« Il faut se méfier des mots. Ils commencent parfois par désigner et finissent par définir. Celui qu’on traite de bâtard toute sa vie pour lui signifier sa différence ne voit pas le monde du même œil que celui qui a connu son père. Quel monde pour un peuple qu’on traite de sauvages durant quatre siècles ? »
Un après-midi de juin, le bus scolaire de la réserve mi’gmaq de Restigouche est bloqué sur la route. Des gyrophares scintillent dans tous les sens, les gens courent, les forces de police du Québec, venues en nombre, semble avoir encerclé les lieux. Inquiets pour leurs parents, quelques écoliers s’échappent du bus pour rentrer chez eux malgré le chaos ambiant. Pour Océane, 15 ans, c’est le début d’une épreuve qui la marquera pour longtemps…
1981, le Québec est en pleine crise institutionnelle. Après l’échec du référendum de 1980 sur la souveraineté, le parti québécois à l’origine dudit et réélu de frais, entend affirmer son indépendance face à l’autorité fédérale canadienne. Or si les droits de pêche sont sous juridiction provinciale, les réserves dépendent le l’administration fédérale. Une belle occasion pour le gouvernement québécois de montrer qu’il est maître chez lui serait-ce au dépens des autochtones à qui il entend interdire de pêcher le saumon – activité traditionnelle s’il en fut. Et ainsi un peuple en lutte pour sa langue et son autonomie se retrouve à s’en prendre à une minorité plus mal lotie pour se faire entendre. Paradoxe ? Sans doute mais nourri de tout un contexte que Taqawan* s’emploie admirablement à nous montrer** à travers l’histoire tragiquement banale qui va réunir pendant quelques jours, quatre personnalités très différentes.
Dans les livres de Eric Plamondon, j’aime tout : l’écriture, les sujets multiples qui s’emboîtent, l’humour par l’absurde, l’humanité souffrante des personnages. Mais ce qui m’impressionne le plus c’est sa maîtrise de la narration collage. (J’invente des mots si je veux). Taqawan, comme Hongrie Hollywood express avant lui – se présente comme un assemblage de courts chapitres, rassemblant, tressant, tissant une histoire bien plus large et complexe que son intrigue, à travers ici un conte, là une rencontre, une recette, un viol, une précision linguistique, une poursuite en canoé, un rappel historique et bien d’autres choses encore… Et à la fin, on s’aperçoit que tout se tient, qu’on aime chaque personnage, que les pages ont tourné toutes seules et qu’on est bien marrie d’avoir encore une fois à quitter la Ristigouche et ses reflets. (C’est qu’il m’y avait déjà emmené dans sa nouvelle éponyme qu’on retrouve aujourd’hui dans le recueil Donnacona***** et que je ne saurais trop vous recommander). C’est grave et pétillant, engagé mais sans manichéisme, allègre mais plein d’enseignement, à mille lieux de la caricature ou de l’angélisme facile. C’est tout ce que j’aime dans un roman. Grisant !
Taqawan – Eric Plamondon – Quidam 2018 – Le quartanier 2017
Les avis enthousiastes (entre autres) de Karine, Keisha, la cause littéraire, ceux moins convaincus du papou et de catherine – Et on me souffle dans l’oreillette (l’oreillette actualitté précisément) que Taqawan vient de recevoir le prix France Québec littérature 2018 – il était déjà détenteur du prix des chroniqueurs de Toulouse polars du sud 2018.
*Taqawan c’est le nom que les mi’qmaq donne au jeune saumon qui revient pour la première fois pondre dans la rivière de sa naissance.
**à Toulouse polar du sud, l’auteur racontait que ce qui l’avait frappé quand il avait découvert cette histoire, c’est que lui québécois n’en avait jamais entendu parler, ce qui l’avait amené à se rendre compte que les amérindiens était largement invisibles dans l’histoire du Québec telle qu’il l’avait apprise. Des propos qui ont été droit au coeur de l’ancienne étudiante en anthropologie qui avait suivi avec effarement la crise d’Oka en 1990. (oui c’est moi)
***Ah et je comprend maintenant pourquoi il a rigolé quand je lui ai dit que j’étais anthropologue – c’est baveux ça Eric – mais je ne vous dirais rien, lisez le livre
****Ce qui me fait penser que la conversation entre Yves et Caroline qui mène à leur rupture est quasiment l’écho parfait d’une conversation (heureusement moins dramatique) que j’ai eu il n’y a pas si longtemps. Le mot nationalisme ne sonne vraiment pas tout à fait pareil de part et d’autre de l’atlantique.
***** Saviez-vous que Donnacona en plus d’être une ville québécoise, était le nom d’un chef iroquaien qui accompagna Jacques Cartier en France et eu quelques entretiens avec le roi François 1er ?
******Oui j’aime les billets courts mais parfois, j’ai trop de chose à dire (comment ça je suis bavarde ?) (je crois que je viens de battre mon record de notes de bas de billet)
je n’arrive pas encore à me décider à lire cet auteur, lequel conseillerais tu pour commencer?
Ah difficile, Hongrie Hollywood express m’a conquise mais il est très particulier, Ristigouche est juste magnifique et très court, peut-être que ce serait un bon début (il a été publié seule et dans le recueil Donnacona), Taqawan est excellent aussi dans un autre genre plus polar…
Après un avis mitigé, je lis ton avis enthousiaste… Qu’en penser ?
dans ces cas là, il faut lire 😀
J’aime bien “narration collage” 🙂
Moi je parle de kaléidoscope.
J’ai beaucoup aimé aussi comme “Ristigouche” l’an dernier.
Un auteur que nous apprécie en commun on dirait 🙂
Hélas je n’ai pas eu le temps de le lire pour la bonne dat mais ce n’est que partie remise.
Voilà après tout l’important c’est de lire, les dates c’est pour se guider pas plus 🙂
J’avais beaucoup aimé le collage des épisodes contemporains et légendaires, les rappels historiques sur les us et coutumes de la pêche au saumon, à l’amérindienne. Mais la course poursuite finale, façon thriller sur rivière, a un peu douché mon coup de coeur !
Oui je comprends ça mais c’est intéressant comme mélange de genre 🙂
Tellement envie de lire celui-là ! Merci pour la piqûre de rappel.
Ouiiiiii tu vas lire québécois 🙂
Une lecture passionnante et qui m’a appris pleins de choses.
Ah tant mieux, je suis contente 🙂
tu as probablement l’avis le plus enthousiasme sur cette lecture cette année, mais j’avoue que l’avis de catherine m’a refroidi avec l’effet de tout vouloir mettre.
Je savais que Donnacona était un nom amérindien, mais je ne savais pas qu’il avait été rencontré le roi!
Je viens de l’acheter. Rien que la 4eme de couverture, elle me tentait !
74beozzo