Sixtine est l’archétype de la bru* idéale pour Madame Sue de la Garde. Famille catholique traditionaliste, éducation stricte, coiffure sage, jupe aux genoux, yeux baissés. La panoplie complète de la future bonne épouse, propre à enfanter de nombreux héritiers – dans la douleur comme il se doit – en gardant son humeur égale et son intérieur propre. Sixtine est sans doute moins persuadée d’être parfaite dans le rôle mais bien décidée à faire de son mieux pour atteindre l’idéal de femme du croisé** moderne, mère de nombreux futurs petits croisés car la France éternelle, celle qu’on lui a toujours racontée, réclame instamment d’être défendue, par les armes quand nécessaire, contre toutes les menaces qui l’assiègent, de l’homosexualité aux catholiques tièdes en passant par les étrangers, les mal peignés et toute la chienlit qui les accompagne. Tout cela est bien beau sur papier glacé mais peu à peu, isolée dans un mariage où elle ne se sent jamais à la hauteur, dans une famille ou le strict traditionalisme de ses parents passe pour laxiste***, Sixtine s’interroge. Sur la violence – vraiment aimée de Dieu ? Les diktats – Porter son bébé naissant lui donnerait-il vraiment de mauvaises habitudes ? les solutions toutes faites – devrait-elle vraiment renoncer aux soulagement de la médecine et s’en remettre à Dieu**** ? Oui. Non. Comment savoir ? jusqu’à ce qu’une conjonction d’événements la pousse à la fuite…
J’ai eu du mal à entrer dans ce livre, je l’ai lu en commençant par la fin avant de reprendre tout dans l’ordre. C’est que les carcans familiaux et sociétaux intégristes d’où qu’ils viennent me terrifient par leur inhumanités délétères et bien pensantes. Les gens qui “savent” au delà de toute miette de doute m’épouvantent par leur insensibilité et leur capacité au mal. Oui au mal, devrais-je lui mettre un grand M, le mal ou l’absence d’humanité, d’empathie, de bienveillance, de tolérance… Pour autant Bénie soit Sixtine, n’a rien d’angélique ou de manichéen, Sixtine ne se transforme pas d’un coup en libre penseuse délurée, pas plus qu’elle ne renie sa foi – lumineuse, pas plus qu’elle n’est sûre d’être dans le vrai en fuyant ce qui a été sa vie. Elle s’interroge et c’est bien cela qui la rend attachante. On ne se défait pas en un geste de toute une éducation mais le propre de l’humain qui grandit est de la questionner. Et justement les questionnements de Sixtine, pour philosophiques qu’ils soient, lui apporteront des éclairages étonnamment concrets. Un très beau roman, à l’écriture fluide et à la construction astucieuse qui explore autant l’émancipation que la transmission. Prenant !
Bénie soit Sixtine – Maylis Adhémar – 2020 – Julliard
*Quand j’écris Bru j’ai dans l’oreille la voix de Noémie Schmidt dans “l’étudiante et monsieur Henri” : “Bru, mais personne dit ça, c’est trop moche !!!” (sic je cite de mémoire) j’avais cru entendre mes filles et effectivement le mot se perd peut-être mais c’est précisément celui qui convient ici.
**comme dans croisade oui oui oui
***j’aimerais penser que cette peinture des milieux catholiques intégristes est caricaturale mais j’ai vu des gens basculer ; enfin une famille, pas particulièrement proche mais j’ai vécu l’effacement progressif des possibilités de discussion et ça faisait mal ; et l’autrice raconte qu’elle n’a fait que décrire son propre milieu familiale.
****la façon dont sa famille lui interdit tout accès au moindre soulagement du paracétamol à l’épidurale au nom du respect de la nature créée par Dieu fait froid dans le dos. à vrai dire tout fait froid dans le dos, y compris ces références permanentes et peut-être inconscientes aux trois K – Kinder, Küche, Kirche – du national-socialisme triomphant. brrrrr !
Je l’ai lu à sa sortie (pas de billet). J’avais aimé jusqu’à un certain point. Quelque chose ne m’avait pas plu vers la fin, mais j’ai oublié quoi. En tout cas, ces milieux intégristes font vraiment froid dans le dos.
oui vraiment 🙂 la fin est un peu évanescente, pas vraiment connectée au début mais ça ne m’a pas trop dérangée
Je te rejoins complètement sur cette lecture.
C’est ma fille qui me l’a prêté, un très bon choix 🙂
C’est drôle, quelqu’un m’a parlé de ce titre il y a trois jours, de cette auteur en fait car il était d’abord question de son dernier titre “La grande ourse” qui me tente plus que celui-ci. J’ai eu mon lot de catholiques bien pensants…
Du coup je lirai bien le dernier aussi 🙂 l’autrice m’a plu
Il est dans ma pile, je pense que ça me plaira aussi
tu me diras 🙂
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