Dans l’Angleterre edwardienne de l’immédiat avant première guerre mondiale, trois familles se croisent : les Schlegel, jeunes intellectuels idéalistes et esthètes qui ne sont pas sans rappeler le Bloomsbury group, les Wilcox, famille de “bâtisseurs d’empire” solides, étroits d’esprit, conventionnels et pécuniairement ambitieux et enfin les Blast représentant la frange la plus basse de la classe moyenne, relativement éduqués mais pauvres et déclassés.
Helen éprise d’absolu, Margaret plus pratique, Henry totalement imbu de sa personne et de son jugement, Leonard miné par l’aspiration à une autre vie et quelques autres se retrouvent liés par le hasard, la curiosité et des intérêts bien mal compris. Mais tous peinent à se comprendre ou même échouent totalement tant ils ont de difficultés à surmonter leurs préjugés, croyances et automatismes de classe.
Ce roman de Forster – un de mes auteurs préférés entre tous – a eu un effet surprenant sur moi. J’ai adoré cette peinture sans concession mais pleine d’humanisme d’une société anglaise en pleine mutation et en même temps certains propos, certaines positions – des Wilcox en particuliers soyons claire – m’ont fait l’effet d’une friction de papier de verre sur un coup de soleil… tellement irritant que j’en aurait hurlé. J’ai d’ailleurs fini le livre en marchant de long en large énervée comme un chat avant l’orage. (désolée pour les métaphores mais quand il faut, il faut). Wilcox préfigure avec sa bonne conscience et son argent roi, un discours dominant qui me révulse, celui qui personnalise l’économie en oubliant les hommes, celui qui transforme la solidarité en assistanat ou le partage en piratage. Et je ne vous parle même pas de son discours hypocrite sur les rapports homme femme… rien de nouveau me direz vous ? non rien. On retrouve les thèmes qui ont obsédé à la même époque des écrivains aussi différents que Tolkien et Lawrence et plus tard Zweig : l’abandon à la fois du progrès humaniste et spirituel et de la préservation du passé et de la nature au profit de l’industrie et de la brutalité. Et c’est presque pire ! Après un siècle d’espérance, nous voici de retour au point de départ. Et avec tristesse, je ne peux qu’approuver Margaret constatant que l’idéalisme a besoin d’un minimum de confort matériel – d’argent donc – pour s’exercer et chacun de redouter les lendemains qui déchantent.
Alors certes le talent de Forster est de ne jamais forcer le trait et d’éviter toute caricature. Ses personnages ne sont ni bons, ni mauvais et finalement c’est bien la force unificatrice de Meg qui dominera – à sa façon – les préjugés diviseurs d’Henry. Après tout, peut être reste-t-il un peu d’espoir pour l’esprit. Attention chef d’oeuvre !
Retour à Howards End – E. M. Forster – 1910
Lu dans le cadre du mois anglais organisé par Titine et Lou et de la LC Forster… d’hier (OUI JE SAIS !) L’avis de Karine, de Chinchilla , de Shelbylee… enjoy et si vous aimez Forster mes billets sur Maurice (Le coups de coeur de coup de coeur), Avec vu l’Arno et La route des Indes.
PS : Je promets que le rapport avec Tolkien n’est pas aussi tiré par les cheveux que certaines mauvaises langues pourraient le penser lisez plutôt, page 295 de mon édition « Pourquoi l’Angleterre n’a-t-elle pas de grande mythologie ? Notre folklore ne va pas au delà d’un certain raffinement et c’est à la flûte grecque qu’ont été confiées nos plus grandes mélodies pastorales. Si profonde et si vraie que soient notre imagination native, elle parait avoir échoué sur ce point. Elle s’est arrêtée aux sorcières et aux fées, sans force pour donner la vie à un coin de moisson ou nommer, dans le ciel, une demi-douzaines d’étoiles. L’Angleterre attend toujours le grand poète qui lui donnera une voix, ou, mieux encore, les mille poètes mineurs dont les voix iront féconder notre langage ». Il arrivait Edward, il était presque là…
PPS : J’ai relevé bien des citations dans ce merveilleux roman mais j’étais trop énervée pour les transcrire, shame shame et double shame…
PPPS : Les Schlegel, deux soeurs et un frère plus jeune, sont inspirés je pense de la famille Stephen qui avec Forster est semble-t-il à l’origine du Bloomsbury group et dont les deux soeurs Vanessa et Virginia devait devenir sous d’autres noms, des plus célèbres…
PPPPS : J’ai revu après avoir refermé le roman, l’adaptation éponyme de Ivory (1992) et elle est toujours aussi excellente…
PPPPPS : vous avez quelquechose contre les post-scriptum ?


En 1852, le chef de guerre Hadji Mourat, lieutenant le plus redouté du chef de la résistance Tchétchène à l’annexion russe du Caucase, passe soudain dans le camp du Tsar. Vraie réddition, changement d’allégeance, effet délétère d’une vendetta jamais réglée avec l’Iman Chamil ? Les autorités russes s’interrogent, tergiversent… Comment traiter cet homme rigide et vertueux sur qui ils ne savent comment assurer leur prise ?
Voici quelques temps, je suis tombée tout à fait par hasard sur une série de romans policiers québécois dont je n’avais jusqu’alors jamais entendu parler. Séduite par l’idée d’aller trainer mes guêtres mentales dans les Cantons de l’Est et encouragée par des circonstances strictement matérielles (j’avais les bouquins sous la main), je me suis donc plongée dans la première enquête du sieur Armand, puis dans la seconde et ainsi de suite jusqu’à épuisement des stocks – c’est à dire les six ouvrages publiés pour l’instant. Vous vous doutez donc que dire que j’ai aimé serait au-dessous de la vérité. Ce fut un coup de cœur qui s’est allègrement prolongé sur six romans (lu d’affilé) ce qui n’est pas si commun.
Alors que vous dire et comment vous convaincre de vous précipiter sur ces délicieux romans ? Armand Gamache, la cinquantaine, est un enquêteur haut gradé de la Sûreté du Québec, francophone mais parfaitement bilingue, amoureux du Québec et de son histoire et profondément humain et tolérant. L’homme parfait me direz-vous ? Evidemment non, il lui arrive comme à d’autres de faire des erreurs (et même des grosses) mais ses qualités le rendent extrêmement attachant, d’autant que ce style d’enquêteur – heureusement marié, contemplatif, jouissant de la vie et de nombreuses amitiés tranche un tantinet sur le policier standard des polars d’aujourd’hui immanquablement alcoolique, négligé, torturé et de préférence doté d’une famille à (gros) problèmes. Ici rien de tout cela (et pourtant la famille d’Armand n’est pas toujours épargnée par son métier – non je ne spoilerai pas), des gens normaux en somme avec l’avantage d’être sympathiques et intéressants (et oui, j’ai beau avoir bon fond, il m’arrive de trouver des gens (voire des personnages) antipathiques ou assommants).
Le village dont Armand tombe amoureux, et qui sera le décor principal des six romans (sauf pour l’un d’entre eux qui se déroule à Québec – excellent au demeurant et qui nous offre une belle plongée dans l’histoire de la ville et de son fondateur le grand Samuel* mais chut), se nomme donc Three Pines – village de rêve, situé dans les Cantons de l’Est, non loin de la frontière américaine et auquel on ne peut accéder qu’en se perdant. Au cours des années, il a su retenir bon nombre de gens intéressants, séduits par son calme enchanteur et son atmosphère amicale à mille lieux du stress urbain de leur vie précédente. (je ne vous les présente pas ici mais sachez que le village compte un couple de restaurateurs atypiques et passionnés, une libraire du même métal, et plusieurs artistes) Un village a majorité anglophone donc, auquel va se confronter l’équipe de Gamache, fondamentalement francophone, car si la délinquance et l’incivilité urbaine sont quasi inconnues à Three Pines, le meurtre hélas fait trop partie de la nature humaine (comme aurait pu le confirmer miss Marple) pour en être absent (il y est même déraisonnablement présent mais ne boudons pas notre plaisir). Cette rencontre de deux mondes, qui se côtoient au quotidien tout en s’appliquant souvent à plus ou moins s’ignorer, nous renvoie une belle image d’un Québec riche et complexe, complet en quelque sorte grâce à la bienveillante supervision de l’inspecteur-chef qui veille à ce qu’aucun préjugé ne vienne durablement polluer ses enquêtes.


