1922, la très jeune et très désargentée Anne Beddingfeld, depuis peu orpheline d’un père éminent paléontologue, se passionne pour un fait divers et de fil en aiguille se retrouve embarquée (c’est le cas de la dire) dans une folle aventure qui la mènera au bout du monde…
Voici un “si vous avez manquez le début” bien peu orthodoxe comparé au quatrième de couverture des éditeurs mais en gros c’est bien de cela qu’il s’agit. Certain diront (avec raison) que je manque singulièrement d’objectivité quand il s’agit de dame Agatha, néanmoins son quatrième roman (l’homme au complet marron donc, prenez des notes) est, à mon avis, une réussite dans le genre et un de mes préférés de toujours. (J’ai effectivement un assez grand nombre de préférés dans son oeuvre mais il y en a tout de même bien un ou deux ou même trois que j’aime moins, sachez-le). Mais revenons à notre roman, il n’appartient pas à la veine de ce que j’appelle les exercices de style (le crime du golf, le meurtre de Roger Ackroyd ou Dix petits nègres), ni franchement à celle des whodunit ou polar à énigme. Il n’appartient pas non plus à la lignée des grands détectives (quoiqu’il marque la première incarnation du bronzé et taciturne Colonel Race qui fera des apparitions régulières dans l’oeuvre de l’auteur). Il s’apparente plutôt (en fait c’est le premier) aux romans d’aventures populaires de la reine du crime : des voyages, de l’exotisme, une héroïne moderne (pour l’époque) et spirituelle, un soupçon d’énigme policière, une histoire un rien abracadabrante, un zeste d’espionnage à base de sociétés secrètes et de vastes complots, beaucoup d’humour et une dose (un peu indigeste pour Isil) de romantisme. On retrouvera plus tard les mêmes ingrédients (voire les mêmes scènes) dans Rendez-vous à Bagdad ou Destination inconnue voire jusqu’à un certain point dans le secret de Chimneys. C’est enlevé, léger, ébouriffant, aussi réaliste dans l’écriture (les Christie avaient fait le tour du monde en paquebot au début des années 20) qu’invraisemblable dans les faits, bref un régal en ce qui me concerne.
Oeuvre de jeunesse par excellence, ce roman mêle les genres (polar, espionnage, aventure) dans lesquels l’auteure devait plus ou moins s’illustrer par la suite (avouons que ses incursions dans l’espionnage quoique parfois réjouissantes ne sont pas ce qu’elle a écrit de mieux), teste l’exercice de style par sa construction en alternance entre le récit de l’héroïne et le journal d’un autre protagoniste (je n’en dirais pas plus mais il me semble tâter le terrain pour l’une des plus célèbres énigmes de l’auteure*) et si Anne est bien à l’image d’Agatha, disons qu’elle nous brosse un autoportrait en jeune fille romantique, enthousiaste et rieuse bien différent d’Ariane Oliver son alter ego plus tardif.
J’ajouterai deux autres raisons d’apprécier ce roman. Comme il apparait que je suis loin d’être la seule inconditionnelle de la dame, Anne Beddingfeld se trouve être à l’origine d’une lignée fictionnelle, certes confidentielle mais néanmoins fantabuleuse. Lorsqu’il y a quelques années j’ai découvert Un crocodile sur un banc de sable, j’ai exultée (car j’exulte parfois en lisant mes enfants en sont fort marris) en reconnaissant en Amelia Peabody, une Anne un peu plus mûre et d’un caractère plus rugueux (sans parler de l’ombrelle) mais à la filiation indéniable – d’ailleurs tout le début du Crocodile… est un hommage à l’homme au complet marron comme la suite est un hommage à l’égyptologie du tournant du siècle (le XXe s’entend). Je vous la fait courte, à la mort de son père, un éminent archéologue passablement distrait, Amélia devenu orpheline, décide de voyager à travers le monde et se retrouve embringuée dans une aventure plus ou moins policière en plus de rencontrer l’archéologie et l’homme de sa vie. Si nous ajoutons à cela que ladite Amélia a évidemment servi de modèle à l’Alexia Tarabotti de Gail Carriger, vous conviendrez que dame Agatha savait créer des personnages inspirants. Au demeurant n’a-t-elle pas épousé elle-même un archéologue affichant le mépris de Radcliffe Emerson pour toute civilisation postérieure à 1000 avant JC, avant de se passionner pour sa discipline.
Enfin, apprenez si vous l’ignorez encore que l’un des épisode (the unicorn and the wasp – saison 4 épisode 7) de la très cultissime série Doctor Who rend un vibrant hommage à Dame Agatha comme seuls les anglais savent en concocter. Le docteur y est incidemment appelé the man in the brown suit en référence à son inséparable costume. (Certes ce passage a été coupé au montage mais croyez-vous vraiment que cela peut arrêter une vraie fan ?).
Avec quelques folledingues passionnées du docteur et de la romancière, Isil et Pimpi (qui parlent aujourd’hui de ce même roman) Karine et Fashion (qui en sont au Secret de Chimneys) et chiffonette (qui n’a rien écrit la vilaine) (sorry si j’en oublie gentes participatrices), nous nous sommes d’ailleurs mises au défi (oui oui challenge) de relire dans l’ordre de parution tous les romans dont il est question dans cet épisode. Ce qui me donne une bonne excuse pour vous parler d’une de mes auteures fétiches et pour la lire enfin dans la langue du grand Will. Culte !
The Man in the Brown Suit – Agatha Christie – 1924
précédemment dans le challenge For the love of the unicorn and the wasp
* Le meurtre de Roger Ackroyd
PS : Le colonel Race apparait dans quatre romans, l’homme au complet marron (1924), carte sur table (1936), Mort sur le Nil (1937) et Meurtre au champagne (1944).
Comme je l’ai écrit il y a peu je vais relire tout Agatha avant d’attaquer ma PAL en 2051.
Beau papier,
Le Papou
Bah tant qu’il y a des livres à lire… tout va bien !
D’accord avec tout ce que tu dis, ton billet est juste parfait.
merci ma twin, je me suis un peu lachée là, ce doit être l’effet Agatha 🙂
Ok. Je vais faire le plus constructif commentaire de la terre entière: je suis d’accord. Avec tout. Voilà.
Je trouve ça très constructif quoique pas spécialement surprenant (étonnament, c’est aps comme si on était souvent d’accord toutes les deux !)
En VO en plus !
Bonne chance pour la suite !
Je me régale, en fait c’est facile à lire comme tout, surtout quand on les & déjà appris par coeur en français, je remarque même les changements par rapport aux versions traduites 🙂
Eh bien, j’en ai appris, des choses, en lisant ton billet ! Et je ne crois pas que j’ai déjà lu ce titre … mais bon, je ne fie plus vraiment à ma mémoire, surtout quand il s’agit de lectures qui datent d’il y a 30 ans !
ah ben j’en suis contente, il y a toujours à apprendre sur dame agatha 🙂
Un grand souvenir de lecture pour moi aussi, je l’ai lu et relu, surtout à l’adolescence !
un petit must 🙂
C’est un de mes romans préférés d’Agatha Christie.
J’adore l’héroïne, ses histoires d’amour et l’enquête policière est très sympa (mais moins aboutie sans doute que les suivantes)
J’ai déjà réservé le premier tome de gail carriger mais grâce à toi, un crocodile sur un banc de sable rejoint ma wishlist! Un de plus suite à une visite sur ton blog!
Ah moi aussi je l’adore, c’est moins une histoire policière qu’un roman d’aventure c’est sûr mais je l’adore et je te conseille ardemment un crocodile sur un banc de sable et toute la série des amelia peabody (qui a insiré plus qu’un peu gail garriger), c’est drôle, exotique, il y a des homems séduisants et des femmes de caractère et c’est egyptologiquement érudit : que du bonheur 🙂