Le goût de l’immortalité

Au fil des pages d’une longue lettre, une très vieille dame revient sur quelques épisodes marquants de sa jeunesse à Ha Rebin, Mandchourie ; à une époque où les gens se rencontraient encore facilement en personne, où l’on croisait des nord européens presque purs et peut-être même des papillons, où le sol était encore habité… plus pour longtemps. Une vieille dame digne sans doute, cultivée pour le moins, mais qui promet à son correspondant “de l’enfant mort, de la femme étranglée, de l’homme assassiné et de la veuve inconsolable, des cadavres en morceaux, divers poisons, d’horribles trafics d’humains, une épidémie sanglante, des spectres et des sorcières, plus une quête sans espoir, une putain, deux guerriers magnifiques dont un démon nymphomane et une… non, deux belles amitiés brisées par un sort funeste, comme si le sort pouvait être autre chose.

Que dire de plus sinon que ce roman porte exactement tout cela et plus encore, dans un décor dantesque qui ne ressemble que trop à notre futur, terre desséchée, eau empoisonnée, animaux-souvenirs, ghettos souterrains et privilégiés réfugiés dans des tours de verre et d’acier se haïssant et trafiquant ensemble pâte d’oxygène et aliments reconstitués. Cela fait un peu froid dans le dos, oui, d’autant que pendant ma lecture a eu lieu la fameuse alerte à la pollution de Ha Rebin, la Ha Rebin d’aujourd’hui – sachant que pour que la Chine parle d’alerte à la pollution, cela a du être quelque chose.

Catherine Dufour s’inspirant – pour la forme – des Mémoires d’Hadrien trace le portrait foisonnant d’un monde disparu pratiquement sous ses yeux, à la fois passé et futur, où se pose la question sans cesse renouvelée de la longévité – et plus si affinité. Mais pour quoi faire, à quel prix et dans quel but ? “les plus de cent ans possèdent le pouvoir (…) et qu’en font-ils ? Après tout qu’attendre de gens qui, au bout de cent années d’existence, ne sont morts ni d’amour, ni de dégoût, ni d’épuisement ? Un peu de sagesse ? J’en cherche les effets autour de moi et je ne vois rien. (…) Nous qui avons le temps, la connaissance et le pouvoir, nous ne savons que durer, nous n’avons appris qu’à nous survivre.”

Pour couronner le tout, ce roman est écrit dans une langue limpide, incisive et généreuse qui m’a ravie. Je connaissais la réputation “burlesque” de l’auteure et de sa série Quand les dieux buvaient – elle livre ici un roman d’anticipation puissant et chatoyant de noirceur. Beau comme le jaune souffre brillant d’un ciel toxique !

Le goût de l’immortalité – Catherine Dufour – 2005 – Mnémos

PS : Du coup j’ai envie de relire les mémoire d’Hadrien moi…

PPS : et en plus je viens de gagner chez le Traqueur un autre roman de l’auteure se déroulant dans le même univers, elle est pas belle la vie ?

Lu dans le cadre du challenge anticipation de Julie des magnolias

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Herland

Au tout début du XXe siècle, un trio de jeunes américains aventureux se lancent à la recherche d’un mystérieux pays peuplés uniquement de femmes. Chacun porté par ses fantasmes, ils ont imaginé toutes les formes que pourraient prendre une telle société, domination des hommes, sexes séparés voire mensonges institutionnels etc. la vérité se révélera totalement inattendue et changera à jamais leur vision du monde.

Herland est une utopie aux sens premiers du mot : une société idéale située nulle part. Concrètement, Gilman empreinte son cadre aux romans d’aventure en vogue à son époque – tels ceux de Henri Ridder Haggard ou Edgar Rice Burrough, et campe une vallée perdue, séparée du reste du monde par une infranchissable barrière montagneuse où – fantasme suprême – ne vivent que des femmes. Seulement loin de chercher à enrichir la littérature de genre d’une nouvelle variation autour d’aventures exotico-fantastiques teintées d’érotisme colonial, l’auteure utilise cet artifice pour camper sa société idéale. Un monde libéré des guerres et des maladies, de la pauvreté et de la peur, vu à travers les yeux de trois jeunes hommes – aussi étrangers que des martiens – totalement désorientés par les “femmes” si peu féminines qui les accueillent plutôt aimablement après une réception à la fois musclée et non violente.

Charlotte Perkins Gilman est célèbre pour son féminisme mais si la condition des femmes est au centre du roman – Van le narrateur se rendant peu à peu compte que ce qui lui semblait tout naturel dans la condition féminine n’était qu’une construction culturelle inférée par les hommes, elle aborde bien d’autres thèmes. La société qu’elle décrit est à la fois progressiste, non violente, socialiste et égalitaire. Ni classe, ni hiérarchie, ni honneur, ni argent… chacune travaille à l’oeuvre commune avec toujours en perspective l’idée d’améliorer l’efficacité et l’esthétique d’un élément de la société. La communauté et la coopération sont constamment opposées aux valeurs des hommes et notamment à celles de Terry – archétype du mâle occidental – l’individualisme et la compétition, amenant censément le lecteur – à travers les naïves questions des herlandiennes – à se poser de sérieuse question sur le bien fondée des dites valeurs. Plus intéressant encore, Gilman aiguillonne vertement traditions et religion, y opposant une vision entièrement fondée sur le rationalisme et l’efficacité – pourquoi demande l’une des protagonistes continuer à révérer des idées du passé quand nos connaissances ont tant évolué ? Une vraie remise en question du christianisme – si masculin – que je n’attendais guère dans un roman de  cette période.

Alors certes l’oeuvre reste marquée par son époque et Gilman cède un peu aux préjugés de son époque – tant qu’ils ne concernent pas les femmes – l’eugénisme et la conception de l’hérédité démangent un tantinet mais peu importe. Tel quel c’est un étonnant monument au féminisme, peut-être un peu étouffant cent ans plus tard – à Herland absolument tout doit  être utile,  les arbres ont donc tous été remplacés par des fruitiers, les animaux inutiles – les chiens – ont disparus et bien d’autres traits – mais bourrées d’idées étonnamment modernes dont certaines suscitent toujours autant d’intérêt. J’ajouterai quand même que la solution au problème purement sexuel de l’introduction de trois hommes dans un tel monde, illustre cruellement l’opinion que pouvait avoir une femme disons mûre – Charlotte était déjà divorcée et remariée quand elle a écrit ce roman – des “relations intimes” entre époux. Edifiant !

Herland – Charlotte Perkins Gilman – 1915

PS : Je ne vous ai évidemment pas révélé comment une telle société uniquement composée d’être humains de sexe féminins a pu perdurer… Vous aurez la surprise (quoique ce ne soit évidemment pas l’essentiel du roman).

PPS : Charlotte Perkins Gilman, célèbre à son époque, a eu un certain impact sur la littérature avec un renouveau dans les années soixante-dix quand son oeuvre a été exhumée des tiroirs où elle prenait la poussière. Elle a notamment écrit, à partir de sa propre expérience, ce qui doit être la première histoire d’une dépression postpartum : the yellow wallpaper. Margaret Atwood et Ursula Le Guin seraient ses admiratrices proclamées…

PPS : Herland n’a malheureusement pas été traduit à ma connaissance mais il est dans le domaine public et vous pouvez sans problème le trouver sur le net.

Bien que ce ne soit définitivement pas un roman d’anticipation, je l’ai lu dans le cadre du challenge Anticipation de Julie des magnolias avec qui j’ai partagé cette lecture et il rentre également dans le mois américain de noctenbule – coup double quoi 🙂

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Orage

Orage - Hourtin - 2013

Orage – Hourtin – 2013

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Une rançon

Depuis neuf jours, Achille debout, inconsolable, sur son char, va et vient sous les remparts de Troie, trainant dans la poussière le corps nu et saignant d’Hector. Mais pas plus que la mort de l’ennemi, la profanation de son corps n’amène le repos à son esprit ravagé par le deuil. Depuis neuf jours, du haut des murailles, Priam grand roi de Troie contemple en souffrance le corps de son fils jour après jour profané et souillé. Et puis au cours d’une nuit d’insomnie mêlée de mauvaise somnolence, une vision le trouble et lui fait entrevoir l’ombre d’une issue…

David Malouf revisite donc ici la célèbre visite de Priam à Achille – un père en chemise dépourvu de tout attribut royal venu supplier un autre père de lui rendre son fils mort contre un trésor de métal devenu sans valeur – et fait d’un des plus émouvants passages de l’Iliade une sublime méditation sur la vie, le temps, la vanité des apparences et de la place de chacun en ce monde – De la peine cruelle jusqu’à devenir inexprimable de ces archétypes, le roi et le héros, nait la sagesse, l’acceptation, de deuil, l’homme enfin, dépouillé de ses oripeaux d’apparat et soudain nu devant l’autre si semblable à lui-même. De quoi nous parle exactement l’auteur ? Je me suis souvent posé la question pendant ma lecture et toutes sortes d’idées se sont bousculées et se bousculent encore dans ma tête, de la guerre certainement – vain divertissement de dieux cruels aux dépens de mortels abusés, l’entêtement des apparences qui mène à la souffrance et aux regrets, l’aveuglement né de postures qui font passer à côté de l’essentiel, bien d’autres encore qui font de ce bijoux de livre écrit (et traduit) dans une langue magnifique un inépuisable sujet de réflexion et de plaisir. Préparez-vous à goûter la tranquillité fragile d’une journée de trêve, le froid de l’onde, la chaleur du soleil, l’âpreté de la poussière, en bringuebalant doucement au rythme d’une carriole menée par deux vieux hommes aussi différents et semblables que possible. Magnifique !

 

Une rançon – David Malouf – traduit de l’anglais (Australie) par Nadine Gassie – 2013 – Albin Michel  

 

PS : Deux questions se posent, pourquoi diable n’ai-je pas plus entendu parler de cette merveille de la rentrée ? et comment ai-je pu passer jusqu’ici à côté d’un auteur australien à l’écriture aussi sublime ? Je DOIS lire autre chose de lui…

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Soleil d’hiver

Saint-Antoine-Cumond -  Novembre 2013

Saint-Antoine-Cumond – Novembre 2013

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Manuel à l’usage des incapables

Jean-Jean, petit employé du service de sécurtié d’un supermarché tentaculaire, se retrouve bien malgré lui – mais non sans raison – la cible d’une vendetta des plus sanglantes. En décidant de liquider toute sa famille toutefois, le quatuor d’hommes loups lancés sur ses traces avaient compté sans les deux femmes de sa vie – la légitime à l’adn joyeusement saupoudré de mamba vert et la convoitée plutôt loutre question génétique. Femmes peu commodes l’une comme l’autre…

Alors disons le tout de suite, ce bouquin est quand même bien barré. En soi ce ne serait pas un mal d’autant que le style est réjouissant et que la dénonciation au vitriol du libéralisme galopant à la sauce mercatique est tout ce qu’il y a de plus réussie, dans une tonalité gris glauque bien angoissante. L’intrigue – un rien longue peut-être à mettre en place – est plutôt bien menée dans le genre  thriller sanglant et les personnages, quoique déprimés et déprimants, bien campés – mention spéciale pour les loups, effrayants comme dans un conte. Pourtant la sauce n’a pas pris et je me suis longuement demandé pourquoi. En fait, j’ai bien failli abandonner en cours de lecture alors que je trouve à ce roman des qualités objectives.

A la réflexion, je crois que c’est le langage qui m’a été indigeste. Il parait que l’auteur s’est longuement documenté pour rendre au mieux le langage des professionnels de la vente, et bien disons qu’en ce qui me concerne il a trop bien réussi. Je suis allergique à ce charabia – que j’entends déjà bien trop partout – alors à longueur de page et même pour en dénoncer le ronflant et le creux, c’est vraiment trop pour moi. Quant au côté désopilant vanté partout, j’y suis apparement insensible – j’y ai vu du cynisme et de la noirceur oui – un peu de facilité parfois, mais vraiment rien de drolatique… Ce monde – malgré quelques injections symboliques de gènes lupins ou reptiliens – ressemble bien trop au nôtre pour me faire rire. Allez, j’ajoute quand même un bonus pour pour le final, le coup d’ikéa (non je ne vous en dirais pas plus) après un final haut en couleur (non vous ne saurez rien) a réussi à me faire sourire (jaune). Sinistre !

Manuel de survie à l’usage des incapables – Thomas Gunzig – Au diable vauvert – 2013

Lecture commune avec Julie des Magnolias dans le cadre de son année de l’anticipation

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Silo

Depuis si longtemps maintenant qu’il ne reste aucun souvenir de la catastrophe, l’air de la terre s’est mué en poison pour l’humanité. Les survivants se sont réfugiés dans les profondeurs de la terre et plus précisément dans un cylindre de 144 étages reliés entre eux par un unique escalier métallique. L’étage supérieur abrite d’immenses écrans d’où l’on peut contempler l’extérieur, ou plutôt ce qu’il en reste un désert toxique et stérile. Malgré la tristesse du spectacle, cette vue est le dernier fil qui relie les hommes à l’extérieur et lorsque l’un d’eux commet un acte grave, c’est au nettoyage qu’il est condamné – condamné à sortir pour décrasser des objectifs des caméras avant d’être rongé par l’atmosphère délétère. Le plus surprenant étant que même les pires révoltés, ceux qui jurent jusqu’à la dernière minute qu’il ne feront jamais ce que l’on attend d’eux, s’exécutent toujours…

Les mondes clos m’ont toujours fascinée tout comme les romans post-apocalyptiques, alors les deux réunis, il me fallait y faire un tour. Bonne nouvelle, Silo, phénomène d’édition actuel, est un roman de facture classique plutôt réussi. Publié à l’origine en autoédition sur le net sous forme de nouvelles, il souffre cependant de quelques défauts de conception. Les deux premières histoires sont très réussies mettant en scène des personnages bien campés dans une atmosphère confinée suffocante à souhait et les intrigues fort bien menées permettent de découvrir en filigrane l’univers du silo, ses règles, ses coutumes, son organisation sociale, le tout dans un style agréable et efficace. La dernière histoire en revanche – la plus longue et de loin – écrite à la demande des fans des deux premières – qui se multipliaient – pêche nettement par sa construction et manque de rythme. L’histoire est beaucoup plus conventionnelle et les personnages secondaires moins fouillés. Reste une bonne déclinaison du thème de l’explorateur solitaire dans la lignée de Chroniques martiennes mais version graisse et boulon et un final un rien convenu mais bien accrocheur. Dans l’ensemble un bon roman donc qui aurait mérité l’oeil acéré d’un bon éditeur avant d’être publié – peut être touche-t-on là les limites de l’autoédition.

Entraîné par mon élan et par l’intérêt bien réel que présente ce monde clos, j’ai relu dans la foulée Les monades urbaines de Robert Silverberg dont le thème m’apparaissait étrangement similaire. Dans un futur quelques peu lointain, l’humanité a trouvé la solution à la surpopulation par l’avènement de la civilisation verticale urbmonadiale. Les hommes vivent maintenant enfermés dans d’immenses tours de 1000 étages totalement autosuffisantes. Ce microcosme s’organise en villages d’une vingtaine de niveaux dont la position marque le statut des occupants – les puissants en haut, les pauvres en bas – mais quelque soit sa position, tout le monde se doit désormais d’être heureux dans le meilleur des mondes.

La comparaison des règles strictes qui régissent ces deux univers fermés m’ont bien amusée tant elles reflètent leurs époques d’écriture – liberté sexuelle totale dans celui des années soixante-dix, liaisons contrôlées devant être déclarées et approuvées dans celui des années 2010. Obsession de l’énergie et de l’information dans ce dernier quand le mysticisme, l’hypertechnologie et les psychotropes dominaient le plus ancien. Là où Silo – essentiellement post apocalyptique – exhude la poussière grise du vieux métal, Les monades urbaines campe une pure dystopie toute en lumière dorée et gaité glaçante. La comparaison s’arrête là, le Silverberg, publié lui-aussi sous forme de nouvelles en son temps, est à mon sens bien meilleur tant du point de vue de l’écriture que des intrigues ou des personnages mais je suis sans doute injuste, c’est un de mes romans cultes. No futur !

 

Silo – Hugh Howey – traduit e l’anglais par Yoann Gentric et Laure Manceau – 2013 – Acte sud exofictions

Les monades urbaines – Robert Silverberg – traduit de l’anglais par Michel Rivelin – 1974 – Laffont


Lu dans le cadre de l’année anticipation de Julie et du mois américain à rallonge de Noc tembule

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Monde sans oiseaux

oiseauxIl parait qu’autrefois certains animaux traversaient le ciel grâce à leur ailes, de fins bras couverts de plumes qui battaient comme des éventails. Ils glissaient dans l’air à plat ventre, sans tomber. (…) On les appelaient “les oiseaux”. Petite, j’ai demandé à ma mère de me raconter, mais elle a changé de sujet. Cette histoire d'”oiseaux” est-elle vraie ? Voilà le genre de question que se pose Petite boîte d’os, la fille du pasteur, quand elle rêve sur les pontons de son village, près du lac dont les eaux semblent monter année après année tandis que la pêche – principale activité du coin – cède peu à peu la place à l’élevage de cochons amphibiesfluorescents. Car tout comme l’eau monte, le changement est inévitable et Petite boite d’os en sera inévitablement spectatrice. On ne saura pas grand chose de plus sur ces cochons qui luisent doucement dans le lac-cimetière, ni sur ces fameux oiseaux. Ont-ils existé ? Et si oui, que sont-ils devenus ? Mais on saura tout de Petite boîte, de sa famille, de sa vision du monde et de sa vie…

Comment parler de ce très court texte – à peine une cinquantaine de pages – d’une densité exceptionnelle. Je le vois comme un long poème en prose à l’écriture lumineuse qui aurait très bien pu s’appeler Vie ou Changement. J’aime son titre cependant, Monde sans oiseaux, car il épingle sans en avoir l’air la subjectivité de ce regard qui sera notre seule fenêtre sur ce monde qui reste un mystère. Je l’ai lu en apnée, d’une traite, je ne dirais pas fiévreusement car la langue est trop belle pour qu’on la survole mais sans pouvoir le poser une seconde. Non à cause d’un quelquonque suspens mais comme prise au piège de cette femme simple, aussi ordinaire et complexe que vous et moi. On grandit avec elle, on questionne, on se révolte, on s’assagit, on aime, on souffre, on vieillit et on referme le livre quelque peu désorienté et passablement hors du temps… Beau et effrayant comme un lac dont l’eau monte !

Monde sans oiseaux – Karin Serres – 2013 – Stock

L’avis de Julie des magnolias avec qui je partage cette lecture commune, lecture qui pourrait également faire partie d’un hypothétique challenge 1% de la rentrée littéraire (je me rapproche, j’en suis à trois livres lus sur six)

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Faillir être flingué

Quelques part dans l’Ouest, une ville surgit de terre. De partout, ils convergent fuyant ou suivant, convoyant une solitude, une histoire, un désespoir, mais de l’espoir aussi. Celui d’une vie meilleure, ou peut-être simplement d’un ailleurs. Qui en chariot bâché, qui à cheval, à pieds, en groupe ou solitaires… ils convergent à travers la prairie vers l’endroit qui les accueillera. Zebulon, Gifford, Arcadia, Bird Boisvert, Eaux-qui-courent-ensemble, Jeff, Brad ou Xia Niu, les voilà, ils arrivent…

Alors soyons clair, ce livre est un western, que dis-je un western, c’est l’essence même du western. Tout y est, cow-boys, indiens, fermiers, saloon avec entraineuses au grand coeur, baignoires fumantes (On imagine le cavalier crotté cigare au bec et chapeau sur la tête, immergé jusqu’au coup, si si vous avez déjà vu l’image), barbier (Grand Ennio quelle scène, tout droit sortie d’un Sergio Leone de légende (qui trouvera lequel ?)), Chinois doués pour le massage (et la blanchisserie), bref tout y est. Peut être pas l’Ouest historique – je n’en sais rien – mais certainement l’Ouest mythique tissé de toutes les références qui nous ont fait rêver depuis l’enfance, quand nous voulions tour à tour être le cow-boy ou l’indien – le côté fermier façon petite maison dans la prairie ne m’a jamais fait vraiment rêver – selon le dernier programme télé. Pourtant malgré cet assemblage de clichés, on est loin de la parodie. Faillir être flingué est un vrai western, drôle voire à la limite du burlesque, plein de personnages attachants, de paysages grandioses, de vraie magie et de situations cocasses ou dramatiques. Céline Minard manie une langue efficace, fluide et légère comme le vent sur la prairie et la met au service d’un roman hardiment mené et pour tout dire jubilatoire. Sur une musique d’Ennio Morricone !

Faillir être flingué – Céline Minard – Rivages – 2013

Les avis de Cuné et de Blue qui en parlent superbement.

Ce roman peut très bien faire partie du Mois américain – il se passe au Far West, suivez un peu – ou d’un Challenge 1 % de la rentrée littéraire que je n’avais pas prévu de faire mais qui pourrait bien être réalisé quand même.

PS : Alors vous avez trouvé quel film contient une scène d’anthologie à base de barbier hum ?

PPS : Et la balnéothérapie façon cigarillos, ça vous rappelle quelqu’un ? Ah Clint, Clint…

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Je m’appelle Asher Lev

Dans la communauté juive hassidique de Brooklyn, il n’est pas de place pour la futilité de l’art. Lorsqu’un de ses membres, tout jeune fils d’un important émissaire du Rebbe, révèle une passion inquiétante pour le dessin, chacun est persuadé que ces puérilités n’auront qu’un temps et qu’en grandissant l’enfant saura se consacrer à l’étude avec tout le sérieux requis. Pour le jeune Ashev cependant, renoncer à son don même pour satisfaire des parents qu’il révère, s’avère une épreuve insupportable. Peu à peu, il se rend compte qu’être soi-même peut mener à des choix cruels pour lui comme pour les autres…

C’est une conversation enthousiaste avec Cécile autour de Hadassa (mon coup de coeur de l’été), de la religion en général, des traditions et du judaïsme en particulier qui m’a amené à ce livre (en fait qui a amené ce livre dans ma boite aux lettres, encore merci Cess pour ce beau présent), et quelle belle découverte ce fut. Tout d’abord pour cette plongée dans une communauté plus que jamais fermée sur elle-même dans ces années cinquante où aux souvenirs de la guerre s’ajoutent, pour ces ashkénazes originaires d’Europe de l’est, les nouvelles d’une Union soviétique aussi antisémite que la Russie tsariste. Mais aussi et surtout pour cette confrontation entre deux univers incompatibles (et pour moi aussi exotique l’un que l’autre) – celui de la famille – au sens large -, de la religion et de tout ce que Ashev connait d’un côté, celui de ses aspirations de l’autre. Des aspirations tyranniques, incontournables, obsessionnelles le contraignant à des choix qui – il le sait – susciteront incompréhension et souffrance autour de lui. Cette passion exigeante m’a souvent rappelé Corps et Âmes de Franck Conroy, autre éblouissante trajectoire d’un Wunderkind mais dans le monde de la musique. Chaïm Potok a l’art de tracer des portraits puissants, celui d’un père aimant mais incapable de comprendre son enfant, celui d’une mère déchirée entre son fils, son mari mais aussi les impératifs de sa religion qui la pousse à choisir une voie de dévouement aux autres, à la communauté. Choix que chacun attend d’Ashev et qu’il ne peut se résoudre à faire. Fascinant !

Je m’appelle Ashev Lev – Chaim Potok – 1972 – traduit de l’anglais (américain) par Catherine Gary et Fabrice Hélion

PS : Il y a une suite – Le don D’Ashev Lev, écrite dix-huit ans plus tard et qui m’appelle…

PPS : Non je n’ai jamais écrit de billet sur Corps et Âme, honte sur moi, mais lisez-le, il le vaut bien…

Je crois bien que ce livre peut s’inscrire dans le mois américain de Noctambule, comme ça tombe…

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