Herland

Au tout début du XXe siècle, un trio de jeunes américains aventureux se lancent à la recherche d’un mystérieux pays peuplés uniquement de femmes. Chacun porté par ses fantasmes, ils ont imaginé toutes les formes que pourraient prendre une telle société, domination des hommes, sexes séparés voire mensonges institutionnels etc. la vérité se révélera totalement inattendue et changera à jamais leur vision du monde.

Herland est une utopie aux sens premiers du mot : une société idéale située nulle part. Concrètement, Gilman empreinte son cadre aux romans d’aventure en vogue à son époque – tels ceux de Henri Ridder Haggard ou Edgar Rice Burrough, et campe une vallée perdue, séparée du reste du monde par une infranchissable barrière montagneuse où – fantasme suprême – ne vivent que des femmes. Seulement loin de chercher à enrichir la littérature de genre d’une nouvelle variation autour d’aventures exotico-fantastiques teintées d’érotisme colonial, l’auteure utilise cet artifice pour camper sa société idéale. Un monde libéré des guerres et des maladies, de la pauvreté et de la peur, vu à travers les yeux de trois jeunes hommes – aussi étrangers que des martiens – totalement désorientés par les “femmes” si peu féminines qui les accueillent plutôt aimablement après une réception à la fois musclée et non violente.

Charlotte Perkins Gilman est célèbre pour son féminisme mais si la condition des femmes est au centre du roman – Van le narrateur se rendant peu à peu compte que ce qui lui semblait tout naturel dans la condition féminine n’était qu’une construction culturelle inférée par les hommes, elle aborde bien d’autres thèmes. La société qu’elle décrit est à la fois progressiste, non violente, socialiste et égalitaire. Ni classe, ni hiérarchie, ni honneur, ni argent… chacune travaille à l’oeuvre commune avec toujours en perspective l’idée d’améliorer l’efficacité et l’esthétique d’un élément de la société. La communauté et la coopération sont constamment opposées aux valeurs des hommes et notamment à celles de Terry – archétype du mâle occidental – l’individualisme et la compétition, amenant censément le lecteur – à travers les naïves questions des herlandiennes – à se poser de sérieuse question sur le bien fondée des dites valeurs. Plus intéressant encore, Gilman aiguillonne vertement traditions et religion, y opposant une vision entièrement fondée sur le rationalisme et l’efficacité – pourquoi demande l’une des protagonistes continuer à révérer des idées du passé quand nos connaissances ont tant évolué ? Une vraie remise en question du christianisme – si masculin – que je n’attendais guère dans un roman de  cette période.

Alors certes l’oeuvre reste marquée par son époque et Gilman cède un peu aux préjugés de son époque – tant qu’ils ne concernent pas les femmes – l’eugénisme et la conception de l’hérédité démangent un tantinet mais peu importe. Tel quel c’est un étonnant monument au féminisme, peut-être un peu étouffant cent ans plus tard – à Herland absolument tout doit  être utile,  les arbres ont donc tous été remplacés par des fruitiers, les animaux inutiles – les chiens – ont disparus et bien d’autres traits – mais bourrées d’idées étonnamment modernes dont certaines suscitent toujours autant d’intérêt. J’ajouterai quand même que la solution au problème purement sexuel de l’introduction de trois hommes dans un tel monde, illustre cruellement l’opinion que pouvait avoir une femme disons mûre – Charlotte était déjà divorcée et remariée quand elle a écrit ce roman – des “relations intimes” entre époux. Edifiant !

Herland – Charlotte Perkins Gilman – 1915

PS : Je ne vous ai évidemment pas révélé comment une telle société uniquement composée d’être humains de sexe féminins a pu perdurer… Vous aurez la surprise (quoique ce ne soit évidemment pas l’essentiel du roman).

PPS : Charlotte Perkins Gilman, célèbre à son époque, a eu un certain impact sur la littérature avec un renouveau dans les années soixante-dix quand son oeuvre a été exhumée des tiroirs où elle prenait la poussière. Elle a notamment écrit, à partir de sa propre expérience, ce qui doit être la première histoire d’une dépression postpartum : the yellow wallpaper. Margaret Atwood et Ursula Le Guin seraient ses admiratrices proclamées…

PPS : Herland n’a malheureusement pas été traduit à ma connaissance mais il est dans le domaine public et vous pouvez sans problème le trouver sur le net.

Bien que ce ne soit définitivement pas un roman d’anticipation, je l’ai lu dans le cadre du challenge Anticipation de Julie des magnolias avec qui j’ai partagé cette lecture et il rentre également dans le mois américain de noctenbule – coup double quoi 🙂

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8 réponses à Herland

  1.  

     

    C’est où c’est où c’est où ?

     

  2. Une auteure en avance sur son temps.

  3. Noctenbule dit :

    Un sujet assez intéressant et original. 

    Dommage qu’il n’existe pas en français 🙁

  4. romanza dit :

    Je note avec intérêt 😉

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