La Rage

La-rage-de-Zygmunt-MiłoszewskiTeodor Szacki est désormais procureur dans la ville d’Olsztyn célèbre pour ses onze lacs, son passé prussien et les beaux bâtiments qui lui restent de cette époque. Nouvelle ville, nouveau départ pour notre atrabilaire procureur qui vit avec une nouvelle compagne et son ado de fille. Ce qui ne va pas sans heurts et lui cause bien des contrariétés. D’autant que c’est un peu calme sur le plan professionnel et qu’il aimerait bien un peu plus d’action, une belle enquête peut être, ou plutôt un bon meurtre pour dire les choses, quelque chose qui lui stimule un peu les neurone et lui permette d’utiliser ses bien réelles compétences d’enquêteurs. Et malheureusement, il va être exaucé, notre Téodor, et au delà de ses rêves les plus obscurs.

Après s’être frotté aux souvenirs douloureux de la Pologne communiste à Varsovie dans Les Impliqués et avoir exploré les relents de l’antisémitisme à Sandormierz dans Un fond de vérité*, Zygmunt Milosewski confronte ici son procureur fétiche – un peu aigri et bien mal embouché – aux violences faites aux femmes. Et comme toujours il le fait avec une précision et une pertinence qui fait un tantinet froid dans le dos. Du sexisme le plus ordinaire, dont Szacki est loin d’être exempt, aux pires violences, il entrelace les fils de son intrigue et conduit ses personnages jusqu’au point de non retour, brossant en creux le portrait d’une Pologne contemporaine à la fois tournée vers l’avenir et rongée par le passé, la désorganisation voire l’incurie. La Rage est un très bon polar prenant et bien écrit, tout au plus – si je devais mettre un bémol – regretterais-je quelques questions restées sans réponses mais mon rationalisme est un peu chatouilleux. Cet opus marque, semble-t-il, la fin des aventure du procureur Szacki et c’est bien dommage. Objectivement son égotisme finissait par considérablement m’agacer je l’avoue, mais le suivre dans ses enquêtes fut un vrai plaisir… Dépaysant !

La rage – 2014 – Zygmunt Milosesewski – traduit du polonais par Kamil Babarski – Fleuve éditions 2016

L’avis de Ys qui l’a fait connaitre ce cher et agaçant procureur

*non chroniqué, my bad

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Techno faerie

51myti0yHmL._SX195_“Comment ça, privé de livres ?
– Et ce n’est que le début, mon garçon. Tu connais les lettres, les mots et les histoires, tu les connais peut-être trop bien. Alors, pour commencer, tu arrêtes les livres et tu apprends. Tu apprends la forêt, les arbres, les plantes, les feuilles et l’encre. Après, on verra.
– Mais je ne peux pas vivre sans livre !”

Et les fées sont sorties de sous la colline… Non pas les fées des livres d’images, issues d’un temps où le bougeoir était le top de l’équipement high tech, mais des fées d’aujourd’hui, ayant appris des hommes les bienfaits de la technologie, pour peu qu’on la purge de ses allergènes ferreux. Et il est temps que les hommes et les fées se rencontrent si l’on veut – quelle que soit son origine – qu’il y ait encore une terre où vivre, parce que laisser les rênes aux hommes n’a clairement pas été l’idée du millénaire et qu’on ne sera pas trop de tous le monde, mortels et immortels, pour réparer tout ça. Enfin si tout se passe bien et que les hommes surmontent le choc parce que évidemment apprendre que trolls, pixies et licornes peuvent batifoler dans leurs arrière-cours n’a jamais plu aux humains, la magie les déconcerte voilà, mais avec un peu de persévérance…

Techno faerie est ce qu’on appelle un fix-up, un arrangement en somme, une anthologie, un bouquet de nouvelles autour d’un monde où la technologie ayant muté sous la colline, les faes se retrouvent prêtes à faire leur coming-up – arrivée en forme de révélation – à la face de l’humanité dans le but quand même assez clair d’enrayer le désastre écologique en marche. Les nouvelles se présentent sous des formes diverses, explorations initiatiques façon magicien d’Oz, journal intime d’un ingénieur traumatisé (le rationalisme vit des jours difficiles), extrait de journaux ou de manuels d’histoire, chroniques révolutionnaires, Space opéra magiquement modifié… Un arrangement éclectique donc mais qui brosse un vrai portrait de monde, cohérent, dense, bariolé, dans une veine optimiste (ça nous change) même si la magie d’êtres bienveillants ne peut jamais éluder la présence de résistances tout aussi magiques et plus dans la veine des histoires horrifiques d’autrefois. C’est joyeux, coloré, drôle, fort bien écrit et bellement illustré – le dernier tiers du livres est consacré à un très beau glossaire, en images et en couleurs, des différentes fées, classiques et traditionnelles ou récentes et inédites (en tout cas pour moi), signé de noms prestigieux (j’ai un faible pour Caza que voulez-vous) – un bel ouvrages à recommander à tous ceux qui – comme moi – aimerait bien qu’un jour, un lutin (évitons les trolls merci, on les dit bourrus et parfois affamés) vienne leur faire la causette. Chatoyant !

Techno faerie – Sara Doke – 2016 – Les moutons électriques

PS : Vous vous demandez peut être ce que vient faire la citation en exergue. D’abord je l’aime bien, on dirait moi, ensuite et bien ensuite c’est pour vous faire entrevoir que je suis très loin d’avoir résumé tous les thèmes qui foisonnent dans ce bouquin… Car bien sûr il n’y a pas que du mauvais dans l’homme et du bon chez les faes.

PPS : J’avais très envie de lire Sara Doke qui est la traductrice de la magnifique Fille automate de Paolo Bacigalupi (en plus d’être celle d’Ilona Andrews pour ceux qui apprécient la très irrévérencieuse Kate Daniels). Et j’ai bien fait.

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Défaite des maitres et possesseurs

Défaite-des-maîtres-et-possesseurs“Qui veut être le maître se perd ; qui veut par-dessus tout compter au nombre des possesseurs ne se maintiendra qu’en dépossédant tous les jours tous les autres”

Quand Malo rentre chez lui ce soir-là, c’est pour trouver un appartement vide et une soirée pétrie d’angoisse.  Tant de choses peuvent arriver à Iris seule dans la ville. Et il a raison d’être inquiet car Iris a eu un accident et ne sera opérée que s’il fournit des papiers en règles… qu’il n’a pas. Iris est une clandestine ; elle n’est pas née pour être femme de compagnie et si cela se sait, les conséquences seront inexorables. Car Malo et Iris ne sont pas de la même espèce, les humains ne sont plus maitres et possesseurs de la terre et pour Malo, les choses, déjà moralement compliquées, vont aller d’inextricables en tragiques…

Conte philosophique plutôt que roman, Défaite des maitres et possesseurs, est une lecture dérangeante à plus d’un titre. Certes ce qui apparait au premier chef c’est la dénonciation du spécisme, cette idée que certaines espèces – la nôtre ou les démons stellaires du roman – auraient des droits supérieurs aux autres et notamment celui de faire subir n’importe quelles atrocités à ces autres espèces tant qu’elles y trouvent un intérêt même léger. Un réquisitoire très en vogue ces derniers temps et je dois bien l’avouer implacablement présenté – ça retourne croyez m’en. Mais au delà de ce thème très précis – et affreusement détaillé – il s’agit ici d’une dénonciation beaucoup plus large de tout un mode de vie – le nôtre – fait d’aveuglements volontaires, de dominations implacables, de déclassements sauvages, d’une violence tout azimut bardée de bons sentiments, de gaspillages et ravages irréparables, d’une fuite en avant irrépressible vers des lendemains qui déchantent déjà. Et c’est efficace. Trop peut-être pour un roman car souvent l’histoire se délite un peu dans le manifeste au point d’en perdre un tantinet d’intérêt. Tel quel c’est une fable ambitieuse, affutée et désespérante. Déprimant !

Défaite des maitres et possesseurs – Vincent Message – seuil 2016

Les avis de Aifelle, Ys , PapillonNoukette, Lily, keisha, enthousiastes, celui de Jérôme plus réservé

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Amélia Peabody Emerson – rechute d’une relectrice

crocoDepuis que ce blog existe, soit un peu plus de dix ans maintenant, j’ai déjà eu l’occasion de parler de ma très chère et très aimée Amélia Peabody Emerson mais à la faveur d’une relecture extensive et chronophage de toute la série de ses enquête criminello-archéologiques (d’où la jachère actuelle de ces humbles pages), il me semble qu’il est temps de proclamer une fois encore à la face de l’internet mon attachement inconditionnel à ce magnifique personnage de papier et aux non moins attachants romans qui content ses aventures.

Amélia Peabody est née en 1884 à l’âge de trente-deux ans (âge qu’elle et son auteure regretteront hautement d’avoir si imprudemment livré dans Un crocodile sur un ban de sable, premier volume de ses enquêtes), célibataire studieuse au caractère trempé, un rien tranchée dans ses opinions et peut être un tantinet excentrique, elle se trouva cette année-là orpheline et maitresse d’une jolie fortune. Qu’à cela ne tienne, l’occasion était belle d’aller voir de plus près ce que le monde, qu’elle avait si assidument étudié dans les livres, avait à lui offrir. Et le fait est qu’il allait lui offrir beaucoup et tout d’abord un mari et associé hors du commun en la personne de Radcliffe Emerson, brillant égyptologue aussi irascible que passionné – j’aurais pu ajouter quelque peu bruyant ainsi que son surnom égyptien de maître des imprécations le laisse à penser. En vérité je ne spoile guère en vous révélant ce mariage car s’ils se rencontrent dans le premier tome – Amélia se faisant vertement tancée dans le musée du Boulag par le-dit Emerson qu’elle remet dument à sa place, petite passe d’armes apéritive pour leurs volcaniques relations à venir – la saga compte quelque chose comme vingt tomes, on se doute donc rapidement que leur relation est appelée à un bel avenir. De fil en aiguille, ou plutôt de cadavres frais en momies millénaires, leur bouillante association charmera les lecteurs – enthousiaste en ce qui me concerne – durant quelque 40 ans puisque la série se clôt pendant la saison de fouille 1922-1923 restée célèbre pour la découverte de la sépulture royale et néanmoins intacte de Toutankhamon. Mais c’est aller un peu vite, car au cours de ces 39 années d’aventures essentiellement égyptologiques mais avec plus qu’un soupçon d’enquêtes criminelles (à moins que ce ne soit l’inverse), sethosAmélia connaitra les joies de la passion partagée – tant amoureuse que professionnelle, celle plus douteuse de la maternité – un fils unique des plus surprenants (Ah Ramsès) et une fille adoptive tout à fait inattendue, des enquêtes criminelles à ne savoir qu’en faire, une oasis perdue dans la meilleur tradition d’Henri Ridder Haggard, une lutte assidue contre un maître du crime (n’ayons pas peur des mots), des remous politiques, une grande guerre, des petits-enfants, que sais-je encore, sans se départir ni de son ombrelle – instrument fort pratique tant pour se frayer un chemin ou assommer un malotru que pour s’abriter du soleil, ni de son humour. Inlassablement intéressée par l’étude de la nature humaine – dans une tradition très christienne, les allusions à dame Agatha sont un plaisir supplémentaire pour moi – et toujours prête à se mêler des affaires d’autrui qu’elles soient d’ordre archéologique, criminelle ou sentimentale, dotée d’une ahurissante confiance en elle et d’un aplomb désarmant, Amélia – qui doit son nom à Amelia Edwards, tout comme son mari partage nombres de traits avec l’égyptologue Flinders Petrie qui posa les bases de l’archéologie scientifique si l’on peut dire – est un personnage de papier tout à fait plaisant à suivre et bien difficile à oublier.

momieÊtes-vous relecteur ? Je le suis ! Tout à coup, soudainement, sans raison valable sinon un fragment de dialogue entendu ou une image fugace, me vient l’envie de me replonger dans une œuvre et lorsqu’il se trouve que l’œuvre en question court sur 20 tomes couvrant quarante années de vie, c’est d’une sorte de plongée en eau profonde qu’il s’agit. Pendant deux semaines, j’ai vécu en Égypte – une Égypte d’un autre siècle magnifiquement restituée par une auteure égyptologue elle-même, pris le thé à cinq heures, rêvé de sandwich au concombre, pesté contre les conventions vestimentaires toujours défavorables aux femmes – vous ai-je dis que Amélia était une suffragette convaincue sinon assidue – découvert des tombes oubliées, réformé des criminels endurcis et le grand concepteur sait que je n’avais pas envie d’en sortir. Comment revenir de si loin ensuite pour se retrouver tout benoitement dans un quotidien sans la moindre momie (à propos je soupçonne fortement le gamin de la momie 2 – film réjouissant – d’être directement inspiré du fils prodigue d’Amélia et Radcliffe, Ramsès, mais à vrai dire je soupçonne aussi que le-dit Ramsès avait été plus ou moins inspiré par un fugace personnage de dame Agatha, le Carmichael de Rendez-vous à Bagdad – oui je soupçonne beaucoup, c’est mon côté Amélia). Enfin cela m’aura permis (pendant ce voyage temporel impromptu) de relire les tomes dans l’ordre – leurs éditions françaises ayant été des plus anarchiques – voire de compléter la série car j’ai enfin lu les deux derniers en anglais, ceux-ci n’étant toujours pas, trois fois hélas, traduits. Dernière chose assez amusante, Amelia et Radcliffe ont inspirés des avatars steampunk des plus amusants en les personnes d’Alexia Tarabotti et Lord Maccon sous la plume de Gail Garriger dans son Protectorat de l’ombrelle. Et oui les livres parlent toujours de livres et peut être même discutent-ils entre eux…

ombrelle

Les aventures d’Amélia Peabody ont été publié en anglais entre 1975 et 2010 (l’auteure nous a quitté en 2003) ; en français elles ont paru au livre de poche

Crocodile on the sandbank – Un crocodile sur un banc de sable
1884 – Première visite d’Amélia en Égypte, rencontre avec Evelyne et les frères Emerson

The curse of the pharaohs – La malédiction des pharaons
1892-1893 – retour en Égypte pour les Emerson après une interruption dû à la naissance de Ramsès.

The mummy case – Le mystère du sarcophage
1894-1895 – première saison (hilarante) pour les Emerson avec Ramsès

Lion in the valley – L’ombre de sethos
1895-1896

The deeds of the disturber – La onzième plaie d’Égypte
Eté 1896 à Londre – rencontre avec Margareth Minton

The last camel died at noon – Le secret d’Amon-Râ
1896-1897 – rencontre avec Nefret dans l’oasis perdu

The snake, the crocodile and the dog – Le maître d’Anubis
1897-1898 – retour à Amarna sans Ramsès et Nefret restés en Angleterre

The hippopotamous pool – La déesse hippopotame
1900 – rencontre avec David

Seeing a large cat – L’énigme de la momie blonde
1903 Ramsès a seize ans environ

The ape who guards the balance – Le papyrus de Thot
1906-1907

Guardian of the horizon – Les aventuriers de l’Oasis perdue
1907-1908 Retour à l’Oasis où Nefret a été élevée

A river in the sky – non traduit (hors série publié sur le tard même en anglais)
1909-1910 saison en Palestine

The falcon at the portal – La pyramide oubliée
1911-1912 saison à Gizeh – rencontre avec Sennia

He shall thunder in the sky – Le frère des démons
1914-1915 La grande guerre fait rage et l’Egypte est plus qu’un enjeu entre empires ottoman et britanique sans compter les nationalistes arabes

Lord of the silent– Le retour de Sethos
1915-1916

The golden One – La Nécropole des singes
1916-1917

Children of the storm – La vengeance d’Hathor
1919-1920 une saison en compagnie des petits-enfants Emerson

The serpent on the crown – non traduit
1921-1922 Où l’on se dit qu’une tombe royale bien cachée reste peut-être à découvrir dans la vallée des rois

The tomb of the golden bird – non traduit
1922-1923 Toutankhamon was here

amelia

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Bondrée

CVT_Bondree_984Pour échapper à la guerre qui rugissait en Europe, Landry le trappeur s’était enfoncé dans la forêt encadrant le bien nommé Boundary pond à la frontière du Maine et du Québec et l’avait rebaptisé Bondrée dans sa langue. Boundary, Bondrée, les frontières ne sont jamais assez loin, les vacanciers avaient découvert le charme de son repère et l’avait envahi de leur tapage et de leurs odeurs de grillades. Landry s’était enfoui plus loin dans les bois mais on l’avait retrouvé pendu dans sa cabane, mort de solitude. Mais à l’été 1967, tout cela est loin et l’air de Bondrée résonne des accents de Lucy in the sky with diamonds et des rires de jeunes filles prêtes à mordre à pleine dent dans ce nouveau monde qui s’annonce sous l’œil mi-choqué mi-envieux des femmes cloitrées dans les cuisines de leur chalet même l’été, même en vacances. Andrée, elle, n’a que douze ans et de son côté ce n’est qu’admiration et aspiration, elle aussi elle veut s’enrouler dans la fumée des Pall-Mall en dégustant des mots inconnus mais interdits, rire très fort, faire ce qui lui plait quand il lui plait comme Zaza et Sissy les presque sœurs américaines qu’elle retrouve chaque été, plus belles, plus délurées, plus soudées que jamais jusqu’au jour où la mâchoire rouillée d’un vieux piège fait tout basculer…

Bondrée est un roman multiple, non seulement choral, la voix fraiche d’Andrée alterne avec un narrateur omniscient qui se penche sur la communauté avec des curiosités d’entomologiste mais aussi à la lisière de plusieurs genres – polar – il y a enquête, roman d’atmosphère – lourde et tendue, d’apprentissage – pour Andrée en particulier, social enfin car en 67 tout est changement, les jeunes filles trop libres – that’s kind of girls – suscitent autant d’admiration que de réprobation et un vent d’émancipation s’insinue dans les sous-bois de Bondrée. À ces multiples thèmes s’ajoute une écriture protéiforme, à la fois ciselée et entêtante, jouant des langues et des registres – l’anglais et le français se mélangent sur la frontière, les descriptions toute littéraires alternent avec l’oralité québécoise – sans le moindre dialogue d’ailleurs – et un rythme très anglo-saxon – run, Sissy, run ; le tout parfois dans le même paragraphe. Pour autant l’auteure n’oublie aucun de ses personnages, chacun acquiert sa voix, sa tonalité, archétypique parfois mais vivante et singulière, quand bien même il n’apparaitrait que quelques lignes – tel le légiste chuchotant du Shakespeare aux morts. Mais le personnage principal reste Bondrée, mélange de terre et d’eau, de forêt et de lac, de brume et de chaleur brièvement arrachée à son silence par l’agitation éphémère des hommes. Envoûtant !

Bondrée – Andrée A. Michaud – 2013 – Québec Amérique – 2016  – Rivages

L’avis du Papou qui s’est dépêché de finir pour me confier son exemplaire, celui des bouquineuses qui a attiré mon attention

Publié dans Polar, roman québécois | 12 commentaires

Les Cosmonautes ne font que passer

gueorguievaTon grand-père est communiste. Un vrai, te dit-on plusieurs fois et tu comprends qu’il y en a aussi des faux. C’est comme avec les Barbie et les baskets Nike, qu’on peut trouver en vrai uniquement si on possède des relations de très haut niveau.

À sept ans, une petite fille se doit d’entrer à l’école et si elle habite certain quartier de Sophia en Bulgarie encore communiste, c’est à l’école Iouri Gagarine que cela se passe. Mais qui est ce Iouri ? Heureusement il y a son grand-père – communiste émérite – pour transmettre l’admiration due aux héros – la camarade directrice n’étant pas tout à fait à la hauteur sur ce point – et notre narratrice de sept ans de décider tout de go qu’elle veut devenir Gagarine et rien d’autre, même si elle est une fille, même si ce n’est pas approprié. Seulement voilà dans la Bulgarie de la fin des années quatre-vingt, le changement est en marche et les héros d’hier ne seront plus ceux de demain…

Sept année dans la tête – et la vie – d’une enfant puis d’une adolescente qui se trouve confrontée à la plus ahurissante des perte de repères. Certes le passage à l’adolescence est un moment perturbant pour tout un chacun mais quand le monde bascule en même temps, quand tout ce qui était vrai se retrouve faux et inversement. Il faut bien admettre que cela complique un tantinet les choses. Et d’autant plus si l’enfant-adolescente en question est une rêveuse de choc toujours en quête de compréhension et d’accomplissement. À sa façon du moins, quelque peu déphasée, car si elle ne comprend pas tout, elle complète allègrement les pointillés à sa sauce, transformant un quotidien assez gris en un foisonnement de réflexions multicolores – un peu comme les murs de sa cité qui se recouvrent peu à peu de tags variés à mesure que la transition démocratique suit son cours vers des lendemains qui ne chantent pas autant qu’on aurait pu le croire. Dans un style décalé, drôle et inventif, à hauteur d’enfant mais avec en filigrane la compréhension de l’adulte qu’elle est devenue, un très joli témoignage frais et caustique sur la fin d’un monde. Grinçant !

Les cosmonautes ne font que passer – Eliza Gueorguieva – 2016 – Verticales

L’avis de Cuné – qui m’a donné envie – celui de Keisha, tout aussi positif.

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La Chair

Chair-HDSoledad, commissaire d’exposition à Madrid, célibataire de choc, sans enfant par choix et séductrice assumée va avoir soixante ans et comme si ce n’était pas suffisant pour déprimer n’importe quelle femme encore avide de plaire, son jeune amant a décidé de la quitter pour se consacrer à sa femme légitime, jeune et enceinte de surcroit. Déprimée peut-être, mais colère surtout et ce malotru ne s’en tirera pas comme ça… Elle va lui montrer, lui faire regretter, et tout d’abord débarquer à l’opéra – un endroit qu’elle lui a fait connaitre, elle, et où il compte maintenant exhiber sa femme – avec un chevalier servant beau comme un dieu, jeune, exotique, classe, enfin tout. Un escort oui aussi mais c’est un détail d’ailleurs il ne le saura pas l’infidèle. Certes la colère lui revient un peu cher mais c’est un caprice que Soledad a décidé de s’offrir, juste pour un soir évidemment et sans être complètement rassurée et sur ce dernier point, elle a peut-être bien raison…

J’aime Rosa Montero d’amour. Il fallait que ce fut dit quoique je ne trouve pas toujours les mots pour chroniquer ses livres (La Folle du logis était trop fou, Instruction pour sauver le monde trop poignant, L’Idée ridicule de ne jamais te revoir trop tout mais lisez-le toute affaire cessante hein). Ici, il est question de Soledad Alegre – solitude joyeuse, un nom qui lui fait grincer un tantinet des dents – femme haute en couleur, excessive en tout, à qui tout réussit en apparence mais qui se trouve aux prises avec d’infinis questionnements sur son âge bien sûr qui annonce la fin de toute chose, sur son corps qui ne lui est plus fidèle, sur son image qui ne lui correspond plus mais aussi sur le monde, la littérature, la vie, les voies qu’elle n’a pas prises, les choix qu’elle n’a pas fait et sur ce que cela dit d’elle et du regard que les autres posent sur elle. Confrontée à une relation dont elle ne veut pas et qu’elle ne sait comment maitriser, elle se dévoile peu à peu et se révèle différente à ses propres yeux comme à ceux du lecteur – plus dure mais aussi plus vulnérable, plus perturbée mais peut-être plus sensible. Tout cela allègrement entremêlé à de multiples références aux écrivains maudits autour desquels tourne l’exposition qu’elle organise. Un projet réjouissant, vibrant hommage à la littérature et à l’imagination. C’est brillant, rythmé, drôle et pour tout dire ébouriffant. À la toute fin, L’auteure nous demande gentiment de ne pas trop en dire pour ne pas émousser le plaisir du futur lecteur, mission accomplie je pense – vous ai-je parlé de l’intrigue ? J’interroge et je réponds, non – mais l’intérêt pour moi se trouvait ailleurs, dans la plume bouillonnante de l’auteure et dans les interrogations étourdissantes mais si pertinentes de son personnage. Bondissant !

La Chair – Rosa Montero – 2017 – traduit de l’espagnol par Myriam Chirousse – Metailié

L’avis de Cuné qui m’a donné (encore plus) envie

De la même auteure :
Des larmes sous la pluie
Le poids du coeur

 

Publié dans roman espagnol | 17 commentaires

La Lumière de la nuit

lumièreRyoji et Yukiho, deux enfants d’un quartier populaire d’Osaka bien que fréquentant la même école ne semblent pas particulièrement liés si ce n’est que la mère de l’une est la dernière personne à avoir vu le père de l’autre avant qu’il ne soit retrouvé poignardé. Pourtant rien ne semble l’accuser et l’enquête s’enlise autour de la profession de la victime – prêteur sur gage – quand quelques mois plus tard, elle est retrouvée morte dans des circonstances troubles. Là encore rien n’en sort vraiment et la mort est classée accidentelle sans conviction. Yukiho, adoptée par une parente aisée grandit dans les beaux quartiers, reçoit une excellente éducation et entame une brillante – et inespérée – ascension sociale, Ryoji s’élève comme il peut et développe très tôt toutes sortes d’affaires aussi douteuses que lucratives. Des trajectoires aux antipodes… du moins en apparence.

Un polar qui se poursuit sur vingt ans, suivant les trajectoires de deux personnages qui se révèlent peu à peu, voilà qui est peu commun… et tout à fait passionnant. Difficile de reposer ce roman qui explore outre deux caractères déroutants, parfois glaçants, la modernisation d’un Japon qui commence tout juste dans les années soixante-dix à découvrir les possibilités de l’informatique et des jeux videos. Certes il est parfois délicat pour le lecteur occidental de s’y retrouver dans les noms des nombreux personnages mais finalement on s’en démêle, on n’en croit pas ses yeux, on se demande jusqu’où cela ira, on se dit que non ça ne peut pas être cela et d’ailleurs pourquoi ? Car telle est la question qui sous-tend tout le roman, qui ne cesse de troubler l’inspecteur Sasagaki, pourquoi ? Et tout d’abord pourquoi a-t-on tué le prêteur sur gage ? Captivant !

La lumière de la nuit – Keigo Higashino – 1999 – traduit du japonais par Sophie Refle – 2015 – Actes sud noir

PS : Du même auteur, j’avais apprécié, dans une moindre mesure mais tout de même, “Le dévouement du suspect X” que je n’ai bien sûr jamais chroniqué. décidément un auteur de polar qui me convient…

Publié dans Polar, roman japonais | 6 commentaires

La Tour de Babylone

chiang-babyloneLa Tour de Babylone est le premier recueil de nouvelles (de science-fiction dirons-nous) de Ted Chiang, un auteur américain qui collectionne les prix les plus prestigieux (six pour ce seul recueil, excusez du peu). On m’en avait dit grand bien et c’est sans conteste un recueil original et ambitieux, allant de l’uchronie antique – avec la nouvelle éponyme qui conte, fort bien, l’aventure d’un mineur chargé de creuser le ciel dès que la tour de Babylone aura atteint son but et qui… le fait – au thriller scientifique – Comprends une variation sur le thème des Fleurs pour Algernon très brillante dans la forme mais que j’ai détestée personnellement, en passant par des variations ésotériques – Soixante-douze lettres qui reprend le vieux thème du golem et L’Enfer quand dieu est absent qui explore le concept de foi, et scientifiques ; explorant mathématique, linguistique ou psychologie. Ce sont ces deux derniers thèmes qui m’ont le plus intéressés. L’histoire de ta vie* est une très belle réflexion sur le langage, son côté performatif et les limite de celui-ci en particulier dans le rapport au temps. Ici le style, souvent très raide de l’auteur, se fluidifie, se ramifie, collant au propos et à mon sens le servant magnifiquement. Un superbe récit, mon préféré. Enfin Aimer ce que l’on voit : un documentaire explore le domaine des neurosciences, de l’apparence et de la perception d’une manière à la fois très originale et très vivante.

Peut-être ai-je simplement préférée les nouvelles traitant de disciplines que je connais et apprécie alors que les mathématiques et l’ésotérisme m’ont laissé de glace. c’est très possible. Quoiqu’il en soit Ted Chiang propose un recueil d’exercices de style extrêmement brillants, complexes, construits, parfois un peu ardus à lire voire arides mais des plus intéressants. Un auteur à suivre…

La tour de Babylone – Ted Chiang – 2002 – Traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre-Paul Durastanti – Denoel 2006 (existe en poche)

PS : L’Histoire de ta vie a été adaptée par Denis Villeneuve sous le titre Premier Contact sorti en 2016 ; il a de bien bonne critique et me fait fort envie…

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La succession

successionÀ 28 ans, Paul a trouvé le bonheur, du moins le bonheur tel qu’il le conçoit. Joueur professionnel de Cesta Punta – une des variante de la pelote basque – à Miami, il vit modestement dans une ville qui le fascine, possède une vieille voiture increvable et un bateau à l’avenant. Chaque matin il se réveille avec l’intense impression d’être à sa place entre excitation du jeu, calme des balades en mer, repas dans quelques gargotes cubaines et surtout loin très loin de son passé familial. Jusqu’au jour où la mort de son père vient bouleverser l’ordre de son monde…

De Jean-Paul Dubois, je n’avais lu qu’Une Vie française et j’en gardais un bon souvenir quoique assez lointain. Mais au détour un billet de blog et d’une étagère de bibliothèque, j’ai eu envie de le retrouver et La Succession m’a cueillie quand je ne m’y attendais pas. Quelque chose dans cette écriture évocatrice et précise, dans la puissance des images qu’elle suscite, dans les personnages aussi, ou c’est trop dire, dans l’unique vrai personnage, le narrateur, ce Paul porteur d’une histoire qu’il vit comme une malédiction. La succession. Ce roman aurait pu s’appeler Solitude tellement ce sentiment imprègne chaque page de ce roman. Une solitude toute intérieure qui isole du monde, mure les perceptions, distend les relations, éloigne de la vie même. Poignant !

La succession – Jean-Paul Dubois – 2016 – L’olivier

L’avis de Jérôme qui m’a donné envie

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