Les nouvelles affaires du juge Ti

Habituellement j’évite de consacrer du temps à écrire autour de livres que je n’aime pas, mais une fois n’est pas coutume, aujourd’hui j’ai très envie d’être négative, très très négative même…

J’ai déjà (beaucoup) parlé dans ces pages de mon bien aimé juge Ti et de son auteur Robert Van Gulik. Mon estimé frère-né-après-moi Thom et moi-même avons plus que clairement clamé notre admiration à la blogosphère lors de notre golden challenge. A priori je n’ai rien contre le fait que d’autres écrivains reprennent des personnages existants. Toutes celles qui savent le nombre de récit contenant un Fitwilliam Darcy que j’ai lu en conviendront. D’ailleurs la première suite des aventures du juge Ti écrite par Frédéric Lenormand, même si elle ne m’avait pas entièrement convaincue, avait respecté à mes yeux l’essentiel, c’est-à-dire les personnages et l’ambiance des précédents romans. Mes réserves étant sans doute due à mon grand amour pour les romans de Van Gulik plus qu’autre chose. Aussi quand Chiffonette m’a appris qu’il existait de nouvelles affaires du juge Ti écrites par un écrivain chinois résidant aux États-Unis, je en pouvais qu’être séduite. Elle m’avait pourtant prévenue….

Autant vous le dire, je n’irai pas au bout. Je ne doute pas que l’auteur, professeur à Harvard et ardent défenseur de la culture chinoise, ne soit un fin connaisseur de l’histoire de son pays mais cela n’en fait pas un romancier. Son recueil se compose de dix courtes nouvelles, chacune relatant pas moins de trois énigmes résolues en quelques heures par un juge que je n’ai pas reconnu. Les intrigues sont bancales et souvent incohérentes, les personnages (les PERSONNAGES, Ma Jong, Tsiao Tai, Tao Gan…) inconsistants, le juge primaire et là où Van Gulik, en un dialogue, nous instruisait des us et coutumes de la Chine antique sans même que nous en ayons conscience, Zhu Xiao Di truffe son texte de paragraphes explicatifs biens lourds. Le tout dans un style si laborieux que je me suis posé de sérieuses questions sur les éventuelles erreurs de traduction mais réellement je n’ai aucune envie d’aller consulter le texte d’origine en anglais. Je ne sais si tout cela aurait pu me convaincre d’écrire ce billet d’autant que je n’en ai lu qu’un peu plus de la moitié (soit 150 pages environ) mais le recueil commence fort aimablement par des remerciements, dont voici le deuxième paragraphe “J’ai réussi là ce que Van Gulik n’a pas été en mesure d’accomplir. La clé d’une de ses enquêtes réside en effet dans l’artifice d’écriture du testament d’un vieil homme, que Van Gulik n’a pu retranscrire en anglais. Il a remplacé cet élément de résolution par le plan d’un labyrinthe. Aujourd’hui, ce jeu sur les mots est aussi amusant en anglais qu’en chinois.” Si c’est un hommage, il est bien maladroit et effectivement la première nouvelle de cet opus réécrit en 26 pages une (petite) partie de la somptueuse intrigue du Mystère du Labyrinthe, mais étrangement je ne l’ai pas trouvé amusante. A vrai dire ce qui me chagrine le plus, c’est que cet ouvrage indigeste pourrait dégoûter les lecteurs qui ne connaissent pas encore le juge Ti, ce qui serait limite un crime de lèse littérature. Car comme je l’ai peut être discrètement laissé entendre dans les quelques dix-sept billets que je lui ai déjà consacré, le juge Ti, sous la plume de Robert Van Gulik, c’est un vrai bonheur de lecture. Lisez Van Gulik !

 

Les nouvelles affaires du juge Ti – Zhu Xiao Di – 2006 – traduit de l’américain par Anne Krief – 2010 – 10/18

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35 réponses à Les nouvelles affaires du juge Ti

  1. Karine:) dit :

    J’aime quand tu es méchante!! ;))

  2. Pimpi dit :

    Voilà qui remet à sa place cet auteur présomptueux!!!

  3. Turquoise dit :

    Houuuuu, ça sent drôlement le “coup” de marketing pour faire de l’argent, ce livre, et l’utilisation du (vrai) talent de Van Gulik à des fins purement mercantiles !  Bon, ben c’est le prochain que je ne lirai pas !

    • yueyin dit :

      Y’as peut être de ça, je crois aussi qu’il y a une volonté de réappropriation par un auteur chinois du personnage, ce que je peux comprendre mais alors qu’il le fasse bien… :-)))

  4. Chimère dit :

    C’est bon d’être négatif parfois…regardes toutes les économies que l’on va faire grâce à toi.

     

    PS: le colis est parti, arrivée probable mardi ou mercredi.

  5. Michel dit :

    Une femme pas méchante…. j’en reste sans mot !!!     lol

    mais merci tout de même car j’avais hésité

     

  6. Michel dit :

    Ma Souris est habituée à mon humour ! lol

  7. Lenormand dit :

    Merci, merci, merci ! Je pense de ce livre exactement la même chose que vous, mot pour mot. Mais quand je le dis (et on me demande souvent mon opinion), on croit que je me permets de tirer sur un concurrent. J’adore les enquêtes du mandarin Tan par les soeurs Tran-Nhut ou les enquêtes japonaises de Jérôme Noirez. J’ai lu la version anglaise, elle n’est pas meilleure. Le seul mérite de Zhu Xiao Di, c’est de nous démontrer qu’il n’est pas si facile d’écrire un bon polar historique (et j’en sais quelque chose !). Recevez toute ma gratitude pour avoir remis les pendules (les clepsydres ?) à l’heure.

    • yueyin dit :

      Ah nous sommes d’accord !!! Je n’ai pas trouvé de critique de ce livre. (bon en même temps, il peut passer inaperçu ce ne sera pas grave) L’auteur vient effectivement de prouver par le menu que connaitre un contexte ne suffit vraiment pas à le faire vivre, et encore moins à créer une intrigue efficace qui lui convienne.

      Je connais les enquêtes du mandarin Tran mais pas celle de Jérôme Noirez, il va falloir que j’aille jeter un coup d’oeil….

  8. Gaelle Nohant dit :

    Je pense que tu as dit ce qu’il fallait dire, de temps en temps il faut piquer une bonne colère et ça nous évitera de lire ou d’offrir ce livre ! Je n’ai pas lu toutes les aventures du Juge Ti par Van Gulick mais j’adore, et la phrase que tu cites de la préface est manque de respect et de modestie. Autant nous contenter du maître et éviter les copieurs laborieux qui prétendent continuer son oeuvre.

    • yueyin dit :

      Oui enfin celui-là, je n’ai rien contre les continuateurs en général (sinon je ne lirai pas tant de variations autour de mes personnages préférés) mais bon que ce soit bien fait quoi :-))))

  9. Copieur Laborieux dit :

    Ouah, merci Gaëlle ! J’ai la joue toute chaude.

    Yueyin, j’aurai plaisir à vous adresser un exemplaire récent des mes aventures du juge Ti au cas où vous auriez la curiosité d’y jeter un coup d’oeil. L’acuité de votre jugement sur mon cher collègue (l’autre copieur laborieux) m’incline à croire que votre opinion pourrait m’être instructive. Vous pouvez m’envoyer une adresse sur ma boîte email, ce sera avec plaisir.

    F. L.

    • yueyin dit :

      Je pense que Gaëlle voulait parler de Zhu Xia Di là, restons zen, je veux dire chàn :-)))

      Et bien c’est très gentil de me proposer une des dernières aventures du juge Ti (j’aime notre noble juge). Comme je le disais dans le billet, j’ai lu le Château du lac Tchou-an (http://lireouimaisquoi.over-blog.com/article-4095693.html) qui m’avait bien plu bien que je n’ai pu m’empêcher de comparer avec Van Gulik (mais n’était-ce pas inévitable surtout pour le premier que je lisais :-)). J’ai le second au chaud dans mon abominable et himmalayesque PAL – La nuit des juges, si je me souviens bien… mais bon si la proposition tient quand même, pourquoi pas ? 🙂

  10. Le juge Ti dit :

    Je suis toujours à la recherche d’un avis objectif et intéressant sur ce les productions de mon imagination. Les lecteurs (trices) qui arrivent à synthétiser un jugement clair et incisif sont très rares, même dans les maisons d’éditions (si, si). Or comment progresser si on ne sait pas ce qui ne va pas dans le récit ? Vous pouvez m’envoyer une adresse sur ma boite (Etioles chez gmail.com). J’ai aussi une page FaceBook.

    Sinon, dans votre liste de lectures à venir ci-contre, je vous recommande Souper mortel aux étuves, le côté culinaire est mené de main de maître.

    • yueyin dit :

      ah mais je l’ai lu celui-là et j’ai bien aimé… pour un peu j’aurais essayé les recettes 🙂 En fait dans la colonne ci-contre ce sont les livres lus en attente de billet (en encore je ne l’ai pas complétée depuis un moment aïe aïe aïe), je n’ai jamais osé (eu la patience de) lister ma pile-à-lire, elle fait peur 🙂

      Bon dans ces conditions d’accord (vous êtes vraiment bien aimable avec mes humbles avis), je vous envoie un message 🙂

       

       

  11. FL dit :

    Je m’en veux de rehausser encore votre pile des livres à lire, mais, d’un point de vue très égoïste, j’aime mieux avoir votre opinion sur mon dernier opus que sur un que j’ai écrit en 2003. Et puis celui-là, il sera dédicacé.

  12. dasola dit :

    Bonsoir yueyin, merci de nous prévenir. J’ai lu quelques enquêtes du “vrai” juge Ti avec grand plaisir. C’est dommage que les ayants droits de Van Gulik n’aient pas pu (ou voulu) rien faire concernant ces suites. Bonne soirée.

    • yueyin dit :

      JE ne pense pas que cela aurait été possible, le juge ti est un personnage historique chinois et avait déjà été le personnage central de récits chinois, Van gulik l’y a emprunté pour mon plus grand plaisir et tant mieux si d’autres contribuent à le faire connaitre et lui inventer d’autres (belles) aventures… mais c’est simplement mauvais et un peu méprisant au regard des oeuvres précédentes 🙂

  13. F. L. dit :

    En fait, en 2004, 10/18 a poussé les héritiers Van Gulik à attaquer mon éditeur pour interdire ma suite – ce qui est impossible, on ne peut pas copyrighter un personnage historique. Puis 10/18 s’est rendu compte qu’il avait manqué le coche (les suites font vendre les tomes de Van Gulik) et s’est rabattu sur ce pauvre Zhu Xiao Di, qui est encore pire que moi ! Désolé ! 😀

    • yueyin dit :

      Mouarrrrrf ils ne manquent pas d’air chez 10/18… moi je suis pour les variations et les what if cmme disent les anglais (what if mr Darcy bla bla bla et j’achète le livre aussitôt parole), je fais partie de ces lecteurs qui aiment d’amour les personnages de papier et qui ne demandent qu’à continuer de les voir vivre mais même temps je n’aime guère qu’on leur fasse des misères :-))) ce qui est définitivement le cas ici…

       

  14. FL encore dit :

    Cela dit, vous allez bientôt avoir le film. Tsui Hark, célèbre réalisateur cantonais, vient de sortir sa version du juge Ti en Chine ; en France cet hiver, je suppose. La bande-annonce est très alléchante (on peut la voir sur ma page Facebook). Le juge Ti est rajeuni et fait de la gondole dans des sous-sols tandis que les victimes explosent en flamme. Je sens que ça va vous plaire. 😉

    La raison pour laquelle les Van Gulik voulaient interdire les suites, c’était uniquement parce qu’ils espéraient faire une franchise commerciale pour vendre des produits dérivés sous le label “juge Ti”. Leurs avocats nous ont très bien expliqué ça. Triste monde, n’est-ce pas ?

    • yueyin dit :

      Ah ben du coup j’ai fait une petite recherche, j’ai bien sûr quelque part dans mes cartons Sept victime pour un oiseau d’André Levi et je songe à me commander l’impératrice des mensonges de Cooley et Altieri mais j’ai trouvé aussi qu’il ya avait déjà eu une serie BBC en 1969 et un film en 1974, tous deux ont l’air kitshissime ce n’est rien de le dire :-)))) mais heureusement aucun de met en scène Tsiao Tai (si si pour moi ça compte)

      bon je m’en vais voir la nouvelle BA, je m’attends à tout 🙂

  15. F. L. dit :

    Le film de 1974 est en effet très kitch mais sympathique, simple et honnête. Et puis “Le monastère hanté” est mon volume préféré, pour l’ambiance “mystères taoïstes par temps d’orage”.

    Méfiez-vous des versions Clooney-Altieri. Le juge Ti n’y tient qu’un rôle accessoire, c’est très lourd et laborieux – je vous recommande de jeter un coup d’oeil aux commentaires sur Amazon, ils sont assez justes, si ma mémoire est bonne.

    En revanche, “Sept victime pour un oiseau” est un livre charmant.

    Je ne sais pas si vous avez lu la trilogie de Dale Furutani (trois enquêtes d’un samouraï), j’ai beaucoup aimé. Il y a aussi “Fleurs de dragon”, de Noirez, chez J’ai Lu ; original et sympathique.

    Oups ! Votre pile de livres à lire continue de monter !

    • yueyin dit :

      Le monastère hanté est aussi un de mes préférés (pourtant il n’y a pas tsiao tai) 🙂 Je vais essayer de le trouver ce film tiens… En avril dernier, j’ai visité un temple taoiste près de Loyang, cela m’a fait tout drôle. Le juge des enfer était effrayant et si le juge Ti n’y était pas, j’ai vu le juge Pao si si si dans la galérie des génies 🙂

      J’ai aimé Sept victime pour un oiseau (mais il faudrait que je le relise, je ne me souviens pas vraiment) et les Dale Furutani, reste Noirez…noté !

      De toute façon, on n’a jamais trop de livres :-)))

       

       

  16. Thomas dit :

    [8 ans plus tard] Je suis tout à fait d’accord avec cet article 😛

    Et ce qui est fort, c’est que je ne l’aurais jamais lu si je n’avais pas été persuadé que tu l’avais aimé (je suppose que j’ai confondu avec le livre de F. Lenormand. Je suppose aussi je devrais m’excuser auprès de lui vu la daube.) Dès les premières pages, ça ne fonctionne pas du tout, on a l’impression qu’il y a plus de cahier des charges que de littérature là-dedans, et les énigmes sont tellement faciles que c’en est embarrassant pour les personnages (surtout pour Hong qui se retrouve tout de même dans un passage consternant à vanter l’intelligence de son maître pour avoir résolu un jeu de ponctuation à deux balles que 99 % des lecteurs avaient probablement solutionné au premier coup d’œil). J’ai essayé de tenir, et je veux bien reconnaître que même si ce n’est pas très bien écrit (ni très mal, certes), il y a quelques moments où on a subitement l’impression de retrouver un peu l’ambiance des RVG ; je suis assez fier d’être arrivé au milieu, moins de me dire que c’est uniquement parce que j’étais dans le train et que je n’avais pas d’autre livre sous la main. Impossible de finir ce truc, les enquêtes sont trop nazes, très répétitives, les personnages n’existent pas et la manière dont l’auteur exfiltre systématiquement la moitié des sbires du Juge souligne bien à quel point il n’est pas à l’aise avec ça (RVG faisait parfois pareil, certes).

    Bon, il me reste quoi à dire ? Ah oui : elles sont un peu longues tes vacances de blog 😉

    • yueyin dit :

      Ah Thom, tu me fais chaud au coeur… Un vrai commentaire ! Pour un peu tu me ferais retrouver ma motivation à écrire des billets 🙂 tiens c’est dit, j’en écris un aujourd’hui 🙂
      Ce bouquin là m’avait énervé au possible, la cuistrerie de l’auteur m’était resté en travers…

      • Thomas dit :

        Oui, son “j’ai fait mieux que Van Gulik” est un peu raide. Et même d’une manière générale l’avant-propos a un côté “je suis chinois, j’ai donc automatiquement quelque chose à apporter” qui est assez dérangeant. Je comprends l’idée (ou le besoin) de réappropriation, mais j’ai trouvé le ton assez déplacé, Van Gulik n’était pas (contrairement à nombre de créateurs occidentaux de son époque) un “pillard” qui aurait recyclé un pan de la culture chinoise pour en faire son business, tout au contraire. Bref, j’aurais oublié ce livre dans un mois je pense, mais si ça t’a fait écrire un billet, j’ai bien fait de le lire 🙂

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