit essai quand même et adapté au lieu de surcroit, Le roi Arthur de Marc Rolland (bien et concis)

Pour le côté “so girly”, La promise du clan Kincaid de Shana Abé (aventures et passions, catégorie Harlequinade) et de la bit-lit, Pleine Lune et Le baiser du mal de Kéri Arthur, tome 1 et 2 des aventures de Riley Jenson (mi-louve mi-vampire la Riley, hot hot hot), ainsi que Succubus Nights et Succubus Dreams les tomes 2 et 3 des aventures de Georgina Kincaids de Richelle Mead (ce succube est vraiment sympathique). Et la Bit-lit est définitivement beaucoup plus ma tasse de thé que l’harlequinade, je confirme.

Ah et j’ai abandonné Les confession d’une accro au shopping de Sophie Kinsella page 145… (je m’ennuyais).

Lire ce n’est rien, les pages tournent quasiment seules mais écrire, en voilà une autre histoire. Enfin si j’arrive à rédiger la moitié des billets avant la fin du mois, je serais ra-vie et surprise aussi (mais soyons claire, ceci n’est PAS un challenge non non non). Ah et je vous passe les sublimes diaporamas que j’ai en vue sur la Chine (j’ai encore des merveilles en réserve), Barcelone (une série Gaudi ça vous dit ?) ou même le Morbihan (c’est beau, vert et bleu avec des châteaux et des légendes)… au boulot donc !

Et à très bientôt donc pour de nouvelles aventures livresques…

livreEtPlage

PS : Après deux semaines de soleil breton non stop, il pleut il pleut bergère à Toulouse… C’est peut être bon signe pour mon séjour londonien à la fin du mois…

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Liberté

Sur mes cahiers d’écolier

Sur mon pupitre et les arbres

Sur le sable sur la neige

J’écris ton nom

 

Sur toutes les pages lues

Sur toutes les pages blanches

Pierre sang papier ou cendre

J’écris ton nom

 

Sur les images dorées

Sur les armes des guerriers

Sur la couronne des rois

J’écris ton nom

 

Sur la jungle et le désert

Sur les nids sur les genêts

Sur l’écho de mon enfance

J’écris ton nom

 

Sur les merveilles des nuits

Sur le pain blanc des journées

Sur les saisons fiancées

J’écris ton nom

 

Sur tous mes chiffons d’azur

Sur l’étang soleil moisi

Sur le lac lune vivante

J’écris ton nom

 

Sur les champs sur l’horizon

Sur les ailes des oiseaux

Et sur le moulin des ombres

J’écris ton nom

 

Sur chaque bouffée d’aurore

Sur la mer sur les bateaux

Sur la montagne démente

J’écris ton nom

 

Sur la mousse des nuages

Sur les sueurs de l’orage

Sur la pluie épaisse et fade

J’écris ton nom

 

Sur la vitre des surprises

Sur les lèvres attentives

Bien au-dessus du silence

J’écris ton nom

 

Sur mes refuges détruits

Sur mes phares écroulés

Sur les murs de mon ennui

J’écris ton nom

 

Sur l’absence sans désirs

Sur la solitude nue

Sur les marches de la mort

J’écris ton nom

 

Sur la santé revenue

Sur le risque disparu

Sur l’espoir sans souvenir

J’écris ton nom

 

Et par le pouvoir d’un mot

Je recommence ma vie

Je suis né pour te connaître

Pour te nommer

 

Liberté.

 

Paul Eluard – 1942

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Ils cassent le monde

Ils cassent le monde

En petits morceaux

Ils cassent le monde

A coups de marteau

Mais ça m’est égal

Ça m’est bien égal

Il en reste assez pour moi

Il en reste assez

Il suffit que j’aime

Une plume bleue

Un chemin de sable

Un oiseau peureux

Il suffit que j’aime

Un brin d’herbe mince

Une goutte de rosée

Un grillon de bois

Ils peuvent casser le monde

En petits morceaux

Il en reste assez pour moi

Il en reste assez

J’aurais toujours un peu d’air

Un petit filet de vie

Dans l’oeil un peu de lumière

Et le vent dans les orties

Et même, et même

S’ils me mettent en prison

Il en reste assez pour moi

Il en reste assez

Il suffit que j’aime

Cette pierre corrodée

Ces crochets de fer

Où s’attarde un peu de sang

Je l’aime, je l’aime

La planche usée de mon lit

La paillasse et le châlit

La poussière de soleil

J’aime le judas qui s’ouvre

Les hommes qui sont entrés

Qui s’avancent, qui m’emmènent

Retrouver la vie du monde

Et retrouver la couleur

J’aime ces deux longs montants

Ce couteau triangulaire

Ces messieurs vêtus de noir

C’est ma fête et je suis fier

Je l’aime, je l’aime

Ce panier rempli de son

Où je vais poser ma tête

Oh, je l’aime pour de bon

Il suffit que j’aime

Un petit brin d’herbe bleue

Une goutte de rosée

Un amour d’oiseau peureux

Ils cassent le monde

Avec leurs marteaux pesants

Il en reste assez pour moi

Il en reste assez, mon coeur

 

Boris Vian

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Elle serait là, si lourde

Elle serait là, si lourde

Avec son ventre de fer

Et ses volants de laiton

Ses tubes d’eau et de fièvre

Elle courrait sur ses rails

Comme la mort à la guerre

Comme l’ombre dans les yeux

Il y a tant de travail

Tant et tant de coups de lime

Tant de peine et de douleurs

Tant de colère et d’ardeur

Et il y a tant d’années

Tant de visions entassées

De volonté ramassée

De blessures et d’orgueils

Métal arraché au sol

Martyrisé par la flamme

Plié, tourmenté, crevé

Tordu en forme de rêve

Il y a la sueur des âges

Enfermée dans cette cage

Dix et cent mille ans d’attente

Et de gaucherie vaincue

S’il restait

Un oiseau

Et une locomotive

Et moi seul dans le désert

Avec l’oiseau et le chose

Et si l’on disait choisis

Que ferais-je, que ferais-je

Il aurait un bec menu

Comme il sied aux conirostres

Deux boutons brillants aux yeux

Un petit ventre dodu

Je le tiendrais dans ma main

Et son coeur battrait si vite…

Tout autour, la fin du monde

En deux cent douze épisodes

Il aurait des plumes grises

Un peu de rouille au bréchet

Et ses fines pattes séches

Aiguilles gainées de peau

Allons, que garderez vous

Car il faut que tout périsse

Mais pour vos loyaux services

On vous laisse conserver

Un unique échantillon

Comotive ou zoizillon

Tout reprendre à son début

Tous ces lourds secrets perdus

Toute science abattue

Si je laisse la machine

Mais ses plumes sont si fines

Et son coeur battrait si vite

Que je garderais l’oiseau.


Boris Vian

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Le temps de vivre

Bien changement d’époque et de poète, que diriez-vous d’un petit tour chez Boris !

 

Il a dévalé la colline

Ses pieds faisaient rouler des pierres

Là-haut entre les quatre murs

La sirène chantait sans joie

 

Il respirait l’odeur des arbres

Avec son corps comme une forge

La lumière l’accompagnait

Et lui faisait danser son ombre

 

Pourvu qu’ils me laissent le temps

Il sautait a travers les herbes

Il a cueilli deux feuilles jaunes

Gorgées de sève et de soleil

 

Les canons d’acier bleu crachaient

Des courtes flammes de feu sec

Pourvu qu’ils me laissent le temps

Il est arrivé près de l’eau

 

Il y a plongé son visage

Il riait de joie il a bu

Pourvu qu’ils me laissent le temps

Il s’est relevé pour sauter

 

Pourvu qu’ils me laissent le temps

Une abeille de cuivre chaud

L’a foudroyé sur l’autre rive

Le sang et l’eau se sont mêlés

 

Il avait eu le temps de voir

Le temps de boire à ce ruisseau

Le temps de porter à sa bouche

Deux feuilles gorgées de soleil

 

Le temps de rire aux assassins

Le temps d’atteindre l’autre rive

Le temps de courir vers la femme

Il avait eu le temps de vivre

 

Boris Vian

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Quand souffle le vent du nord

En voulant résilier son abonnement à un magazine, Emmi tombe par hasard dans la boite électronique de Leo. Il la prévient, elle s’excuse, fin de l’histoire. L’adresse de Leo reste cependant en mémoire quelque part car plusieurs mois plus tard, il reçoit un message de bonne année, message groupé limite affligeant de banalité et répond. Il répond comme Léo sait répondre : c’est drôle, un rien acide et largement hors du banal. Piquée, Emmi rétorque et de fil en aiguille, une relation se noue, drôle, décalée, de plus en plus absorbante, de plus en plus passionnée jusqu’à ce que nos deux épistoliers, car c’est bien un roman épistolaire par e-mails dont il est question, se retrouvent bel et bien amoureux. Seulement Emmi est mariée et tous deux redoutent le passage au réel  tout en sachant pertinemment qu’une telle relation virtuelle ne peut durer indéfiniment…  Et que faire quand on ne veut, quand on ne peut, ni continuer, ni arrêter ?

Quel délice ce roman, tout d’abord le rythme des messages, parfois des mois se passent entre eux, parfois des jours, des semaines ou des secondes, m’a un rien déboussolée. Mais très vite je me suis prise au jeu de Léo et Emmi, j’ai ronchonné quand ils tournaient en rond, frémi quand ils semblaient sur le point de franchir une étape, applaudi à certains messages et les pages se sont mises à tourner toutes seules jusqu’à me laisser hors d’haleine à la dernière phrase, en quête d’éventails, de sels, et de tout ce dont les cœurs sensibles ont toujours usé pour se remettre de leurs émotions. Sincèrement j’y ai cru à cet échange, les personnages me sont apparus, dans leur relation, aussi attachants qu’étonnement plausibles, hésitations, peurs et emballements compris. Une petite merveille de finesse et de sensibilité, humour et émotion en prime. Que du bonheur !

 

Quand souffle le vent du nord – Daniel Glattauer, 2006 –  traduit de l’allemand par Anne-Sophie Anglaret (Gut gegen norwind), Grasset  2010


PS : Il semble que les lecteurs-fans allemands aient plus ou moins forcé l’auteur à donner une suite à cette histoire, suite non encore traduite à l’heure où je vous écrit…

PPS : Pourtant la fin du roman est tout bonnement magnifique !

PPPS : mais je la lirai quand même cette suite… en français.

 

 

L’avis (enthousiaste) de Cuné, celui (tout aussi enthousiaste) de Fashion , celui de Cels qui a pleuré, ceux  plus retenus d’Emeraude et de Cathulu

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