Les Saisons au bord de la mer

maspero“Ils se racontent des histoires, ceux qui se bercent de l’illusion que les maisons ont une âme à elles. Si les maisons en ont une, c’est seulement celle que forme l’ensemble des âmes de ceux qui les habitent. Jamais elles ne pourront parler à des intrus sans mémoire de la chaleur que leur communiquaient les vivants d’alors, de l’écho des voix au sein de leurs murs, des odeurs de cuisine et de fleurs, du vent de la mer qui faisait claquer les volets. L’âme des maisons, la vraie, ne survit que dans le souvenir de ceux qui y ont vécu.”

Deux époques, deux maisons du bord de mer. Dans la première enserrée en crabe autour de la guerre, il, le père, se souvient de son enfance insouciante d’avant guerre dans cette grande demeure bourgeoise du nord à l’écart de la ville et de ses remugles populaires mais d’où l’on voit, au fond du jardin, les falaises d’Angleterre par temps clair. Et la même maison, plus tard à l’adolescence, malmenée, rapiécée, surplombant une ville détruite, hantée par les ombres des absents. La seconde plus riante, plus légère, pleine des souvenirs de la fille, elle, et des jeunes années de cette famille, que le père avait voulue, avait crue indestructible. Une autre guerre était bien là, mais un rien lointaine vue de cette île bretonne perdue où seule la présence d’un homme silencieux en djellaba immuablement présent au débarcadère rappelle qu’en d’autres lieux peut-être des batailles font rages. Plus ensoleillés et plus riants ces souvenirs certes mais tout aussi empreints de ce parfum des choses passées, des vacances enfuies, du temps qui file et de tout ce qu’on n’a jamais pris le temps de faire…

Des saisons au bord de la mer est ma première lecture de François Maspero et le coup de foudre fut immédiat. J’aime son écriture, sa précision, sa poésie et puis j’aime les souvenirs d’enfance, ces images lumineuses mais un peu floues sur les bords qui semblent surgir des brumes du passé. Et puis Maspero, ce nom, cette ambiance grande bourgeoise mais très intellectuelle, ça me parlait. Maspero comme Gaston Maspero l’égyptologue ? Comme Henri Maspero le sinologue ? C’est que je connaissais la famille, oh pas intimement bien sûr mais enfin ça me parlait. Bien sûr j’allais découvrir que François était celui qui, de loin, me parlait le plus, un libraire, un éditeur, un traducteur, un révolté universel mais toujours proche des gens de tous les gens, ordinaires ou non. Ces gens différents qui le fascinaient autrefois sur la plage quand dans la grande maison, on vitupérait cette invasion de congés payés crasseux qui seraient mieux au travail. Avec qui il engageait la conversation dans ce train bringuebalant qui traversait le nord de la France presque entièrement détruit par la guerre. Qu’il racontait à sa fille toujours avide de légendes mais aussi d’histoires, histoires de voisins, histoires de familles, histoires de gens autour parfois d’une simple entrée dans le livre d’or d’un restaurant de Belle-île : “Robert et Youki Desnos sont venus ici, ils y ont été très heureux et ils reviendront l’année prochaine”. Son écriture à la simplicité trompeuse ensoleille un récit qui ne se veut pas biographique au premier chef – pas de nom pour le narrateur et sa fille – mais en a les contours flous, les brumes légères, les aspérités soudaines et les blessures sans remèdes. Inspirant.

Des Saisons au bord de la mer – François Maspero – 2009 – Le Seuil

 

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8 réponses à Les Saisons au bord de la mer

  1. keisha dit :

    A noter, donc (j’ai déjà noté celui dont tu as parlé il y a 3 ou 4 billets)
    Tu lis Histoire mondiale de la France? Moi oui aussi, mais de A à Z (j’en suis au début) dans l’ordre chronologique pour l’instant (rigide? ^_^)

    • yueyin dit :

      hihi, au début je pensais piocher mais en fait je suis partie pour le lire dans l’ordre moi aussi 🙂 j’en suis au XIIe ou XIIIe siècle 🙂 (je parle de l’Histoire mondiale de la France bien sûr 🙂 )

  2. Anne dit :

    Rhooo quel billet attrayant ! Je note ce titre inconnu d’un auteur que je connaissais à peine de nom.

  3. Libriosaure dit :

    Ça fait envie, avec ce retour des beaux jours !

  4. Violette dit :

    Whaou ! on sent que c’est cette belle lecture qui t’a inspiré ce très beau billet ! Je note !

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