Léviathan

Dans la bible ou dans les mythes plus anciens, le Léviathan est un monstre qui symbolise plus ou moins la révolte contre le créateur, quelque chose comme le chaos pour le dire vite où plus médiévalement la bête de l’apocalypse. Pour Hobbes, plus tard, le Léviathan c’est l’État au sens d’un mal nécessaire (oui je résume abusivement), bête à laquelle Alain, au début du XXe siècle, ajoute les masses qui s’y soumettent aveuglement en s’intoxiquant aux médias. Sachant que le roman d’Auster porte en exergue la citation d’Emerson : Tout État actuel est corrompu ; nul doute que son texte embrasse la profondeur symbolique de son titre.

Euh oui voilà voilà voilà, mais de quoi est-il donc question ?

Disons que c’est l’histoire d’un homme qui écrit l’histoire d’un autre homme qui lui-même raconte et se raconte beaucoup d’histoires… une histoire d’écrivains, une histoire bavarde et singulièrement instrospective. Après un premier chapitre plein de promesses, Paul Auster nous emberlificote dans des méandres détaillés de relations amoureuses et amicales censément pleine de conséquences pour la suite de cette fameuse histoire qu’il nous promet sans cesse. Je ne sais plus qui a dit que Auster se conduisait comme le biographe de ses personnages mais Tolkien que c’est vrai. Bref revenons à nos moutons austeriens,  au départ donc, et pendant un bon moment, on se demande où il va, ce qu’il raconte et où se cache le fil conducteur de cette supposée histoire dont on ne voit pas bien le sujet. Mais voilà c’est Auster, et bien que nous entretenions (à son insu j’imagine) une relation compliquée faite de hauts et de bas, je dois bien reconnaitre que de talent, il est fort pourvu. Et une phrase en entrainant une autre, on se voit le suivre, continuer (ce qui n’est en rien gagné d’avance avec moi qui abandonne allègrement les lectures insatisfaisantes avec la conscience pure et l’âme en paix,), se laisser porter enfin par cette écriture jusqu’à ce que les choses se mettent bizarrement en place – quand ? on ne saurait dire – et que tout – mais vraiment tout – prenne enfin un sens. Le sens d’une réflexion sur l’engagement, sur l’éthique, sur le sens de la vie (mais si, il y a un rapport avec les Monthy Python, je le prétends), sur la création, littéraire et artistique et sur cette intime cohérence de nos choix, de nos idées et de nos actes qui nous donne ou non l’impression d’avoir vécu. Un livre retors, à la construction serpentine – c’est bien le moins pour ce dragon des mers – qu’on ne peut vraiment reposer qu’après avoir relu le premier chapitre. Impressionnant !

Léviathan – Paul Auster – 1992 – traduit de l’anglais (US) par Christine Leboeuf – Actes Sud – 1993

PS : tssss bien sûr qu’il y a un rapport avec la statue de la liberté…

PPS : Oui avec des explosions aussi…

PPPS : Aller pour le plaisir, car on ne se lasse jamais de l’écriture hallucinée de Jean et puis ne dirait-on pas qu’il cause des GAFA, avouez…

11.Puis je vis monter de la terre une autre bête, qui avait deux cornes semblables à celles d’un agneau, et qui parlait comme un dragon.
12. Elle exerçait toute l’autorité de la première bête en sa présence, et elle faisait que la terre et ses habitants adoraient la première bête, dont la blessure mortelle avait été guérie.
13. Elle opérait de grands prodiges, même jusqu’à faire descendre du feu du ciel sur la terre, à la vue des hommes.
14. Et elle séduisait les habitants de la terre par les prodiges qu’il lui était donné d’opérer en présence de la bête, disant aux habitants de la terre de faire une image à la bête qui avait la blessure de l’épée et qui vivait.
15. Et il lui fut donné d’animer l’image de la bête, afin que l’image de la bête parlât, et qu’elle fît que tous ceux qui n’adoreraient pas l’image de la bête fussent tués.
16. Et elle fit que tous, petits et grands, riches et pauvres, libres et esclaves, reçussent une marque sur leur main droite ou sur leur front,
17. et que personne ne pût acheter ni vendre, sans avoir la marque, le nom de la bête ou le nombre de son nom. »

Apocalypse 13, 11-17

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Bleu, histoire d’une couleur

Aujourd’hui le bleu est la couleur préférée d’une très grande majorité des occidentaux – toutes les enquêtes s’accordent sur le sujet. Mais il n’en a pas toujours été ainsi, jusqu’aux XIIe siècle, cette couleur est la grande absente des écrits, des descriptions et des symboles. Au point que certains ont pensé, jadis, que les “antiques” ne la voyaient pas. Sans doute la voyait-il, mais somme toute, elle n’était pas remarquable, pire elle était barbare (qui eux l’utilisaient, la nommaient et la maitrisaient assez bien) voire portait malheur (les deux choses n’étant pas sans lien peut-être), quoi qu’il en soit, ni le ciel ni la mer n’était associé à cette nuance anodine pour laquelle même les mots manquaient. Et puis vint le beau XIIe siècle et le début de l’ascension d’une couleur bientôt associé à la lumière, à la vierge (la couleur mariale par excellence), couleur chaude (et oui), riche mais néanmoins morale, honnête, puis romantique… pourquoi, comment, par quel biais le bleu a-t-il changé de position dans l’esprit des humains ? Symbolique, héraldique, théologie mais aussi chimie des pigments et des  teintures, histoire de l’art et du vêtement sont analysés ici pour comprendre le parcours historique et culturel de cette couleur et par extension des couleurs en général ; cette notion si difficile à définir au point qu’il faille toujours en passer par un référent, car comment définir le bleu sinon en le liant à l’azur, aux plumes de canard ou aux délicats myosotis. Un essai tout à fait passionnant et, me semble-t-il, assez accessible pour intéresser chacun même non historien… Notons que depuis la parution de cet opus, Noir, Rouge, Vert et Jaune ont également vu le jour… je ne les ai pas encore tous lu (Vert était tout à fait passionnant aussi) mais c’est prévu et en attendant si d’aucuns désiraient me faire un cadeau (sait-on jamais), qu’ils sachent bien que la série en grand format illustrée me ferait très grand plaisir. Coloré !

Bleu, histoire d’une couleur – Michel Pastoureau – 2000 – seuil – 2014 – Points

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L’exil et le royaume

“Les patrons voyaient leurs affaires compromises, c’était vrai, mais ils voulaient quand même conserver une marge de bénéfices; le plus simple leur paraissait encore de freiner les salaires, malgré la montée des prix. Que peuvent faire des tonneliers quand la tonnellerie disparaît? On ne change pas de métier quand on a pris la peine d’en apprendre un ; celui-là était difficile, il demandait un long apprentissage. Le bon tonnelier, celui qui ajuste ses douelles courbes, les resserre au feu et au cercle de fer, presque hermétiquement, sans utiliser le rafia ou l’étoupe, était rare. Yvars le savait et il en était fier. Changer de métier n’est rien, mais renoncer à ce qu’on sait, à sa propre maîtrise, n’est pas facile. Un beau métier sans emploi, on était coincé, il fallait se résigner. Mais la résignation non plus n’est pas facile. Il était difficile d’avoir la bouche fermée, de ne pas pouvoir vraiment discuter et de reprendre la même route, tous les matins, avec la fatigue qui s’accumule, pour recevoir, à la fin de la semaine, seulement ce qu’on veut bien vous donner, et qui suffit de moins en moins.”

J’aime Camus, je l’aime au point de donner une chance à ce recueil de nouvelles, car les nouvelles en général ne sont guère ma tasse de thé, cela se sait. Mais il y a toujours des exceptions et ce recueil en fait parti ; forcément allais-je dire, tant le style, sec comme de la pierre a fusil, de Camus me touche toujours. Éminemment évocateur, presque visuel, voire sensuel, il brosse paysages, personnages et dilemmes avec la même puissance, la même tendresse, qui vous met le goût de la poussière sur la langue et l’angoisse de l’humain au cœur. Six nouvelles donc, quatre situées en Algérie encore française, une à Paris et la dernière au Brésil dans un petit village amazonien. Toutes méritent le détour mais je dirai un mot de mes deux préférés, les Muets qui racontent le retour au travail d’ouvriers tonneliers après une grève avortée dans un petit atelier d’Alger (d’où est tiré la citation si “actuelle” qui entame ce billet) et l’Hôte qui brosse le portrait en creux d’un instituteur pris entre conscience et réalité dans une petite école de montagne de l’arrière pays algérien. Deux pépites qui mériteraient à elles seuls une lecture mais les quatre autres ne manquent pas d’intérêt ni de profondeur encore moins de style. à découvrir !

L’exil et le royaume – Albert Camus – 1957

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L’amour au temps du réchauffement climatique

“L’idée, c’est ça : quand vous vous retrouvez à Banga-lore, en Inde, vous êtes effrayé par le vacarme, la saleté, les klaxons, une puanteur que vous ne parvenez pas à caractériser, par la quantité de gens, le sentiment de déracinement complet, vous êtes à l’endroit le plus délabré, le plus hostile de la planète”

Tomáš, chercheur en biologie moléculaire et globe trotteur patenté – du moins le croit-il – débarque, à l’occasion d’un colloque, à Bangalore – Inde du sud – et subit un choc culturel, climatique, social voire global qui engendre un réel traumatisme… à moins que ce traumatisme n’ait en fait des racines bien plus profondes et plus anciennes. Et une rencontre inattendue – comme elle le sont toutes – va bousculer les incertitudes de cet homme tourmenté.

Quel drôle de roman, complètement foutraque, halluciné, chaotique… tout en dialogue interne à la deuxième personne, traduisant la dissonance cognitive dans laquelle se trouve plongé le narrateur. Choqué par sa première vision de Bangalore, ville misérable, surpeuplée, délabrée, bruyante, voilée d’un smog continuel de gaz d’échappement… Ce chercheur voyageur persuadé d’en connaître un rayon – n’a-t-il pas vécu 9 ans en Norvège et en Australie comme il ne cesse de se le répéter avec de moins en moins de conviction – est tout soudain renvoyé à ses manques et ignorances – il ne trouvera même pas le colloque tout seul – ignorance dont on se rend compte assez vite qu’elle est largement partagé tant par ses collègues chercheurs, persuadés de se débrouiller partout mais totalement à la merci du premier chauffeur de taxi venu. (mon dieu quel scène !) que, dans un autre registre, par sa famille jamais sortie de Tchéquie. Et notre narrateur erre perdu entre aveuglement mondialiste, repli identitaire, peur de l’inconnu, l’esprit farci d’injonctions contradictoires venant de partout. C’est dérangeant, parfois drôle, souvent absurde comme seule la réalité peut l’être, et bizarrement totalement crédible; une vraie réflexion dans une langue spectaculaire – gloire au traducteur. Étonnant !

L’amour au temps du réchauffement climatique – Josef Pànek – 2017 – traduit du tchèque par Benoît Meunier – Denoël – 2020

PS :  mais oui oui oui il y a bien de l’amour dans cette histoire… Le titre ne ment pas !

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La fille du train

Dans la vie de Rachel, embrumée d’alcool, il reste peu de points de repère. Le train de 8h04 en est un, avec ses habitués, ses secousses et son presque inévitable arrêt à un feu de signalisation, juste derrière les maisons de Bleinheim road, où elle habitait autrefois. Mais elle ne regarde pas son ancien chez elle, non plus maintenant, elle préfère regarder une autre maison. Depuis sa place, elle a une vue plongeante sur le jardin, le faux balcon, les fenêtres et, évoluant dans ce cadre, sur le couple idéal. Ils sont beaux, jeunes et ils s’aiment, elle en est sûre. Elle les a même baptisés, Jess et Jason et elle leur imagine une vie de rêve et d’amour. Jusqu’à ce qu’elle voit, un matin, Jess embrasser un inconnu, et que cette même Jess – qui s’appelle en fait Megan – disparaisse quelques jours plus tard. Rachel est persuadée que la police soupçonne son mari mais savent-ils pour l’amant ? D’un autre côté est-ce bien à elle de s’en mêler d’autant que cette maison est quand même très proche de celle de son ex et de sa nouvelle famille…

Je me souvenais bien du succès de ce roman à sa sortie, mais – Tolkien sait pourquoi – je n’avais jamais pris le temps de le lire. Heureusement, fille ainée veillait, et fille ainée a dit qu’il fallait. Dont act ! Au départ j’ai eu un peu de mal à entrer dedans, le personnage de Rachel me gênait, trop geignarde, trop apitoyée sur elle-même dans ce type d’ambiance glauquissime dont les romans anglais ont le secret. Sauf que j’avais tout faux bien sûr et que l’autrice est bien plus retorse qu’il n’y parait. Oh certes il y a bien quelque chose qui cloche chez Rachel mais ce n’est pas ce que l’on croit. J’ai beaucoup aimé La construction parfaitement maitrisée du roman, polyphonique – ou plutôt triphonique (comment dit-on à trois voix ?) et éclatée dans le temps, elle nous entraine au coeur des pensées de trois femmes qui ne se reconnaissent guère de point commun, ce en quoi elles ont tort. C’est noir et quelque peu cruel, les personnages ne sont peut-être pas très sympathiques mais on les comprends, on les comprends de mieux en mieux – à  notre corps défendant parfois – et c’est terriblement bien fait. Ferroviaire !

La fille du train – Paula Hawkins – traduit de l’anglais par Corinne Daniellot – Sonatine – 2015

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Richesse oblige

Des mois que je n’ai rien écrit. Impossible, pas motivée, pire démotivée… Ce blog se fait vieux – comme moi peut-être. Quand le confinement a commencé, je me suis dit : c’est l’occasion, on remet ça. Et là j’ai découvert que confinement et démotivation vont très bien ensemble, sans compter que même lire relève du pensum alors écrire. Bref, Aujourd’hui en ce 37e jours de confinement, j’ai décidé de passer outre et d’écrire quelque chose en mode allez allez on y croit, on va y arriver, go go go… façon auto pom pom (girl) si vous voyez ce que je veux dire.

Alors il se trouve que le 13 mars dernier (et oui!) je trainais sans but dans Revel (si j’avais su j’aurais apprécié encore plus) et je suis (bien évidemment) entrée dans une petite librairie sans aucune intention d’acheter (promis) mais, il se trouva que j’y tombai (pourquoi diable m’emberlificotai-je dans du passé simple) sur le dernier Hannelore Cayre et forcément je succombai. Car Hannelore Cayre, que j’ai découvert avec sa jubilatoire et fantabuleuse Daronne me fut l’objet d’un vrai coup de cœur littéraire comme cela arrive finalement assez peu  !

Mais je m’égare et revenons donc à Richesse oblige, objet de la présente chronique. Blanche a toujours été un vilain petit canard ou un agent du chaos si l’on préfère, elle fuit donc son ile natale et néanmoins bretonne dès qu’elle le put, persuadée qu’à force de déclencher catastrophe sur catastrophe, ça allait finir par tourner mal. Pour autant que cela puisse être pire. Elle s’était donc retrouvée à Paris, grande appareillée pour cause de rupture vertébrale, docteur en littérature, modeste fonctionnaire aux archives judiciaires, fille mère et fauchée sans excès. Et finalement cela lui convenait assez, nonobstant les menaces de précarité toujours présentes dans notre merveilleux monde libéral jusqu’à ce qu’une conversation entendue par hasard la mette sur sa propre piste. Celle de son nom unique en son genre sur son ile – Blanche de Rigny, celle de sa putative et néanmoins richissime famille éloignée – mais pas tant que ça, et celle de ce grand-père inconnu qui l’y rattachait, Auguste, l’agent du chaos de sa génération…

Un roman double, moitié de nos jours – en suivant Blanche,  son enquête et son chaotique parcours (j’ai un faible pour les héro.ĩne.s tout croches comme on dit au Québec), moitié en 1870, alors que la riche famille d’Auguste – qui évidemment n’a pas trouvé mieux que de tirer un mauvais numéro* – cherche a lui acheter un remplaçant pour le service. Oui oui vous avez bien lu : acheter un homme ! Cela se faisait en ce temps-là pour épargner à la futur élite de la nation (pardon on me souffle qu’on parle désormais de premiers de cordée my bad) les affres du service militaire d’autant en 1870, les bruits de bottes se faisaient insistants et qu’on sentait bien que si ce n’était jamais le moment de trainer dans des les malodorantes casernes de l’empire, ce le serait encore moins dans l’avenir. Une double intrigue – je cherche un terme, j’ai déjà utilisé jubilatoire ce me semble – ébouriffante, drôlatique et noire de noire car le monde est ce qu’il est, parfois lumineux mais souvent laid pour ne pas dire repoussant et – pragmatisme oblige – il faut parfois jouer son jeu pour l’améliorer. Excellentissime !

Richesse oblige – Hannelore Cayre – 2020 – Métalié noir

les avis de Jean-Marc – l’actu du noir – et de Cuné

*de 1818 à 1872 – la conscription était l’objet d’un tirage au sort, on gardait de 25 à 35% des jeunes hommes de 20 ans et ce pour un service de 5 à 8 ans selon les périodes. Ceux qui en avait les moyens pouvaient, toujours selon les périodes, soit payer pour être exemptés soit trouver un remplaçant – soldat ayant fini son temps, cadet sans terres ou hère sans ouvrage, d’une façon générale pauvres sans moyens de subsistance ni avenir. Qu’on me pardonne ce résumé certainement parcellaire et très insuffisant.

** Lisez les remerciements, ils en valent la peine 🙂

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Oyana

3 mai 2018, l’ETA (Euskadi ta Askatasuna – Pays Basque et liberté) annonce sa dissolution définitive après un bon demi-siècle de lutte pour l’indépendance basque. À 6000 kilomètres de là, dans un restaurant de Montréal, Nahua Sanchez, québécoise mariée depuis vingt-trois ans, voit soudain les portes du passé s’entrouvrir sur Oyana Etchebaster, la jeune fille qu’elle a été et qui a tout laissé derrière elle. Mais peut-on vraiment remonter le temps et les mensonges ? et à quel prix ?

Après vérification de la rubrique “du même auteur” de mon exemplaire d’Oyana, je peux ici confirmer que j’ai lu tous les livres d’Eric Plamondon, que je les ai tous (parfois dédicacés farpaitement) et que je les aime tous. En partie à cause de la trame narrative que l’auteur prend toujours plaisir (enfin je l’espère pour lui) à éclater, ce qui – je ne sais pourquoi – me ravit. J’aime errer dans les labyrinthes textuels qui correspondent sans doute – du moins je le suppose – au désordre erratique de ma pensée. Dans ce roman-ci les portes de la grande histoire – celle du mouvement indépendantiste basque – s’ouvrent en grand sur une toute petite fissure – celle d’un destin frôlé par l’abime. Et ce n’est pas rien, à mon sens, de redonner de l’humanité et de la complexité à des luttes qui semblent parfois n’être que chiffres, idéologie et conviction primaires. J’ai aimé les liens que l’auteur tisse entre hasard et destin, baleine et liberté, Québec et Pays Basque. Moins OTNI* que Hongrie Hollywood Express, sans doute moins classique que Taqawan, Oyana est un drôle de roman épistolaire et pourtant mosaïque, intimiste et pourtant politique et rien que dans parler, il me prend l’envie de le relire. À découvrir

Sans l’ETA, que restera-t-il ? Xavier, lui, parlait du FLQ. Il parlait des nègres blancs d’Amérique, d’un pays meurtri. Ce n’était pas son pays à elle. Mais le Pays basque sans l’ETA … L’indépendance impossible adviendra-t-elle un jour ? Au Québec, il y avait eu 1980.. Après 1995, le mouvement s’était essoufflé. Trop de générations brisées auxquelles on voulait imposer une autre histoire, une autre langue.
La langue. Toujours la langue.

Oyana – Eric Plamondon – Quidam éditeur – 2019

*Objet textuel non-identifié

Lu dans le cadre du scintillant Québec en novembre organisé par la non moins sublimissime Karinette et en théorie par moi-même (mais cette année, j’ai du mal)

Du même auteur

 

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Les Fous de Bassan

« Au commencement il n’y eut que cette terre de taïga, au bord de la mer, entre cap Sec et cap Sauvagine. Toutes les bêtes à fourrure et à plumes, à chair brune ou blanche, les oiseaux de mer et les poissons dans l’eau s’y multipliaient à l’infini. »

1982, au coeur de la nuit, le révérend Nicolas Jones, pasteur d’une minuscule bourgade côtière entre cap sec et cap sauvagine, veille et se souvient. Est-ce le vent ou les fantômes des temps passés qui font trembler murs et fenêtres à moins que ce ne soient des souvenirs, ceux du si bref et si bel été 1936 qui finit dans le drame et sonna le glas de la petite communauté, repliée sur elle-même, des Jones, des Brown, des Atkins et des MacDonald. Car le 31 du mois d’août de cet été là, par une soirée encore tiède, Nora et Olivia Atkins ne rentrèrent pas…

Je me promettais depuis longtemps de relire ce merveilleux roman de Anne Hébert et d’un certain point de vue, ce fut comme une première lecture car si je me souvenais de l’atmosphère et de la puissance de l’écriture, de l’odeur salée des embruns et du rugissement du vent, j’avais oublié en grande partie l’histoire et j’avoue que ce fut un délice de m’interroger. Mais que c’était-il donc passé dans cet improbable village perdu entre terre et mer au cours de l’été 1936 ? Étrange récit, raconté cinq fois par cinq acteurs différents, le pasteur tourmenté devenu grabataire, un survenant écrivant de longues lettres en manière de journal intime, un être à l’âme d’enfant égaré dans la complexité du monde, quelques autres, un fantôme peut-être… On se laisse happer par cette écriture puissante comme la mer omniprésente, comme le vent sans fin et par cette histoire simple comme la cruauté du monde. Et s’il fallait en dire plus, je dirais qu’on parle souvent de ces incipit célèbres qui entament de grands romans (Longtemps je me suis couché de bonne heure comme disait mon très cher Marcel) mais il faudrait parler parfois des excipit (néologisme I know) et dire que le dernier paragraphe de ce chef d’œuvre est lui-même, dans son laconisme lapidaire, quelque chose comme un chef d’œuvre*. Incontournable !

Les Fous de Bassan – Anne Hébert – 1982 (prix fémina de la même année)

Lu dans le cadre de la LC Anne Hébert de Québec en novembre organisé par Karine et votre humble yueyin, moi-même donc.

*Oui j’ai répété chef d’œuvre, même que je l”ai fait exprès

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La femme de Personne

1964, Thérèse est une femme comblée qui s’épanouit dans son travail. Grâce à son mentor, elle a accès à des missions inusitées pour une femme et son mari, Raoul, la soutien invariablement dans ses choix, seraient-ils plutôt mal vus par la société. Car il lui reste bien peu de temps pour sa famille et en particuliers pour sa fille qu’elle aime certes mais qu’elle préfère en compagnie de sa jeune fille au pair. Malheureusement pour elle, la société ne se laisse pas si facilement contourner, et Thérèse va voir ce qu’elle pensait acquis se déliter dangereusement autour d’elle…

J’ai pris ce livre tout à fait par hasard, et je m’en suis fort bien trouvée. L’autrice brosse un tableau passionnant du Québec des années soixante et sait admirablement faire évoluer ses personnages sans trop les charger que ce soit positivement ou négativement. Thérèse ainsi est loin d’être toujours sympathique même si on ne peut que comprendre son désir d’indépendance. Quant à l’évolution de son mari, d’homme moderne et éclairé à mâle frustré en quête de descendance, elle est tout à fait fascinante. Tout comme la pression incessante que fait peser la “société” autant dire le reste du monde, sur ces personnage et, en l’espèce autant sur l’homme que sur la femme. J’ai compris vers la fin que ce roman faisait suite à La Fille du rang, paru en 2018 et dont l’héroïne Françoise, que l’on retrouve d’ailleurs ici, est la cousine et l’amie de Thérèse. Les deux romans se lisent très bien séparément mais la plume d’Anne-Marie Desbiens m’a donné grande envie d’aller faire connaissance avec cette jeune fille des années 40. à découvrir !

La femme de personne – Anne-Marie Desbiens – 2019 – Guy Saint-Jean éditeur

PS : Il était quand même temps que j’arrive à publier quelquechose pour Québec en novembre mais que voulez-vous, les choses ne se passent pas toujours comme il était prévu.

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Top 10 d’ouverture : mes écrivaines et écrivains à moi (mais pas rien qu’à moi)

Pour commencer en beauté ce mois dédié aux lectures québécoises, nous avons pensé (karine et moi toujours, car nous pensons en même temps c’est parfois bizarre pour ceux qui assistent à la chose) qu’un top 10 au choix seraient une belle idée. Ne me sentant pas en veine d’originalité, j’ai choisi de partager avec vous mes auteurs et autrices chouchous (et québécois évidemment). Si jamais cela pouvait vous donner envie de les lire, j’en serait bien heureuse car je suis partageuse… (Comme règle je me suis fixé d’avoir lu au moins deux titres de chacun chacune et d’en citer un, voilà parce qu’il faut bien se donner des règles)

  1. à tout seigneur tout honneur, en numéro 1 ce sera Michel Tremblay… le premier auquel je pense car sa voix chante dans ma tête. Que ce soit ses romans, ses volumes souvenirs ou ses pièces, précipitez vous… et comme référence le vais choisir encore et toujours Un ange cornu avec des ailes de tôle parce que c’est mon livre doudou et puis voilà.
  2. à partir du deuxième, c’est le désordre n’y voyez pas de préférence absolue mais par association d’idée, je vais dire Lise Tremblay. J’ai lu TOUS ses livres et je les ai TOUS aimé – certains plus que passionnément. Alors citons La Pêche blanche par exemple (mais ils sont tous excellents)
  3. Pour revenir aux classiques, Jacques Poulin évidemment, je ne crois pas avoir encore tout lu et rien que cela, me fait plaisir à penser, farpaitement ! Et pour lui j’hésite, Les Grandes Marées ou Le Vieux Chagrins ou…
  4. Toujours dans les Classiques, Anne Hébert, que je compte bien mettre à l’honneur ce mois-ci en relisant les Fous de Bassan et, si je la trouve, sa toute nouvelle biographie. L’année dernière j’avais adoré le Premier Jardin.
  5. Marie-Renée Lavoie ensuite, dont le style et les sujets me prennent à chaque fois par la main et dont je vous ai saoulé avec La Petite et le Vieux et Autopsie d’une femme plate.
  6. Ah mais bien sûr Catherine Leroux, trois romans trois coups de coeur absolus qui à mon avis (impitoyablement objectif comme disait mon regretté Lou de Libellus) sont aussi des chefs d’oeuvre. Le premier c’était La Marche en forêt, oui oui oui.
  7. Eric Plamondon forcément aussi. Encore un auteur dont j’ai lu tous les romans (dites les gens, c’est pas pour vous presser mais ce serait bien d’écrire un peu – bon je ne parle pas pour Eric qui a sorti un livre cette année dont je compte vous parler incessamment mais Catherine, Marie-Renée, que mes bonnes pensées vous accompagnent et vous encouragent) Bon choix difficile, mais je vais citer Hongrie Hollywood express parce que… parce que je l’aime d’amour !
  8. Elizabeth Vonarburg, la grande dame de la SF donc. Les Chroniques du pays des mères ont durablement bousculé ma façon de voir le monde. Savez-vous que ce chef d’oeuvre vient d’être réédité chez Mnemos ? Tiens on pourrait en parler pendant le mois à venir, de celui-là ou d’un autre car pour le coup, il m’en reste tout plein à lire et j’aime bien cette idée…
  9. Dans les écritures puissantes, Catherine Mavrikakis me semble incontournable et pourrait bien être une préférée même si je la lis avec parcimonie. D’elle je n’ai lu encore que deux livres, deux claques – sublimes mais quand même bousculantes, ce qui explique que j’espace mes lectures tout en comptant bien les poursuive. Sinon précipitez-vous sur Oscar de Profundis par exemple.
  10. Comment déjà 10 mais c’est que j’avais encore des gens à nommer moi… bon disons que je vais faire un double pour le dernier item, Lucie Lachapelle, autrice du sublime Rivière Mékistan et Michel Jean, auteur du nom moins sublime Elle et nous (même si j’ai aimé les autres romans de ces deux écrivain.e.s (oui oui je respecte mes règles (comment cela quand quand cela m’arrange ?)))
  11. Quoi comment oui, ça fait 11 ou 12, je ne suis pas très douée pour les chiffres mais je viens de m’apercevoir que j’allais oublier Dominique Fortier et non, voilà je ne veux pas l’oublier c’est tout. L’année dernière elle m’avait enchanté avec les Villes de papiers mais mon préféré reste Les Larmes de saint Laurent (que je n’ai pas chroniqué mea maxima culpa)

Voilà les gens, désolée si je me suis parfois répété (il est possible que j’ai déjà parlé de certains (enfin possible, disons plutôt certain et souvent en plus)) mais voici quelques uns de mes écrivains préférés  (C’est toujours difficile les sélections et j’ai d’autres écrivains préférés sinon, des tas, Tolkien le sait, je suis de nature enthousiaste. Et comme disait à peu près ce bon Jules (Renard de son nom de famille) quand je pense à tout ce qu’il me reste à lire, j’ai la certitude d’être encore heureuse. Et vous, qui sont vos chouchous ?

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