La Bête à sa mère

“Ma mère se suicidait souvent. Elle a commencé toute jeune, en amatrice.”

Et bien sûr, rapidement c’est le petit garçon qui appelle les secours. À sept ans, le narrateur – dont on ne saura pas le nom – est séparé de la dite-mère et entre dans le système des familles d’accueil plus ou moins accueillantes et des services sociaux plus ou moins sociaux. Il commence aussi un parcours de vie à la marge – au sens propre. Car il vit et vivra toujours en marge des autres, en marge de la société, en marge des sentiments, en marge du travail, en marge de la délinquance jusqu’à ce qu’il bascule…

Voici une lecture que j’étais persuadée d’adorer mais disons que si la rencontre s’est bien faite, elle fut douloureuse . Oh c’est un livre excellent à n’en pas douter. Outre cet incipit qui mérite d’être inscrit dans le grand livres des débuts légendaires, la plume de l’auteur est puissante, drôle, poétique même… Le roman est littéralement farci de références – littéraires, philosophiques, cinématographiques et j’en passe –  plus ou moins amalgamées, digérées, déformées par l’esprit distordu du narrateur. Et j’adore les références, c’est documenté. Oui c’est drôle. Vraiment. Et bien écrit et réaliste aussi… et c’est là que mon petit cœur tout mou a eu des ratés. J’avais pourtant bien supporté de me balader dans l’esprit bizarroïde et sanglant du Dexter de Jeff Lindsay mais (et je m’en rends compte maintenant) on lui trouvait quelques excuses au Dexter ; la bête n’en a pas. (et sinon c’est quand même beaucoup mieux écrit que Lindsay hein). Du fait de l’incipit, on pourrait croire que la bête est le produit d’un système malade, ou une victime de la société, mais en fait je n’ai jamais vu une victime en lui – même jeune. En d’autres temps, on aurait dit que c’était le mal simplement. Là disons qu’il s’agit d’un être absolument dépourvu d’empathie et que son intelligence ne lui permet pas de feindre – une bête au sens médiéval du terme, fascinée par le mal plutôt que soumise à ses pulsions. Son parcours est tout de préméditations, de planification, d’égotisme et d’analyses – tranches de considérations sur la vie –  passées au mixeur de son cerveau malade.  Être dans sa tête m’a été une grande perturbation (et m’a causé une très jolie panne de lecture). Pas tant parce qu’il m’a horrifiée ou rebutée mais bien parce qu’il m’a terrorisée. (j’ai encore peur à l’heure où je vous parle) et face à une terreur pareille même la plume truculente de David Goudreault ne saurait me convaincre d’aller plus loin.  Terrifiant !

La Bête à sa mère – la bête intégrale 1 – David Goudreault – 2016 – Stanké – 2018 – 10/18

Les avis moins terrifiés de karine et Anne

Lu dans le cadre du sublimissime Québec en novembre catégorie Grand champion ou Place de la république ou Nos joies répétitives, j’hésite…

 

 

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L’Annexe

Être une espionne – une agente secrète, une tueuse à gage, qu’importe – impose des règles : ni goûts affichés, ni personnalité marquée, ni habitudes d’aucune sorte. Seulement Anna, entre deux missions, ne peut s’empêcher d’aller méditer dans l’Annexe, ce grenier amstellodamois ou deux familles juives s’enfermèrent en 1942 pour tenter d’échapper à l’extermination. Celle-ci les rattrapa mais il en resta un surprenant journal, une œuvre littéraire à la fois de jeunesse et d’enfermement qui marqua la littérature d’après-guerre et rendit célèbre le nom d’Anne Franck. En quoi Anna, courant d’air humain, qui a renoncé à toute empreinte sur le monde se sent-elle concernée par ce journal ? telle est la question, ou plutôt l’une des questions. Car méditant pour la énième fois dans l’Annexe, elle se rend compte qu’elle est suivie et à partir de là, bascule dans le système de protection de son organisation. Quelque chose comme le statut de témoin protégé mais en pire car elle se retrouve enfermée dans un appartement avec huit colocataires dans la même situation sous la garde d’un majordome aussi extravagant que fantasque, Celestino prétendument cubain et sincèrement épris de littérature. Sans doute la seule chose sincère chez lui car dans cette appartement soit disant protégé et réellement étouffant – comme l’était l’Annexe d’Anne Franck – le mensonge et la mort rôdent de concert…

Le journal d’Anne Franck est une source inépuisable d’inspiration pour les écrivains semble-t-il, Philippe Roth, dans l’écrivain des ombres avait fantasmé une vie pour cette jeune enfermée que l’écriture sauva de l’ennui sinon des hommes. Chez Catherine Mavrikakis, la fascination tourne essentiellement autour des liens entre enfermement et littérature ; liens nombreux sans doute, et divers car là où Anne s’évadait dans les pages de son journal, Anna s’enferme dans la littérature des autres. Analysant ce qui l’entoure à travers une grille obstinément littéraire, elle y croise les Tourgueniev, Meursault, Morel mais aussi Moortj le chat des Franck ; Célestino en fait son Albertine à moins que ce ne soit sa Valentina selon qu’il se sent plus Proust que Puig*. Réalité ou fantasme, la littérature brouille les pistes et le lecteur se perd un peu dans cette danse de mort et de références. Alors certes cela se lit fort bien. Si elle perd un peu en puissance, l’écriture de Catherine Mavrikakis reste évocatrice et limpide, la construction – joyeuse déconstruction plutôt des codes du roman d’espionnage – est aussi leste qu’entraînante – du moins au début. En revanche, à force de dissimuler ses personnages sous des couches de mensonges, logorrhées et faux-semblants, elle peine à nous intéresser à leur sort. On s’en moque un peu d’Anna et Celestino, il faut bien le dire, et c’est là à mon sens, la faiblesse de ce roman. Littéraire !

L’Annexe – Catherine Mavrikakis – Héliotrope 2019 – Sabine Wiesperer 2020

*Le baiser de la femme-araignéeest un roman argentin de Manuel Puig  publié en 1975 racontant un huis clos entre deux prisonnier dans une geôle argentine – en tout cas, ça m’a donné envie de le lire, mais plus tard quand on aura enfin le droit de sortir

PS : car vous aurez remarqué que ce roman sur l’enfermement vaguement volontaire est tout à fait d’actualité

Lu dans le cadre du très fabuleux Québec en Novembre, catégorie “J’aurais voulu être un artiste”: livre avec de l’art à l’intérieur

déjà chroniqués de Catherine Mavrikakis

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Québec en novembre – Ouverture et récap

Aujourd’hui, 1er novembre, fête de tous les saints, veille de la fête des morts et lendemain de Samain (tout un moment!), c’est la début du très attendu, très agréable et très recommandable Québec en novembre – grand festival bloguesque de la littérature québécoise organisé par la très magnifique et ultimement glamourissime karine et moi-même. Je le rappelle, une seule participation suffit (ou 30 c’est comme vous voulez). J’ai tout expliqué ici en long et en large.

Je mettrai donc ici (si tout va bien) le récapitulatif des liens que vous voudrez bien mettre en commentaire sous ce billet ou chez Karine, dans les catégories (et chansons) ad hoc (idéal pour de futurs fouinages à la recherche d’idées québécoises de lecture). Challenge : réussira-t-on cette année à tenir à jour nos récaps tout au long du mois, tadaaaaam, c’est ce que vous saurez en suivant nos aventures novembresques et québécoises.

À vos marques donc, et que la lecture québécoise soit !

1. On jase de toi – Noir silence :Un livre sorti en 2020.

Karine – L’avenir – Catherine Leroux

Yueyin – L’avenir – Catherine Leroux

Karine – École pour filles – Ariane Lessard

Malice – Traverser l’autoroute – Julie Rocheleau et Sophie Bienvenu

Cuné – Faire les sucres – Fanny Britt

Yueyin – Faire les sucres – Fanny Britt

Kathel – Le lièvre d’amérique – Mireille Gagné

Hélène – Le lièvre d’Amérique – Mireille Gagné

Karine – Le lièvre d’Amérique – Mireille gagné

Pativore – le lièvre d’Amérique – Mireille Gagné

Argali – Le lièvre d’Amérique – Mireille Gagné

Hélène – La route du Lilas – Eric Dupont

2. L’amérique pleure – Les cowboys fringants Un roman engagé.

Hélène lecturissime – Niirlit – Juliana Léveillé-Trudel

Mark & Marcel – Nirliit – Juliana Léveillé-Trudel

Pativore – Lac Mégantic, la dernière nuit – Marie-hélène rousseau, Marie-Eve Lacas et Myriam Roy (BD)

Ennalit – Lac Mégantic, la dernière nuit – Marie-hélène rousseau, Marie-Eve Lacas et Myriam Roy (BD)

Isally – Ukraine à fragmentation – Fredérick Lavoie

Blue – Querelle de Roberval – Kevin Lambert

Yueyin – Querelle de Roberval – Kevin Lambert

Karine – Automne rouge – André-Philippe Côté et Richard Villerand (BD)

Ingamnic – Royal – Jean Philippe Baril-Guérard

Karine – Le Mamouth – Pierre Samson

Pativore – Rêver de liberté – Raif Badawi

Ennalit – Pourquoi les filles ont mal au ventre – Lucile de Pesloüan et Geneviève Darling

Les bouquineuses – Sauvagine – Gabrielle Filteau-Chiba

Argali – Nous ne trahirons pas le poème – Rodney St Eloi

3. Grand champion – Les trois accords Un livre ayant gagné un prix littéraire.

Argali – Le plongeur – Stéphane Larue

Karine – Ténèbre – Paul Kawczak

Claire – Les fous de Bassan – Anne Hébert

Inganmic – Le poids de la neige – Christian Guay-Poliquin

Anne – La femme qui fuit – Anais Barbeau Lavalette

Ennalit – La déesse des mouches à feu – Geneviève Pettersen

4. Arnaq – Elisapie Un roman d’un auteur autochtone.

Karine – Jasette littérature autochtone avec Michel Jean

Yueyin – Je me suis faite belle – Joséphine Bacon (bâtons à message – Tshissinuatshitakana) (poème)

Isally – Manikanetish – Naomi Fontaine

Argali – Kuessipan – Naomi Fontaine

Inganmic – Shuni – Naomi Fontaine

Yueyin – Kukum – Michel Jean

Hélène – Kukum – Michel Jean

Karine – Croc fendu – Tanya Tagaq

5. Tu m’aimes-tu – Richard Desjardins Un roman où il y a de l’amour.

Chloé – Coeur vintage – Emilie Bibeau

Argali – Le dernier mot – Carolyne Roy-Element et Mathilde Cinq-Mars (BD)

Hélène – Les chars meurent aussi – Marie-Renée Lavoie

yueyin – les chars meurent aussi – Marie-Renée Lavoie

Mark & Marcel – Le Survenant – Germaine Guèvremont

Ennalit – La délivrance – Jennifer Tremblay

Sylire – La Délivrance – Jennifer Tremblay

Nadège – Habiller le coeur – Michèle PLomer

Les bouquineuses – Habiller le coeur – Michèle Plomer

Isally – C’est dans le désert que les bombes font le plus de bruit – Mathieu Simard

6. Martin d’la chasse galerie – La bottine souriante Un roman SFFF.

Karine – Émeraude – Gemme 1 – Geneviève Boucher

Karine – Les cousines vampires – Alexandre Fontaine-Rousseau – Cathon

Karine – La Balance et le Sablier – Les pierres et les roses – Elizabeth Vonarburg

7. Fracture du crâne – Ariane Moffat Un roman issu de la diversité ou dans lequel on parle de la diversité.

Karine – Ceci n’est pas une histoire de dragon – Mathieu Handfield

Anne – Moi aussi j’aime les hommes – Simon Boulerice et Alain Labonté

Isally – Gamètes – Rebecca Deraspe

8. Plus tôt – Alexandra Strélisk Un classique québécois ou un futur classique selon vous.

Mark&Marcel – Un objet de beauté (chronique du plateau Mont Royal 6) – Michel Tremblay

Hélène – L’homme de la Saskatchewan – Jacques Poulin

Aifelle – L’homme de la Saskatchewan – Jacques Poulin

Yueyin – Victoire ! – Michel TremblayVictoire !

9. Place de la République – Coeur de pirate  Un roman qui a traversé l’océan.

Anne – Abattre la bête – David Goudreault

yueyin – La bête à sa mère – David Goudreault

Karine – Comment je en suis pas devenu moine – Jean-Sébastien Bérubé

Bluegrey – Tarmac – Nicolas Dickner

Claire – Oyana – Eric Plamondon

10 . Nos joies répétitives – Pierre Lapointe  Une oeuvre qui fait partie d’une série.

Eimelle – Le magasin général 6 ; Ernest Latulippe – Loisel et Tripp (BD)

Eimelle – Le magasin général 7 ; Charleston – Loisel et Tripp

Malice – Paul – Michel Rabagliati (BD)

Caroline – Paul à Québec – Michel Rabagliati

Argali – J’irai danser si je veux (Autopsie d’une femme plate) – Marie-Renée Lavoie

Eimelle – En plein coeur – Gamache 1 – Louise Penny

Karine – En plein coeur – Gamache 1 – Louise Penny

Eimelle – Sous la glace – Gamache 2 – Louise Penny

Anne – Sous la glace – Gamache 2 – Louise Penny

Ennalit – Défense de tuer – Gamache 4 – Louise Penny

Aifelle – La nature de la bête – Gamache 11 – Louise Penny

Hélène – Le beau mystère – Gamache 8 – Louise Penny

Eimelle – le mois le plus cruel – Gamache 3 – Louise Penny

Isally – En 1837, j’avais 17 ans – Le Feu Tome 4 – Francine Ouellette

11. J’aurais voulu être un artiste  Un roman dans lequel il y a de l’art.

yueyin – L’Annexe – Catherine Mavrikakis

Karine – Bon chien – Sarah Desrosiers

Karine – Et j’ai crié sur les murs de ta ville – Maé Sénécal

Isally – Les moments auxquels on s’attache – Amélie Panneton

12. Dans la nuit qui tombe – Karim Ouellet  Un polar/thriller/roman d’horreur/roman noir.

Hélène – Rivière tremblante – Andrée A. Michaud

Ingamic – Rivière tremblante – Andrée A. Michaud

Ennalit – Rivière tremblante – Andrée A. Michaud

Karine – Jasette et papotage sur les polars québécois avec Robert Migneault

Karine – les ananas de la colère – Cathon

Madame lit – Bondrée – Andrée A. Michaud

Isally – Dans son ombre – Chrystine Brouillet

Eimelle – Dans son ombre – Chrystine Brouillet

Argali – De ton fils charmant et clarinettiste – Richard Sainte-Marie

13. Tit-Cul – Les cowboys fringants  Un roman ou un album ou une BD jeunesse.

Malice – les mannequins maléfiques – Du bruit dans les murs

Enalit – Graines de bandits – Yvon Roy

Isally – 21 jours en octobre – Magali Favre

Karine – J’ai appris ça au cirque – Baron Marc-André Levesque

Anne – La curieuse histoire d’un chat moribond – Marie-Renée Lavoie

Argali – Jimmy et le big foot – Pascal Girard

Karine – Fanny Cloutier 2 – Le jour où mon père m’a forcée à le suivre au bout du monde – Stéphanie Lapointe

Karine – L’hivers nucléaire 3 – Cab (bd)

Karine – Les petits garçons – Sophie Bédard (bd)

14. Balade à Toronto – Jean Leloup  Un livre d’un auteur canadien, mais pas québécois.

Anne – Graine de sorcière – Margaret Atwood

Eimelle – Graine de sorcière – Margaret Atwood

Isally – les testaments – Margaret Atwood

Sylire – L’Obomsawin – Daniel Poliquin

Enna – L’Obomsawin – Daniel Poliquin

Gambadou – L’Obomsawin – Daniel Poliquin

Sylire – L’Obomsawin – Daniel Poliquin

Kathel – Washington black – Esi Edugyan

Isally – Louis Riel, l’insurgé – Chester Brown (BD)

Claire – Anne D’Avonlea – Lucy Maud Montgomery

Inganmic – Johnny Appleseed – Joshua Whitehead

15. N’importe quoi – Éric Lapointe  Le titre dit tout.

Aifelle – La héronnière – Lise Tremblay

karine – la pitoune et la poutine – Alexandre Fontaine-Rousseau et Xavier Cadieux

Eimelle – Pancakes moelleux au sirop d’érable

Litterama – Le faucon – Marie Laberge (théatre)

Eimelle – Pouding chômeur au sirop d’érable

Eimelle – gâteau pomme sirop d’érable

Eimelle – Où manger québécois à Tours

Eimelle – Oeufs au sirop d’érable

Claire – Comment ne rien faire – Guy Delisle (BD)

Isally – Les charmes de l’impossible – Karine Glorieux

Pativore – J’étais là (série documentaire animée)

Aifelle – Jolie Louise – Isabelle Boulay (chanson)

Claire – Écoutons la télé

Karine – Vlog semaine 1

Karine – Vlog semaine 2

La vidéo PAL de MH la lectrice 

La vidéo PAL de Cindy 

La vidéo PAL de Maps 

La vidéo PAL de Encore1page

La vidéo PAL de 4e de couverture

Vous pouvez aussi suivre les publications Instagram grace au hashtag/mot clé #quebecennovembre   

Nota bene : S’il n’y a pas de lien, c’est que les livres sont apparus sur FB et n’ont pas fait l’objet d’un billet publié sur un blog ou sur un autre support durable 🙂

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Radium girls

1918, la guerre (la grande, comme s’il y en avait de petite) est finie et l’heure est à l’amusement voire à la légèreté chez les jeunes ouvrières de l’USRC dans le New Jersey. Après une journée passée à peindre des cadrans de montre à la peinture phosphorescente, elles aiment à sortir toutes ensembles pour papoter ou aller danser. Certes la technique du lip dip paint (humecter le pinceau entre leurs lèvres entre chaque touche de peinture) a quelques effets secondaires : elles brillent légèrement dans le noir. Mais on leur a assuré, à plusieurs reprises, qu’il n’y avait rien a craindre alors autant s’amuser de ce surnom de Ghost girls qu’on leur a donné voire à en remettre une couche en se servant de la peinture phosphorescente comme vernis à ongle. Seulement USRC veut dire United State Radium Corporation, et le radium, après avoir été gage universel de modernité  ne va pas tarder à montrer d’autres effets beaucoup plus graves…

Ce scandale des ouvrières du radium n’est guère connu en France pourtant c’est la lutte de ces femmes qui est à l’origine des lois américaines permettant aux employé.e.s de se retourner contre leurs entreprises quand celles-ci ont mis leur vie ou leur santé en danger. Parfois, comme c’est le cas ici, en toute connaissance de cause. Une lutte sociale donc – mention spéciale à la scène ou en plein tribunal, les plaignantes se voient signifier que la séance est ajournée car les accusés sont en vacances en Europe, annonce qui déclenche un fou rire nerveux chez ces femmes qui se savent mourantes sans aucune chance de voir l’Europe un jour – mais aussi profondément humaine car bien sûr nous savons dès le début le sort promis à ces jeunes filles ordinaires, intelligentes mais confiantes. Le choix d’utiliser un crayonné en camaïeu de mauve et de vert sert admirablement le propos, glissant de la gaieté à l’angoisse, le tout rythmé par de pleines pages qui font basculer les destins. Tout au plus pourrais-je regretter un petit manque de caractérisation qui conduit à parfois hésiter à reconnaître un personnage mais c’est peut être moi. En l’état, c’est une très belle œuvre touchante et puissante. Délétère !

Radium girls – Cy – 2020 – Glénat

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Québec en novembre, le ixième retour…

Avec l’automne, arrivent les frimas mais pas que, car c’est aussi le temps de Québec en novembre et ça c’est aussi bon qu’un thé chaud siroté au coin du feu, le nez dans un livre et les pieds sous un plaid (enfin je dis thé, vous pouvez boire ce que vous voulez, je ne suis pas sectaire) (mais non je ne pense pas forcément à une boisson alcoolisée quelle idée) (même si un petit vin chaud ou un bon grog, par des temps incléments…)

Mais, vous demandez-vous, qu’est-ce donc que ce Québec en novembre dont on nous rebat (Ahem) les oreilles depuis maintenant 9 ans (oui tout ça) ? (Sauf bien entendu si vous attendez déjà ce rendez-vous avec grande impatience, pile de bouquins et paillettes plein les yeux). Rien de compliqué, rassurez-vous ! Il s’agit simplement de voir fleurir la littérature québécoise sur les blogs et autres médias dits sociaux tels que facebook, instagram ou autres… Et comment faire pour faire fleurir cette littérature ? Mais en en parlant bien sûr, en en lisant, en en discutant, en en écrivant, en partageant autour, encensant ce qu’on aime, mitigeant ce qu’on aime moins, ergotant sur les deux, bref… Vous avez compris l’idée, en novembre, on lit québécois et on en parle…

Des règles ? Peu très peu, Karine et moi ne sommes pas vraiment branchées contraintes, plutôt plaisir… donc une seule lecture québécoise dans le mois suffit pour en être mais bien sûr vous pouvez lire autant que vous voulez et combiner avec autant d’autres challenges qu’il vous sied. (genre bd du mercredi, raviolis du jeudi ou Halloween… C’est open bar !) Les autrices et auteurs peuvent être québécois pur laine ou d’adoption, vivre ou avoir vécu au Québec, tout est permis tant qu’on reste au Québec.

Les années précédentes nous avons organisé pas mal de lectures communes autour de thèmes et d’auteurs, lectures tout à fait facultatives et non limitatives au reste mais c’est toujours amusant de lire ensemble ou de se donner des défis. Cette année, la très divine et très talentueuse Karine nous a choisi 15 chansons québécoises associées à des thèmes autour desquels vous pourrez broder tout à votre aise. Oui oui c’est Karine qui a eu cette merveilleuse idée et choisi les tounes (j’ai juste proposé Jean Leloup ; je suis grave poche en chansons québécoises mais j’adore l’idée).

Or donc voici le programme que bien entendu vous pouvez suivre ou pas du tout, entièrement ou partiellement, en couplant ou triplant les catégories bref à votre sauce tant que vous y prenez plaisir :

1. On jase de toi – Noir silence

Un livre sorti en 2020. Pour rester en prise avec l’actualité que diable….

2. L’amérique pleure – Les cowboys fringants

Un roman engagé. essai, roman, nouvelle peu importe tant que l’oeuvre défend une cause et prend parti…

3. Grand champion – Les trois accords

Un livre ayant gagné un prix littéraire. C’est bien les prix, ça donne des idées et vous pouvez vous appuyer sur les plus prestigieux comme sur les plus confidentiels voire carrément privés… (genre le top 10 de mes livres québécois préférés, voui voui voui)

4. Arnaq – Elisapie

Un roman d’un auteur autochtone. Et il commence à y avoir de plus en plus de choix et c’est bien…

5. Tu m’aimes-tu – Richard Desjardins

Un roman où il y a de l’amour. De l’amour, de l’amour et encore de l’amour… Les romances fittent mais il y a des tas d’autres romans où l’amour est présent au détour d’une page.

6. Martin d’la chasse galerie – La bottine souriante

Un roman SFFF. Science-Fiction, Fantastique, Fantasy et tous les sous genres, aujourd’hui on dirait les littératures de l’imaginaire mais ça me semble toujours un peu flou… enfin profitez-en pour jouer sur le flou si ça vous arrange.

7. Fracture du crâne – Ariane Moffat

Un roman issu de la diversité ou dans lequel on parle de la diversité. diversité de culture, de genre, d’orientation sexuelle, d’apparence, de capacité, que sais-je encore ?

8. Plus tôt – Alexandra Stréliski

Un classique québécois ou un futur classique selon vous. Un petit classique, ça remet sur les rails non ? et puis on a l’impression d’avoir accompli un truc, enfin moi ça me fait cet effet et vous ? Pour la définition de classique, on vous fait confiance mais disons que l’âge et la célébrité sont toujours des critères sûrs.

9. Place de la République – Coeur de pirate

Un roman qui a traversé l’océan. Tout roman québécois publié (ou plus souvent republié) par un éditeur français (ou autre mais je ne connais que des français)… Ce sont les plus faciles à trouver de ce côté de l’océan et ça compte (et oui moi aussi je vis en France depuis un bail maintenant et ce n’est pas toujours facile de trouver les romans qui me crient de les lire toutes affaires cessantes, croyez-moi.)

10 . Nos joies répétitives – Pierre Lapointe

Un roman qui fait partie d’une série. Une série de livres (ou un roman issu de la série hein, paniquez pas), une série télévisée, une suite, une prequel, un spin off (comment on dit ça en français aidez-moi) , tout ce que vous voulez…

11. J’aurais voulu être un artiste

Un roman dans lequel il y a de l’art. Au départ ce devait être “livre avec des livres dedans” : quand on est obsédées textuelles et qu’on organise un challenge, on se fait plaisir mais finalement, au diable les restrictions, tous les arts sont les bienvenus.

12. Dans la nuit qui tombe – Karim Ouellet

Un polar/thriller/roman d’horreur/roman noir. Noir c’est noir comme disait quelqu’un…

13. Tit-Cul – Les cowboys fringants

Un roman ou un album ou une BD jeunesse. un rien de jeunesse ou de bd les gens, y’a des pépites…

14. Balade à Toronto – Jean Leloup

Un livre d’un auteur canadien, mais pas québécois. Francophone ou anglophone (ou autre finalement) peu importe tant qu’il vient d’une autre province. (Je vous ai déjà parlé de Robertson Davies ? Non ? ben faudrait… ) Et sinon j’adore Jean Leloup oui voilà, il fallait que ce fut dit.

15. N’importe quoi – Éric Lapointe

Le titre dit tout. Comment ? Vous aviez un titre inclassable ? Un Otni en puissance ? Un truc impossible ? Que nenni cette catégorie est là pour vous… Tout y fitte, tout y va, tout y convient (si j’ose ainsi dire bien sûr)…

À vos marques donc et à vos lectures ami.e.s de la littérature québécoise, qu’elle vous soit douce, qu’elle vous apporte fun, plaisir, joie, émotions et toute cette sorte de chose et rappelez-vous, on fait tout cela pour le plaisir. Vous êtes libres, faites vos choix comme ça vous tente – Karine et moi avons des sections québécoises assez dodues ma foi. Venez en parler sur le groupe FB si cela vous dit, utilisez le hashtag pardon motclic #québecennovembre si cela vous tente… Vous pourrez partager vos billets et vidéos en commentaires des billets récap qui paraitront le 1er novembre sur les deux blogs ou bien sûr sur le groupe FB et en attendant… lisez québécois 🙂

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Suzuran

Anzu est céramiste, divorcée et élève seule son fils d’une dizaine d’années. Réservée et discrète, elle s’exprime pleinement dans son art, la création de vase d’Ikebana, et en a fait son métier. Car si elle parait timide et peu sûre d’elle, Anzu cache en fait une grande force intérieur qui lui permet de mener sa vie comme elle l’entend malgré les pressions de la société japonaise, douces lorsqu’elles sont le fait de ses parents ou plus acérées venant de sa soeur Kyoko. Et de cette sérénité, Anzu va avoir grand besoin quand l’annonce des fiançailles de sa soeur vient semer le trouble dans une vie qu’elle a voulu quasi monacale…

De Aki Shimazaki, j’avais beaucoup aimé le Cycle du Poids des secrets, lu il y a un certain temps déjà et je m’étais promis d’y revenir. Son nouveau roman (d’accord il est sorti il y a un an mais personne ne me dit rien à moi) m’a semblé une bonne occasion. Au départ, cependant, je me suis sentie un rien chagrinée par l’écriture. La simplicité du style de l’auteur frôle ici l’ascèse – des phrases courtes, au présent, descriptives au possible. Tellement épurées qu’elles en deviennent élémentaires. Oui mais voilà, je l’ai quand même lu d’une traite ce roman – il est court certes, une centaine de page mais tout de même – et les personnages me trottent encore et encore dans la tête. j’admire la délicatesse avec laquelle l’autrice esquisse la complexité des sentiments et, je l’avoue, la profonde sérénité d’Anzu et sa capacité de résilience me rende un rien jalouse. Finalement je me dis que je pourrais bien lire un autre Shimazaki – voire tout un cycle, genre Au coeur du Yamato – pour voir si son style me gène tant que cela. Délicat !

Suzuran – Aki Shimazaki – 2019 – Léméac

PS : Aki Shimazaki bien que née et élevée au Japon est installée au Québec depuis près de 30 ans et écrit en français. Une bonne recrue pour le programme de Québec en novembre

PPS : Au cas où la couverture serait insuffisante, je précise que Suzuran en japonais c’est le muguet, fleur parfumée, délicate, discrète, extrêmement solide une fois enracinée et parfaitement toxique… Je dis ça je dis rien…

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La mariée de corail

Il y a trois sortes de gens
Les morts et les vivants
Et ceux qui sont en mer

En pensant à La mariée de corail, comme d’ailleurs à la précédente enquête gaspésienne de l’inspecteur Moralès, j’entends scander la voix de Lavillier : “il y a trois sortes de gens…” (cela dit il parait que c’est une citation d’Aristote, apocryphe bien sûr, mais cela ne change rien à la voix que j’entends dans ma tête) (oui oui je songe à consulter au sujet de ces voix).

Comme dans Nous étions le sel de la mer, Nous revoici en Gaspésie, cette fois encore une femme a disparu, une femme de mer, capitaine de homardier rien que ça, unique en son genre. Suicide, accident, autre chose, nul ne sait et c’est l’inspecteur Moralès qui est chargé d’enquêter. Un peu à son corps défendant car sa vie personnelle – ses relations avec sa femmes, absente, avec son fils, qui vient de débarquer avec toutes ses affaires entassées dans une voiture – lui semble mériter un rien de temps et de réflexion mais bon c’est son métier et puis la disparue, Angel, est elle-aussi la fille de quelqu’un…

À vrai dire, on va vite se rendre compte que celle qui est digne d’intérêt est bien plus la victime elle-même que son entourage. Femme entêtée, risque-tout, généreuse, fascinante par delà la mort elle-même, Angel Roberts a suscité de son vivant autant d’admiration que de réprobation, pour ses choix de vie et sa façon de les conduire. Ce qui ne signifie pas que l’autrice en oublie les autres personnages, bien loin de là. C’est même ce qui fait une bonne partie de l’intérêt de ce polar poétique, car au delà de la résolution d’un crime, c’est bien de la compréhension des motivations entrelacées des uns et des autres qu’il s’agit et plus l’histoire avance plus on perçoit la profondeur et la complexité de leurs liens et de leurs sentiments. Une partie disais-je, oui, car l’autre très grand atout de ce roman c’est l’écriture bien sûre, salée, iodée, brumeuse et lumineuse à la fois, nous envoyant au visage plus que l’air du large, d’entêtants embruns. Un livre splendide, à la hauteur de Nous étions de sel de la mer qui m’avait en son temps, enchanté et qui donne furieusement envie de le relire. Grisant !

La mariée de corail – Roxanne Bouchard – libre expression – 2020

L’avis de La divinissime Karine

PS : Le manque de compétence relationnelle de Joaquin Moralès est quand même éprouvant parfois, il faut bien l’avouer, on a grande envie de le secouer un coup mais bon, j’en connais des comme ça…

 

 

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Meurtre sur la Madison – Les morts de Bear Creek – La vénus de Botticelli Creek

Trois romans pour le prix d’un, c’est cadeau… Je sais ne me remerciez pas. Comme j’ai lu ces trois romans à la suite (quasiment sans respirer entre deux) pour la bonne raison qu’il se suivent (Il y en a d’autres mais ce sont les trois seuls traduits en français pour le moment) faire trois billets se serait révélé bien artificiel et pour tout dire on risquait la redite voire la reredite.

La rivière Madison dont il est question dans le titre du premier Opus est donc l’une des plus célèbres rivières à truites des États-Unis. Les amateurs viennent de partout tremper leurs mouches et faire marcher le commerce local, y compris – surtout peut-être – les très (très) riches amateurs. Autant dire que quand l’un d’entre eux pêche inopinément au lieu d’une belle truite un triste cadavre incontestablement humain à la lèvre inférieure piquée d’une superbe Royal Wulff (oui une de ces mouches compliquées que l’on noue au bout des cannes au lancer) cela peut se révéler très mauvais pour les affaires et justifie amplement – s’il en était besoin – la mauvaise humeur de la shérif Martha Ettinger. Humeur au reste assez habituelle chez elle, ce qui ne l’empêche pas de savoir s’entourer et de mener efficacement ses enquêtes…

Le grand atout de cette série de romans – les enquêtes de Sean Stanahan je crois  (oui je ne vous ai pas encore parlé de lui, c’est pour le mystère) – ou disons les deux grands atouts, sont le cadre – sublime – et les personnages. Pour le cadre nous sommes dans la droite ligne du très regretté W. G. Tapply (dont je ne saurais trop vous recommander la lecture), la nature sauvage ou presque, les rocheuses à l’ouest, la forêt partout, les lacs et les rivières pour le plaisir autant du pêcheur que de l’amoureux de la nature ou de la méditation, le tout servi par une écriture lumineuse…  D’autant qu’il y a quelque chose de très poétique dans l’art de la pêche à la mouche, en tout cas décrit comme cela, même moi j’ai eu envie d’y aller voir et pourtant la seule chose que j’emmène à une partie de pêche c’est un bouquin (et le pique-nique éventuellement). Mieux, dans ce cadre somptueux les personnages sont pleins d’intérêt, l’épineuse shériff Ettinger, le peintre-enquêteur-malgré-lui Sean Stranahan, le pisteur Blackfeet Harold Little Feather, le guide de pêche Rainbow Sam tous sont attachants et tous évoluent de livre en livre… un rien succincts au départ, il s’approfondissent et leurs relations se construisent pour notre plus grand plaisir. Les intrigues sont bien menées, assez retorses ma foi avec juste assez d’action  (C’est rarement ce que je préfère dans un polar) pour donner du piment. Bref de l’excellent nature writing dans la veine noire. Rafraichissant !

Meurtre sur la Madison (2012) – Les morts de Bear Creek (2013) – La vénus de Botticelli Creek (2014) – Keith McCafferty – Traduit de l’anglais (états-unis) par Janique Join-de Laurens – Gallmeister

PS : Je trouve que les titres anglais (The Royal wulff murders pour le premier – et voici à quoi ressemble une royal wulff pour les curieux) des trois premier opus sont bien trouvés avec leur nom de mouches, bien que évidemment je ne l’ai compris qu’après lecture…

PPS : avoir fait du personnage central un peintre m’a bien plu aussi, ça cadre bien avec le côté contemplatif (ai-je assez piqué votre curiosité sur ce Sean pêcheur-peintre-détective ou non ?)

PPPS : Craig Johnson, le créateur du célebrissime shériff d’Absaroka dans le Wyoming, Walt Longmire, est fan aussi… ça compte non ?

PPPPS: attention aux Grizzlis

 

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Dans l’or du temps

L’été, la Normandie, le sel, le sable, la famille… Voilà ce qui s’annonce pour le narrateur : toutes les apparences d’un bonheur simple, peut-être même une part de réalité mais au-dedans comme un grand vide qu’il ne s’explique pas – en même temps on ne peut pas dire qu’il soit doué pour l’introspection – mais qu’il constate avec une inquiétude diffuse. Jusqu’à ce qu’il rencontre Alice au détour d’un panier de poires, Alice vieille, excentrique, souvent acerbe, parfois plus à l’écoute de ce qu’il ressent que lui-même. Alice et ses trois Kachinas hopis sur l’armoire, Alice qui a fréquenté André Breton et les surréalistes en Arizona et qui semble encore hantée par ce là-bas trop chaud, trop sec, trop ensoleillé. Là-bas où vit le Peuple paisible*…

Je me demande à quels contes on pourrait comparer ce roman, Hansel et Gretel pour la vieille dame au fond du jardin attirant l’innocent promeneur – et puis n’a-t-elle pas un four du diable, les Mille et une nuits pour l’attraction irrésistible d’en savoir toujours un peu plus, ou encore un de ces contes initiatiques hopis où l’enfant devenant adulte comprends comment les esprits s’incarnent derrières les masques. Disons qu’il y a un peu de chaque, avec en prime cet entêtant va-et-vient, obsédant comme la mer, entre les pierres chauffées à blanc des villages Pueblos et la pluie insistante et douce de la côte d’albâtre, entre mutisme et confidences, entre coquille vide et trop plein d’images et d’émotions. Le tout dans ce style rêche et placide qui n’appartient qu’à Claudie Gallay, certains s’y ennuient, moi j’y trouve une poésie aussi poignante et vertigineuse que le vide intérieur du narrateur. Enivrant !

Dans l’or du temps – Claudie Gallay – 2006 – Le Rouergue

Déjà chroniqués dans ces pages de Claudie Gallay (que j’aime d’amour, vous l’aviez compris) : La beauté des jours, Une part de ciel et les années cerise

*c’est ce que signifie Hopis dans leur propre langue

PS : Le titre – magnifique – est inspiré directement de l’épitaphe d’André Breton, Je cherche l’or du temps, allez donc la lire à l’occasion au cimetière des Batignolles dans le 17e arrondissement de Paris section 31 (oui je me promène dans les cimetières, pas vous ?)

PPS : Les villages Hopis sont constitués aujourd’hui en réserve à part entière mais pendant longtemps ils ont été “inclus” dans la réserve Navajos dans la région des Fours corners. Un endroit désolé et magnifique qui n’est guère accessible par les temps qui courent mais on peut toujours lire Soleil hopi, le fameux livre dont il est question dans ce roman, et puis rêver…

 

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La brodeuse de Winchester

1932, Violet, trente-huit ans, fait partie de ces “femmes excédentaires” dépourvues de mari pour cause de Grande Guerre*. Objet à la fois de pitié – car enfin elles ne peuvent être de “vraies” femmes, et de méfiance – mais ne menace-t-elle pas un peu les ménages de celles en puissance de mari, ces femmes peinent à trouver leur place dans une société qui aime les choses claires et les chasses bien gardées. Étouffée tant par sa situation que par une mère acariâtre, Violet a d’abord réussi à trouver un emploi, puis à se faire muter à Winchester à une vingtaine de kilomètres de la demeure familiale, distance réduite sans doute mais suffisante pour être obligée de trouver un logement – chose délicate pour une célibataire – et de vivre enfin une certaine liberté dans la mesure où ses très chiches finances le lui permettent. La magnificence de la cathédrale de Winchester étant un loisir gratuit – ce qui  n’est pas rien pour une femme obligé de sacrifier un repas pour une soirée au cinéma – elle y prend quelques habitudes jusqu’à ce qu’elle y croise une singulière confrérie de brodeuses et que la vie, peu à peu, se pare de nouvelles couleurs…

J’aime que les personnages de roman changent et évoluent avec leur histoire et c’est justement – scriptrix gratias** – le sujet de ce roman. Un sujet traité tout en finesse – brodé pour ainsi dire, sur le canevas pâli d’une époque pas si lointaine où la place de chacun dans le monde était clairement délimitée et où malheur à ceux qui – serait-ce à leur corps défendant – se retrouvaient à la marge. Pourtant c’est aussi le moment où, pour les femmes, les choses commencent à bouger – n’ont-elles pas le droit de vote depuis quelques années en Angleterre – et Violet va se glisser, sans but défini ni désir construit – qu’elle serait bien en peine de formuler d’ailleurs – dans ce courant émancipateur d’une façon d’autant plus remarquable qu’elle est portée par l’activité la plus traditionnellement féminine qui soit : la broderie.  Mais est-ce si surprenant de la part de Tracy Chevalier qui a trouvé (j’imagine) l’inspiration dans le personnage de Louisa Pesel, la mentor de Violet, personnage historique qui – outre qu’elle conçut et dirigea la réalisation de la décoration brodée du chœur de la cathédrale de Winchester – enseignait la broderie aux traumatisés des tranchées de la grande boucherie, prônant que se concentrer sur la production de quelque chose de beau était un bon moyen de se réconcilier avec la vie. Un roman tout en délicatesse, tant sur la forme que sur le fond mais sous tendu par un courant puissant, une trame faite de l’obstination de certaines à obtenir le droit de vivre autrement. Sic parvis magna***. Inspirant !

La brodeuse de Winchester – Tracy Chevalier – 2019 – traduit de l’anglais par Anouk Neuhoff – Quai Voltaire – 2020

*Pourtant Yoda sait que nul par la guerre ne devient grand (pardon je sors)

**Merci à l’autrice (j’écris en latin si je veux)

***Des petites choses nait la grandeur (traduction controversée mais devise attestée de sir Francis Drake – El Dragón – pirate pardon corsaire pardon homme politique anglais).

PS : il est aussi question de sonneurs de cloches – carillonneurs – dans ce roman et c’est assez passionnant.

PPS : en plus ça donne envie de broder…

cliquez sur l’image pour en savoir plus sur Louisa Pesel et le cercle des brodeuse de la cathédrale de Winchester

 

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