Un jeune peintre tokyoïte en pleine rupture sentimentale, sa femme a demandé le divorce sans la moindre petite dispute préalable, se retrouve gardien – en quelques sortes – d’une maison sur la montagne – ancien antre d’un célèbre peintre aujourd’hui atteint d’une de ces démences séniles qui terrorisent passé un certain âge. Reclus au milieu des meubles, des livres et des disques – classiquement occidentaux* – de l’ancien propriétaire notre esseulé cherche – assez mollement – a retrouver un sens à sa vie et à son art jusqu’à ce qu’une proposition trop belle lui soit faite et qu’une clochette retentisse au cœur de la nuit…
Qu’est-ce qui peut bien nous faire embarquer dans un monument pareil ? (1050 pages si je ne m’abuse) (Parfois il me semble que plus Murakami Haruki vieillit plus ses romans sont longs ? Enfin n’en faisons pas une généralité, je ne suis pas une spécialiste du maitre.) Bref pourquoi donc ? Je pose la question et j’y réponds, parce que Murakami bien sûr. Au départ on s’y essaie mollement (un peu comme le protagoniste principal), un paragraphe, humph… on repose, on reprend plus tard même paragraphe humph on repose et puis un jour on franchit l’obstacle – aisément et sans effort – et à partir de là on a beau se demander ce qui nous accroche, on continue tranquillement, sans hâte inopportune, ni précipitation malvenue à s’égarer inexorablement dans l’imaginaire de l’auteur paradoxalement servi par une prose aussi pragmatique que factuelle. Et puis bon, quelle est cette étrange manie de répéter sans fin des propos déjà tenus ? Doit-on s’agacer ou se laisser bercer, grincer des dents ou saluer une écriture hypnotique voire introspective ? Et bien je ne saurais dire pour vous mais sur moi cela a incontestablement fonctionné et j’ai lu mes deux parpaings de 500 pages comme dans un rêve.
S’il fallait en dire plus, disons que nous avons là – comme souvent chez l’auteur – une très belle crise existentielle, un personnage principal en recherche de lui-même et de sens, une atmosphère onirique à la limite du fantastique voire de la fantasy – tellement les personnages acceptent l’incompréhensible avec philosophie*, beaucoup de musique – plus classique que jazz pour une fois et une magnifique réflexion sur la place de la création artistique dans nos vies et dans le monde… C’est lent, détaillé, visuel – me croirez vous, les vêtements de chaque personnage principal sont décrits minutieusement à chacune de leurs apparitions – une manie qui pourrait être agaçante mais qui revêt ici les attributs d’un langage ou plutôt d’une esquisse non pas cinématographique mais bien picturale. Un roman qui peut sans doute paraitre à certains un tantinet lent mais qui m’a ravie**. Magistral !
Le meurtre du commandeur – Une idée apparait tome 1 – La métaphore se déplace tome 2 – 2017 – traduit du japonais par Hélène Morita – Belfond 2018
* Ah oui j’aurais dû vous parler de Don Giovanni non ? et du tableau caché représentant le fameux meurtre du commandeur à l’acte 1 ? voire du hibou mais chut ! À défaut de ce tableau fictif (que j’ai passé moult heures à imaginer), voici une peinture Nihonga du peintre Miyagawa Shuntei de la fin du XIXe intitulé Picnic et dans le style, donc, du fameux tableau caché du meurtre du commandeur (après tout, on ne peut pas tout dire non plus)
**J’aime beaucoup la distinction suivante entre fantastique et fantasy : si quand un être humain rentre chez lui, son chat le salue civilement et se voit contre-saluer non moins civilement – nous sommes dans la fantasy, si en revanche l’humain se sauve en hurlant ou fait une crise de panique, nous sommes dans le fantastique.
***battons notre coulpe, une de mes filles prétend que j’aime un peu trop les films – et les livres – où il ne se passe rien mais je conteste bien entendu passablement cette accusation : en vrai il se PASSE quelque chose !
Je ne saurais vous abandonner sans partager avec vous ce magnifique hommage, intitulé Jeunes feuilles, de Mr Kiki à Uemura Shōen et au style Nihonga
Tu en parles très bien, c’st vrai que les romans de Murakami donnent souvent l’impression de nous séduire à notre insu…
exactement 😀
Il me semble que les autres romans de cet auteur sont plutôt lents également.
Disons qu’il prend son temps mais c’est agréable 🙂
J’ai un rapport un peu compliqué avec Murakami, mais j’ai offert ce livre à mon conjoint, grand fan de l’auteur. Peut-être que je le lirai, mais après “Kafka sur le rivage”.