L’Annexe

Être une espionne – une agente secrète, une tueuse à gage, qu’importe – impose des règles : ni goûts affichés, ni personnalité marquée, ni habitudes d’aucune sorte. Seulement Anna, entre deux missions, ne peut s’empêcher d’aller méditer dans l’Annexe, ce grenier amstellodamois ou deux familles juives s’enfermèrent en 1942 pour tenter d’échapper à l’extermination. Celle-ci les rattrapa mais il en resta un surprenant journal, une œuvre littéraire à la fois de jeunesse et d’enfermement qui marqua la littérature d’après-guerre et rendit célèbre le nom d’Anne Franck. En quoi Anna, courant d’air humain, qui a renoncé à toute empreinte sur le monde se sent-elle concernée par ce journal ? telle est la question, ou plutôt l’une des questions. Car méditant pour la énième fois dans l’Annexe, elle se rend compte qu’elle est suivie et à partir de là, bascule dans le système de protection de son organisation. Quelque chose comme le statut de témoin protégé mais en pire car elle se retrouve enfermée dans un appartement avec huit colocataires dans la même situation sous la garde d’un majordome aussi extravagant que fantasque, Celestino prétendument cubain et sincèrement épris de littérature. Sans doute la seule chose sincère chez lui car dans cette appartement soit disant protégé et réellement étouffant – comme l’était l’Annexe d’Anne Franck – le mensonge et la mort rôdent de concert…

Le journal d’Anne Franck est une source inépuisable d’inspiration pour les écrivains semble-t-il, Philippe Roth, dans l’écrivain des ombres avait fantasmé une vie pour cette jeune enfermée que l’écriture sauva de l’ennui sinon des hommes. Chez Catherine Mavrikakis, la fascination tourne essentiellement autour des liens entre enfermement et littérature ; liens nombreux sans doute, et divers car là où Anne s’évadait dans les pages de son journal, Anna s’enferme dans la littérature des autres. Analysant ce qui l’entoure à travers une grille obstinément littéraire, elle y croise les Tourgueniev, Meursault, Morel mais aussi Moortj le chat des Franck ; Célestino en fait son Albertine à moins que ce ne soit sa Valentina selon qu’il se sent plus Proust que Puig*. Réalité ou fantasme, la littérature brouille les pistes et le lecteur se perd un peu dans cette danse de mort et de références. Alors certes cela se lit fort bien. Si elle perd un peu en puissance, l’écriture de Catherine Mavrikakis reste évocatrice et limpide, la construction – joyeuse déconstruction plutôt des codes du roman d’espionnage – est aussi leste qu’entraînante – du moins au début. En revanche, à force de dissimuler ses personnages sous des couches de mensonges, logorrhées et faux-semblants, elle peine à nous intéresser à leur sort. On s’en moque un peu d’Anna et Celestino, il faut bien le dire, et c’est là à mon sens, la faiblesse de ce roman. Littéraire !

L’Annexe – Catherine Mavrikakis – Héliotrope 2019 – Sabine Wiesperer 2020

*Le baiser de la femme-araignéeest un roman argentin de Manuel Puig  publié en 1975 racontant un huis clos entre deux prisonnier dans une geôle argentine – en tout cas, ça m’a donné envie de le lire, mais plus tard quand on aura enfin le droit de sortir

PS : car vous aurez remarqué que ce roman sur l’enfermement vaguement volontaire est tout à fait d’actualité

Lu dans le cadre du très fabuleux Québec en Novembre, catégorie “J’aurais voulu être un artiste”: livre avec de l’art à l’intérieur

déjà chroniqués de Catherine Mavrikakis

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10 réponses à L’Annexe

  1. cuné dit :

    M’a l’air trop intello pour moi, malgré le thème intéressant.

  2. Anne dit :

    Jamais lu Catherine Mavrikakis, tes bémols me font hésiter bien que cette histoire d’enfermement m’intéresse. Tu conseilles quoi en priorité ?

    • yueyin dit :

      J’ai préféré les deux autres ouvrages que j’ai lu d’elle : Le Ciel de Bay City et Oscar de Profundis, l’Annexe reste un ouvrage intéressant et agréable à lire mais moins convaincant à mon sens 🙂

  3. Des thèmes très originaux pour ces lectures québécoises.

  4. Ingannmic dit :

    Le sujet m’intéresse, mais entre tes bémols, et le fait que j’ai détesté Le ciel de Bay City.. je passe !

  5. noukette dit :

    Franchement je me suis perdue dans ce roman, pourtant l’idée de départ me séduisait beaucoup !

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