Je vis, je meurs…

Comme prévu, nous partons ce jour d’hui à la découverte de Louise Labé, la belle Lionnoize… Un sublime sonnet pour commencer qui me fait irrésistiblement penser à mon très cher François (oui Villon, vous avez bien compris)

 

 

Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J’ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m’est et trop molle et trop dure.
J’ai grands ennuis entremêlés de joie.

Tout à un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j’endure ;
Mon bien s’en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je sèche et je verdoie.

Ainsi Amour inconstamment me mène ;
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.

Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.

 

Louis Labé (1524-1566)

Sonnets

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Le journal d’un ange

Rien ne va plus au royaume des cieux, entre la valeur des âmes en chute libre qui pourrait bien contraindre le ciel à céder le purgatoire aux enfers, la visite d’une délégation infernale en plein paradis et  le mouvement dissident qui réclame un sexe pour les anges, on pourrait croire que les choses sont suffisamment compliquées sans que des anges-gardiens se mettent à disparaitre. ce qui est théoriquement impossible de surcroit… L’inquisiteur Eriel du Geburah, force de police du ciel, est chargé de l’enquête mais sa tendance à remuer la boue façon détective mortel n’est pas du goût de tout le monde, et certainement pas de celui du Keter, le service secret celeste. Il est bientôt obligé de rendre son auréole rouge de policier, cela étant, il aimerait quand même bien comprendre…

Le journal d’un ange est un petit roman distrayant, à mon sens très nettement influencé par Terry Pratchett et Léo Malet. L’intrigue façon grands comptes de wall street est un tantinet légère et les personnages manquent de profondeur mais le ton est drôlatique, le style plaisant, le cadre excellent – la grosse machinerie bureaucratique céleste vaut le détour, et les références à la hiérarchie angélique savoureuses.  J’aurais quand même préféré que l’auteur exploite plus largement ces aspects plutôt que de s’égarer dans des machinations financo-spirituelles parfois pesantes. Sans prétention et plutôt amusant !


Le journal d’un ange – Pierre Corbucci – 2004 – Folio SF

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Epitre

En ce beau dimanche chocolaté, j’avais pensé partager quelque beau sonnet de Louise Labé issu tout droit du magnifique livre que j’ai reçu en cadeau de Lou mais l’on me dit en coulisse que des sonnets d’amour ne siéraient pas aujourd’hui… bon. Une petite citation de Louise alors en prélude à de futurs dimanches poétiques par elle embellis.

 

“Estant le tems venu, Mademoiselle, que les severes lois des hommes n’empeschent plus les femmes de s’appliquer aus sciences et disciplines, il me semble que celles qui ont la commodité doivent employer ceste honneste liberté, que notre sexe ha autrefois tant désirée à icelles aprendre, et montrer aus hommes le tort qu’ils nous faisoient en nous privant du bien et de l’honneur qui nous en pouvait venir ; et si quelcune parvient en tel degré que de pouvoir mettre ses concepcions par escrit, le faire songneusement et non dédaigner la gloire, et s’en parer plustot que de chaines, anneaus, et somptueus habits, lesquels ne pouvons vrayement estimer nostres que par usage. Mais l’honneur que la science nous procurera sera entierement nostre, et ne nous pourra estre oté, ne par finesse de larron, ne force d’ennemis, ne longueur du tems.”

 

Louise Labé – 1555

Epitre dédicatoire (extrait)

À madamoiselle Clemence de Bourges, lionnoize

 

(et pan dans ton épitre, le Tarse)

 


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Il pleut du chocolat…

Aujourd’hui, je devais normalement publier un de mes 418 billets en retard (et qui d’ailleurs restent encore à écrire) mais des circonstances totalement indépendantes de ma volonté ont rendu la chose difficile  voire impossible car ce matin avant même que huit heures sonnent c’est la porte qui la fait… enfin disons plutôt que quelqu’un a sonné à la porte armé d’un énorme paquet. Qu’est-ce dis-je à la cantonade ? Car à cette heure là il y avait du monde ce matin et j’ai d’ailleurs eu bien du mal à ouvrir  mes paquets moi-même.

Et alors dedans, dedans…

paquetlou2.JPG Oui, vous avez bien vu, du chocolat, plein de chocolat et du bon. La TRES grosse tablette c’est du chocolat blanc rien que pour moi, la moyenne c’est du noir bio et derrière la GROSSE boite contient un assortiment de grands crus de chocolat  noir et au lait pour toute la familia. J’ai goûté les carrés au lait, ils sont divins (j’ai entamé le blanc aussi forcément, une tuerie mais j’ai dû le dissimuler soigneusement ensuite, tout le monde voulait y goûter, et puis quoi encore…)

Tout était parfaitement emballé et tout mais vous ne le verrez pas, les enfants rodaient autour de mes paquets comme la misère autour du pauvre monde, résultat photo ratée !

La journée s’annonçait bien et je n’étais pas au bout de mes surprises, dans la matinée voici ce que je découvris dans ma bal : attention les yeux.

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Un recueil de poèmes de Louise Labé, une auteure du 16e siècle que j’avais justement  terriblement envie de (mieux) connaitre, et dans une très jolie édition de 1947 du Club français du livre, aux merveilleuses pages vert pâle et toutes douces.

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La couleur ne se voit pas beaucoup mais elle est bien là, et en plus il sent bon ce livre… Une merveille vous dis-je !

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Alors un très énorme merci à Lou qui m’a envoyé toutes ces merveilles et nous a fait grand plaisir à moi et mes fauves chocolatovores…

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Route des Indes

Une anglaise d’un certain âge, Mrs Moore, accompagne aux Indes celle qui doit devenir la fiancée de son fils ainé, magistrat installé dans une ville moyenne du Raj britannique. Les deux femmes sont dès l’abord choquées et déçues de l’attitude des anglo-britaniques du cru et tiennent à rencontrer des hindous – ce qui ne se fait guère. Elles font la connaissance d’Aziz un jeune médecin musulman qui propose de leur faire découvrir quelques richesses touristiques, malheureusement dans une des grottes de Malabar, la jeune fille est agressée et les soupçons se portent immédiatement sur Aziz…
Dans ce tout dernier roman écrit dans les années vingt, Forster épingle avec une grande finesse la complexité des rapports humains dans les Indes Britaniques, tant entre anglais et autochtones, qu’entre musulmans et hindouistes voire comme à son habitude entre hommes et femmes. Tous les signes des troubles à venir sont bien là, dans la brutale insensibilité anglaise, mais aussi dans les contradictions inhérentes à la conditions de “colonisés éduqués” comme l’empire en a tant formé dans cette région du monde. C’est étonnant de lucidité, de justesse et d’acidité.
Encore une fois E. M. Forster traite de rapports humains contraints, compartimentés par les convenances d’une société pour laquelle il ne montre aucune indulgence – ici une micro société coloniale figée, intolérante, et d’une bêtise confondante. Mais contrairement aux autres romans que j’ai lu de lui, il n’y a guère d’espoir derrière tout cela, pas d’apprentissage, ni d’évolution… Les personnages semblent se complaire dans leurs illusions et aller toujours plus loin dans l’aveuglement, l’égoïsme et la bêtise. Nul soupçon de manicheïsme possible, tous sont plus antipathiques les uns que les autres, anglais et hindous dans le même panier. Même Fielding et Mrs Moore, les deux seuls personnages un rien tolérant, font preuve d’une étrange insensiblité et malgré la sublime dernière conversation entre Aziz et Fielding qui résume si magnifiquement la thématique du colonisateur et du colonisé, j’ai eu peine à éprouver une quelquonque empathie pour eux.
Une très beau roman donc, impressionant voire magistral mais empreint d’une amertume, d’une aigreur même qui en rend l’accès plus ardu que celui les autres oeuvres de l’auteur. Âpre !

Route des Indes (A passage to India) – E.M. Forster – 1924 – 10/18 – Traduit de l’anglais par C. Mauron (1927)


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Robâiyât (Quatrains)

443
Je suis né du sperme du néant.
Mon âme s’est épurée dans le creuset du chagrin.
Perplexe, je fais le tour du monde, pareil au vent
Ne sachant où l’on a pris ma poussière.

Omar Khayyâm (1021-1132)
Traduit du persan par Hassan Rezvanian

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Des violettes…

… il y en a plein mon jardin ! Or donc c’est le printemps.
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La cueillir quel dommage !

La laisser quel dommage !

Ah cette violette !

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Starvation lake

Starvation lake – Michigan, un de ces petits bleds où il ne se passe jamais rien, glacial de surcroit l’hivers, abonné à l’ennui et la promiscuité. Gus avait juré d’en partir et de se tenir loin. Seulement voilà, sa carrière journalistique, pourtant débutée sous d’excellents auspices, a connu un très gros raté – encore non réglé – et le voilà maintenant à la tête du journal local de son village natal à couvrir les conseils municipaux, interviewer des gens aux noms de famille proche de personnalités à la mode et publier des annonces d’un intérêt hautement local. Lorsqu’une motoneige appartenant à l’ancien entraineur de Hockey de la ville refait surface aux mauvais endroits, entendez dans un autre lac que celui où il est censé avoir sombré avec son propriétaire, Gus est peu à peu aspiré dans une enquête mal venue, mal considérée, peut être dangereuse et en tout cas  propre à faire exploser tout ce qu’il pensait savoir de sa ville, des gens qu’il a toujours connu voire ses propres souvenirs.
Ce premier roman est bon polar, l’intrigue est solide, l’atmosphère très prenante, les personnages plutôt attachants quoique le fameux Gus m’ait semblé un peu long à la détente, rien de vraiment original mais l’histoire fonctionne à merveille créant un bon suspens – difficile de poser le livre une fois qu’on est bien engagé dedans. Pour ma part les scènes de hockey m’ont paru un tantinet  longuette mais très honnêtement je suis partiale étant plus que réticente envers les sports collectifs en général et le hockey en particuliers – shame on me. Divertissant !

Starvation lake – Bryan Gruley – 2009 – Le cherche midi – traduit de l’anglais (américain) par Benjamin Legrand 2010

L’avis de Cuné, herisson, amanda …

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Robâiyyât (Quatrains)

442
Prends ta part des vicissitudes du temps
assieds-toi sur le trône de la joie et saisis la coupe
Dieu n’a que faire de notre culte et de nos péchés ?
Comble donc tes désirs en ce monde.

Omar Khayyâm (1021-1132)
Traduit du persan par Hassan Rezvanian

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Le premier homme

Intercesseur : Vve camus
A toi qui ne pourra jamais lire ce livre*

Ce dernier livre d’Albert Camus a été retrouvé inachevé dans les débris de la voiture où il a trouvé la mort en 1960. Trente ans plus tard, sa fille s’est décidée à publier cette ébauche et comme elle a bien fait.

Tout commence par une nuit pluvieuse de 1913, un bébé nait dans une campagne reculée quelque part en Algérie. Quarante ans plus tard, Jacques Cormery se rend  pour la première fois sur la tombe de son père mort en 1914 et dont il ne connait à peu près rien. Il pensait être indifférent et le faire uniquement pour complaire à sa mère, mais devant la tombe il a une sorte de révélation, être le fils d’un homme tellement plus jeune que lui, fait soudain exister à ses yeux l’épaisseur de silence qui les sépare. A cet instant commence une quête un peu vague, un peu floue, une quête du père, de souvenirs, de racines, d’explications tout simplement…
Ce roman est une petite merveille d’emotions. J’ai lu souvent que la lanque n’en était pas parfaite, non corrigée, rédigée au fil de la plume. Cela m’a fait un peu le même effet que d’apprendre que Stendahl avait rédigé sa chartreuse en six semaines,  car enfin quoi, j’ai passé mon temps à en recopier des citations tellement ces phrases sonnent claires et justes, résumant en quelques formules concises, des idées lumineuses sur la famille, le souvenir, l’Algérie, le silence, toujours le silence entre les gens, entre proches. Ce silence épais tissé par l’ignorance et la misère autour de l’histoire de sa famille.
Certains moments m’ont plus particulièrement touchée, ainsi quand ce fils devenu homme revient questionner sa mère sur le père qu’il n’a pas connu comprend qu’elle est incapable de faire remonter les souvenirs qu’il demande : “Elle disait oui, c’était peut être non, il fallait remonter dans le temps à travers une mémoire enténèbrée, rien n’était sûr. la mémoire des pauvres est déjà moins nourrie que celles des riches, elle a moins de repère dans l’espace puisqu’ils quittent rarement le lieu où ils vivent, moins de repères aussi dans le temps d’une vie uniforme et grise”.
Cette sensation d’être “sans passé, sans morale, sans leçon, sans religion” est profondément liée à son Algérie natale, mais aussi à la pauvreté, à l’ignorance qui pèse comme un carcan, à la condition de ces populations déplacées, étrangères partout car sans famille ni histoire, tant d’autres thèmes qui s’entrecroisent autour de cet enfant solitaire, de ce premier homme. Impressionant !

Le premier homme – Albert Camus (vers 1960) – Gallimard 1994

PS : un grand merci à Lou qui m’a donné envie de lire Camus, perdu de vue depuis mon adolescence, m’a conseillé ce premier homme et qui a écrit de biens beaux billets sur Camus ici et et et encore

PPS : Le beau billet de Gaëlle sur Camus

*La mère de Camus qui l’a élevé avec sa grand-mère et son oncle lui même sourd et quasi muet, était illettrée, sourde et avait des difficultés d’élocution à la suite d’une maladie contractée dans son enfance.
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