Pendant les longs mois de mon absence bloguesque, j’ai traversé les affres et tourments d’une abominable panne de lecture. Rien à faire : rien que de penser à lire, j’en baillais. Alors j’ai plié, crocheté, me suis abonnée à un nombre ridicule de chaines youtube mais bon, tout cela ne m’a jamais suffi. Dans ces cas là, je ne connais pas 36 remèdes : à moi les relectures et de préférence les relectures les plus confortables, celles de livres ou de séries de livres que je connais par cœur tellement mes yeux en ont usé les lignes. Alors dans un moment de grande fraternité lectoresque – et pour le cas ou vous aimeriez les romans historiques ET que vous ne connaitriez pas encore le très sagace Erwin – il m’est venu l’envie de vous parler cette superbe série de Marc Paillet.
J’aime les romans historiques, cela se sait, et particulièrement les polars historiques qui d’enquête en enquête permettent aux auteurs d’approfondir les personnages et de brosser de beaux panneaux d’ensemble d’époques plus ou moins connues. Ici c’est le règne de Charlemagne qui est à l’honneur et vous avouerez avec moi que ce n’est pas la période que l’on rencontre le plus communément. Sachant que je suis, pardonnez moi de citer le grand Georges, foutrement moyenâgeuse dans mes goûts, cette série ne pouvait manquer de m’attirer dès le départ, elle a rempli toutes ses promesses à la lecture et je ne me lasse pas de la relire encore et encore quand l’envie m’en prend.
Charles le Grand, fils de Pépin et petit-fils du Marteau des Sarrasins (ça fait peur, dit comme ça) (en même temps c’est l’idée) disposait pour gouverner son immense empire, d’un certain nombre d’institutions. Entre autres, celles des comtes et marquis – en général des parents ou des compagnons d’armes – qu’il nommait pour gouverner ses provinces en son nom avec tous pouvoirs. Et celle des Missi Dominici, les envoyés du maitre, pour s’assurer que lesdits comtes n’en prenaient pas trop à leur aise – on est jamais trop prudent – et respectaient ce tout nouveau contrat de vassalité qui était en train de se créer dans la bonne vieille Gaule jadis romaine.
Erwin est donc un abbé saxon – à l’époque les fonctions d’abbé et d’évêque ne sont pas intrinsèquement liées à un lieux comme ce sera le cas plus tard – né et élevé dans l’actuel Grande-Bretagne (oui et il est grand, maigre, caustique dans ses propos et plutôt austère dans ces habitudes, je ne vois pas du tout à quel détective grand-breton il pourrait faire penser) érudit et disciple du célèbre Alcuin qui fut la cheville ouvrière de la renaissance carolingienne. Associé au comte Childebrand, cousin de Charlemagne de la lignée des Nibelung (quel joli nom), ils forment l’une de ces paires redoutées de tous car ne relevant que de l’empereur. Et ils s’y entendent pour bousculer des choses que l’on croyait bien établies, évinçant des comtes à la justice approximative, écartant des évêques aux appétits trop grands, apaisant au passage quelques révoltes, creusant là où on ne les voudrait pas et bien souvent redresseur de torts – quand bien même leur justice nous semble parfois cruelle mais bon on est au IXe siècle.
Au fil des enquêtes, ils nous font visiter quelques coins de cette Gaule encore si variée dans ses peuples, ses coutumes et ses langues. De Lyon en Berry en passant par ce qui sera la Bourgogne (le Poignard et le Poison), ce qui est encore à l’époque la Septimanie (Les noyées du grau de Narbonne) ou même la résidence impériale de Thionville en Moselle (Le mystère de la femme en bleu), Marc Paillet nous permet d’explorer ce monde en mutation ou se dessine l’Europe à venir. Stratifications sociales et familiales, droits variables et complexes selon l’origine des sujets, vie quotidienne, paysages, marchandises et transport, enfin toutes ces choses qui font exister une époque. A cela s’ajoute toujours un rien de politique : révoltes (les Spectres de la nouvelle lune, la Femme en bleue, la Salamandre), souvent d’actualité sous Charlemagne qui ne fit pas dans la dentelle pour pacifier ses conquêtes, ou même ambassades car l’empereur ne dédaigne pas d’envoyer ses chers missi prendre contact avec le très célèbre Haroun al Rachid au coeur de sa ville de Bagdad (le Sabre du calife) ou explorer un peu les coutumes des redoutés Hommes du Nord du côté du Jutland (les Vikings aux bracelets d’or). Dans tous les cas, un meurtre ou plusieurs seront l’occasion, pour notre saxon, de montrer son étonnante sagacité car il n’est guère porté sur l’ordalie ou autre torture et préfère démontrer, prouver et faire avouer. Ce qui le rend éminemment sympathique aux lecteurs du XXIe siècle cela va sans dire. Embarquez donc au côté d’Erwin et Childebrand pour un voyage dans le temps et l’espace, gage d’évasion, de dépaysement et – disons-le – de plaisir même pas coupable.
- Le Poignard et le Poison, t. 1, 10/18 « Grands Détectives no 2581,
- La Salamandre, t. 2, 10/18 « Grands Détectives no 2629,
- Le Gué du diable, t. 3, 10/18 « Grands Détectives no 2699,
- Le Sabre du Calife, t. 4, 10/18 « Grands Détectives no 2766,
- Le Spectre de la nouvelle lune, t. 5, 10/18 « Grands Détectives no 2843,
- Le Secret de la femme en bleu, t. 6, 10/18 « Grands Détectives no 2942,
- Les Vikings aux bracelets d’or, t. 7, 10/18 « Grands Détectives no 3057,
- Les Noyées du grau de Narbonne, t. 8, 10/18 « Grands Détectives no 3230,
(ayant écrit un seul billet jusqu’ici sur ce cher Erwin, je vous mets quelques liens vers le blog du Papou qui s’est récemment fait une orgie carolingienne 🙂 )
Le regretté Marc Paillet, historien, résistant, journaliste et écrivain, né en 1918, nous a quitté en 2000 à ma considérable tristesse car je l’appréciais fort et l’apprécie toujours.
Si la mouvante frontière entre l’antiquité et le moyen âge vous intéresse, il est également l’auteur du Remords de Dieu qui à travers les tribulations de deux clercs immortels entre le IVe et le IXe explore la naissance et la mort de civilisations qui se crurent toutes impérissables. Plus érudit que la série Erwin mais disons moins pétillant dans son intrigue, ce roman fascinant et excellemment écrit est un plaisir de lecture.
Enfin et à toutes fins utiles, si vous aviez comme moi, du mal à quitter cette époque passionnante, vous pourriez vous tourner vers une œuvre de pur historien, en l’espèce Pierre Riché, très grand spécialiste de l’histoire médiévale, en lisant son très bel essai, Les Carolingiens, une famille qui fit l’Europe (Hachette 1997). Un ouvrage passionnant, clair et fort bien écrit qui débarrasse efficacement l’histoire carolingienne des quelques scories façon roman national – voire nationaliste – qu’elle trainait depuis le XIXe. Hautement recommandable !
Bon voyage les gens et puisse la lecture vous être agréable…
Je crois que j’en ai lu un u deux il y a longtemps. J’adore les séries Grands détectives de 10/18 mais c’est impossible de tout suivre. Dans le genre série complète, j’ai lu tous les Frères Cadfael d’Ellis Peters et tous les Chats de Lilian Jackson Braun.
oh je suis loin de tout suivre. Mais même si j’en ai essayé des tas, certaines séries sortent du mot pour moi 🙂 Ellis Peters en fait partie d’ailleurs 🙂
Quel beau billet. Je ne suis pas fan des romans historiques mais ce que tu as découvert de cette époque montré combien j’ai tort. Je lirai plutôt les ouvrages que tu recommandes à la fin
c’est une autre façon de s’intéresser à l’histoire, il est amusant de voir que les auteurs de romans historiques sont souvent historiens d’ailleurs 🙂
Beau billet !
Merci pour les liens. Tu sais déjà que je regrette cet auteur. Le bouquin de Pierre Riché me tente bien si tu l’as …
Le Papou
Je ne l’ai pas tout à fait fini mais je l’ai 🙂
Pas trop fan des séries historiques et policières de chez 10/18, mais par contre, remords de dieu me tente beaucoup. Bon retour bloguesque !
merci Athalie 🙂