Arcadie

“Nous avions peur et nos peurs étaient aussi multiples et insidieuses que les menaces elles-mêmes. Nous avions peur des nouvelles technologies, du réchauffement climatique, de l’électrosmog, des parabènes, des sulfates, du contrôle numérique, de la salade en sachet, de la concentration de mercure dans les océans, du gluten, des sels d’aluminium, de la pollution des nappes phréatiques, du glyphosate, de la déforestation, des produits laitiers, de la grippe aviaire, du diesel, des pesticides, du sucre raffiné, des perturbateurs endocriniens, des arbovirus, des compteurs Linky, et j’en passe. Quand à moi, sans bien comprendre encore qui voulait nous faire la peau, je savais que son nom était légion et que nous étions contaminés.”

À six ans, Farah est tout à coup accueilli au paradis. Fille de parents terrorisés par le monde, elle se voit ouvrir les portes d’un royaume qu’on lui offre en toute propriété. Va c’est à toi, lui dit Arcady, le jour où elle débarque avec ses parents à Liberty house, vaste propriété abritée du monde et de ses dangers par de hauts murs et l’absence de toute antenne relais. Pour elle ce sera une enfance toute de magie, de nature, de liberté aussi – ses parents étant bien trop occupé d’eux-mêmes pour se soucier d’elle et Arcady, chef gourou père universel du phalanstère, en tenant pour une liberté ne s’arrêtant qu’au frontière des règles de la communauté, végétarisme, absence de technologie et amour libre dans les limites du consentement mutuel car l’amour – avec un grand A – est le grand thème du lieu. Mais l’enfance ne dure pas éternellement et l’adolescence annonce pour Farah la fin des illusions sur elle-même, sur Liberty house – ce refuge des inadaptés du monde, sur ses pensionnaires hauts en couleur, sur Arcady enfin et son amour universel…

Roman d’apprentissage, Arcadie est une chronique aussi grinçante que réjouissante de l’actualité du monde. Sous le regard implacablement lucide de Farah, se dévoile un quotidien qui pousse l’abondance jusqu’à la saturation, les peurs jusqu’à l’irrationnel, les bons sentiments jusqu’à l’hypocrisie. C’est drôle, caustique, dissonant, cruel, on se reconnait à chaque page – et si ne n’est toi c’est donc ton frère – on s’interroge sur toutes ces barrières qui ne tombent que pour mieux se relever et sur cette aveuglante absence de de refuge qui marque la fin de l’enfance de l’esprit. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, entouré d’enfants de tout âge, Farah est le seul esprit mature qui s’affranchit de toute barrière – y compris celle du corps – et voit la complexité alentour, les bon côtés de la technologie honnie comme ses dangers, la sécurité matricielle du retour à la nature comme ses mensonges. Jubilatoire

Arcadie – Emmanuelle Bayamack-Tam – POL – 2018

PS : et en plus c’est magnifiquement écrit…

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8 réponses à Arcadie

  1. Ce roman me fait diablement envie… J’y retrouve tous les éléments qui ont fait que j’ai beaucoup aimé “Les garçons de l’été”

  2. keisha dit :

    j’ai aimé, tu le sais, et depuis j’ai emprunté Si tout n’a pas péri avec mon innocence (même éditeur)

  3. Comment résister après un tel billet ?

  4. jerome dit :

    Quand c’est drôle et cruel, je valide 😉

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