En ce début des années soixante, le grand Reich est en pleine crise de succession du fait de la maladie du Führer. Dans les États japonais du Pacifique – la côte ouest des anciens États-Unis, ceux d’avant la victoire de l’Axe – un dénommé Tagomi est chargé de superviser une réunion aussi étrange que secrète entre un supposé suédois – qui semble nettement mieux manier l’allemand que le suédois – et un japonais dont le nom semble aussi authentique que la nationalité du premier. Ailleurs dans la ville, un antiquaire est partagé entre son admiration pour l’occupant et son humiliation d’être un étranger dans sa ville natale ; un joailler-faussaire au nom un peu trop juif tente de trouver une raison de vivre et peut-être la fortune tout en faisant profil bas. Un peu plus à l’est dans les États des rocheuses, tampon entre les deux empires qui occupent l’Amérique du nord, une jeune femme – professeur de judo et adepte du yi-king – rencontre un camionneur italien un peu trop fanatique pour être honnête… Partout on ne parle que d’un livre étrange qui décrit un monde où contre toute raison, les alliés auraient gagné la guerre…
Pour quelle raison, ai-je donc ressorti de ma bibliothèque ce roman qui y sommeillait tranquillement depuis plus de trente ans, vous demandez-vous ? Par goût de revisiter un classique de la science fiction et une des plus célèbres uchronies qui soient ? Oui sans doute mais pas seulement. J’aime Philip K. Dick, certes, mais j’avoue que ses romans me plaisent plus par les thèmes qu’il y développe, ses questionnement sur la nature de la réalité et de l’humain, que pour son écriture que j’ai tendance à trouver un tantinet bavarde. Oui je sais, ceci est un blasphème mais je m’en remettrai. Bref revenons à nos moutons électriques et en l’occurrence à notre Maitre du haut château qui se trouve avoir fait l’objet d’une adaptation télévisuelle produite par Ridley Scott soi-même qui s’était déjà illustré en révolutionnant l’esthétique de la science-fiction dans une autre adaptation de Dick. Or en regardant la série, je me posais de plus en plus de questions sur le roman – que j’avais finalement presque totalement oublié – et il a bien fallu que j’y aille voir alors pourquoi ne pas vous en causer ?
Pour le roman, tout a été dit depuis longtemps. Les thématiques du rapport à la réalité et à l’humanité sont des plus intéressantes, la mise en abime – une autre réalité dans laquelle un livre parle de la nôtre, qui finalement n’est pas tout à fait la nôtre – est extrêmement efficace et l’introduction progressive de l’uchronie absolument géniale. Comme à son habitude, Dick néglige un peu le décors (on voudrait en savoir tellement plus) et emberlificote ses personnages dans des introspections aussi longuettes que lassantes. Enfin que je trouve lassantes même si j’ai l’impression qu’elles étaient une marque de la science-fiction de cette époque car j’ai eu la même sensation en relisant Dune. Cela dit on se laisse volontiers entrainer dans cette chorale de personnages nouée autour d’un livre – voire de deux livres – propres à révolutionner le monde en réveillant les consciences. Car le second livre essentiel ici c’est le yi-king – le livre des mutations – dans lequel les personnages – y compris le fameux Maitre – vont systématiquement chercher des réponses. Et si le monde post Axe nous est livrés au compte goutte il faut admettre que ce sont des gouttes tout à fait fascinantes. Classique !
Pour la série, la première chose qu’on remarque, ce sont les décors justement. Une spécialité estampillée Ridley Scott en quelques sortes, déjà dans Blade Runner, il parvenait à rendre l’esprit du roman en créant un cadre, un décors, une ambiance – toutes choses parfaitement absentes dudit roman. Dans cette série en costumes d’une réalité fictive, le mélange d’esthétique nazi et de vintage sixty fonctionne étonnamment bien voire tire carrément vers le grandiose. Les différentes ambiances caractérisant en elles-même les mondes mis en scène – esthétique rectiligne et grandiloquente du Reich, monde populeux mais très policier des états japonais, aspect miteux mais far west de la zone neutre… Les arcs narratifs du roman sont bien là mais largement développés tout comme les personnages devenus plus nombreux, plus complexes et leurs liens largement renforcés. Mieux la série prend le partie de nous montrer le Grand Reich américain, ce que Dick s’était gardé de faire, ce qui ouvre la voie à de multiples méditations tant l’Amérique – adaptabilité des humains – se ressemble. Enfin jusqu’à ce qu’interviennent quelques “détails” (car le diable est dans le détail dit-on en allemand) parfaitement glaçants qui nous rappellent d’interroger les valeurs de fond de ceux qui se drapent dans l’ordre et la sécurité. L’aspect mystique par contre à pratiquement disparu, remplacé par une ouverture sur le multivers très prometteuse au départ mais finalement peu exploitée à mon sens. Ici ce n’est pas un livre qui fait scandale (autre temps, autres mœurs) mais bien des films, des films qui montrent un monde où les alliés ont gagné la guerre certes, mais pas seulement ce monde là… Telle quelle c’est une excellente série, un peu lente peut-être en terme de réalisation mais qui permet justement l’immersion dans ce monde terrifiant jusqu’au dernier détail car précisons-le, la série est beaucoup (mais alors beaucoup) plus noire que le roman. D’un tragique sans concession qui renvoie peut-être au pessimisme de notre époque. Glaçant !
Le Maitre du haut château – Philip K. Dick – 1962 – traduit de l’américain par Jacques Parsons 1970
The Man in the High Castle – Ridley Scott et Franck Spotnitz – 2015 – Quatre saisons – Prime Vidéo
En gros, on peut se passer d’une lecture un peu trop bavarde pour se plonger dans une série, fidèle au roman et plus riche par certains aspects. Allez, dis oui, ça m’irait parfaitement bien !
mais bien sûûûûûrrrr que tu peux… regarde la série et enjoy (sauf si tu es déprimé, dans ce cas attends 😀 ) après tu auras peut être envie de lire le roman comme moi 🙂
En lisant ton billet, je réalise avoir tout oublié de cette lecture que j’ai pourtant appréciée, sur le moment.. du coup, je viens de relire mon (vieux) billet, et j’y mentionnais aussi ces “digressions” psychologiques des personnages, qui m’avaient parfois paru confuses..
Je ne le relirai pas, il me reste d’autres titres de K. Dick à découvrir..
par contre tu pourrais tester la série 🙂
J’ai vraiment du mal avec les séries… je ne sais pas faire marcher le replay sur ma télé, que je regarde quasiment jamais, et le format PC pour regarder des films ne me convient pas tellement… en fait, je préfère, définitivement, lire…
ah mais je comprends, après je regarde les séries à partir de l’ordinateur mais projeté sur l’écran de la télé et en famille… C’est plus collectif que la lecture (c’est très rare que je regarde quelque chose seule en fait)
Allez, je vais succomber paresseusement à la série alors 🙂
bonne idée 🙂
Marrant, on en parlait il y a peu à la bibli , où le livre est sur les étagères. Je note qu’il y a quelques longueurs, mais les uchronies j’aime bien.
et celle ci est en quelques sortes THE classique du genre 🙂