“Les patrons voyaient leurs affaires compromises, c’était vrai, mais ils voulaient quand même conserver une marge de bénéfices; le plus simple leur paraissait encore de freiner les salaires, malgré la montée des prix. Que peuvent faire des tonneliers quand la tonnellerie disparaît? On ne change pas de métier quand on a pris la peine d’en apprendre un ; celui-là était difficile, il demandait un long apprentissage. Le bon tonnelier, celui qui ajuste ses douelles courbes, les resserre au feu et au cercle de fer, presque hermétiquement, sans utiliser le rafia ou l’étoupe, était rare. Yvars le savait et il en était fier. Changer de métier n’est rien, mais renoncer à ce qu’on sait, à sa propre maîtrise, n’est pas facile. Un beau métier sans emploi, on était coincé, il fallait se résigner. Mais la résignation non plus n’est pas facile. Il était difficile d’avoir la bouche fermée, de ne pas pouvoir vraiment discuter et de reprendre la même route, tous les matins, avec la fatigue qui s’accumule, pour recevoir, à la fin de la semaine, seulement ce qu’on veut bien vous donner, et qui suffit de moins en moins.”
J’aime Camus, je l’aime au point de donner une chance à ce recueil de nouvelles, car les nouvelles en général ne sont guère ma tasse de thé, cela se sait. Mais il y a toujours des exceptions et ce recueil en fait parti ; forcément allais-je dire, tant le style, sec comme de la pierre a fusil, de Camus me touche toujours. Éminemment évocateur, presque visuel, voire sensuel, il brosse paysages, personnages et dilemmes avec la même puissance, la même tendresse, qui vous met le goût de la poussière sur la langue et l’angoisse de l’humain au cœur. Six nouvelles donc, quatre situées en Algérie encore française, une à Paris et la dernière au Brésil dans un petit village amazonien. Toutes méritent le détour mais je dirai un mot de mes deux préférés, les Muets qui racontent le retour au travail d’ouvriers tonneliers après une grève avortée dans un petit atelier d’Alger (d’où est tiré la citation si “actuelle” qui entame ce billet) et l’Hôte qui brosse le portrait en creux d’un instituteur pris entre conscience et réalité dans une petite école de montagne de l’arrière pays algérien. Deux pépites qui mériteraient à elles seuls une lecture mais les quatre autres ne manquent pas d’intérêt ni de profondeur encore moins de style. à découvrir !
L’exil et le royaume – Albert Camus – 1957
J’aime comment tu décris le style de Camus, c’est tout ce que j’aime. Je note ce titre !
j’aime Camus
Camus restera à jamais un de mes auteurs préférés.
pareil 🙂
J’aime beaucoup Camus aussi, que j’ai lu jeune. Sans doute trop jeune en ce qui concerne ce titre en particulier, car je l’avais abandonné. Il serait temps de retenter, tiens ! Merci pour ce billet..
oui certaines lectures méritent d’être retentées avec un peu plus de maturité 🙂
Pas fan de nouvelles non plus, mais Camus, cela ne se refuse pas.
Je crois que ce recueil fait partie de mes livres préférés, et pas seulemnt parmi les livres de Camus dont j’aime aussi beaucoup “la chute” et beaucoup moins “l’étranger”