Comme d’habitude avec les premiers frimas, c’est le retour du mois québécois, ses lectures, ses joies, ses placotages et autres folleries.
Tenant compte des propositions qui ont fleuri sur le groupe facebook de notre mois joli, nous vous avons, avec Karine, concocté un programme de LC aux petits oignons. mais avant rappelons les règles. Notre but est de parler et de faire connaitre la littérature québécoise donc on lit des auteurs québécois, né, vivant ou ayant longtemps vécu au Québec. (Sauf pour la journée de l’invité canadien of course). Dans ce cadre on lit ce qu’on veut, tant qu’on veut et quand on veut. les LC n’étant là que pour nous donner des idées et nourrir nos jasettes. Voilà pour les règles c’était vite fait (on n’est pas des plus rigides nous autres, on aime lire québécois, en parler, s’enthousiasmer, rire et partager). Plusieurs logos au cours des ans ont été produit, vous pouvez tous les utiliser à votre convenance. Cette année nous sommes gâtés avec deux petits nouveaux, celui très automnal de Mr Kiki (que j’ai placé ci-dessus) et celui très épuré d’Isallysun (qui clôturera ce billet). Faites ce que vous en semble… Et grand merci à nos deux créateurs.
Or donc voici le programme des Lecture communes prévisionnelles et néanmoins facultatives (LCPF) (ou lectures communes parfaitement facultatives selon ce que vous préférez ça fait pareil)
1er novembre : top d’ouverture : vos 10 livres préférés, vos 10 livres à lire absolument ce mois-ci, vos 10 livres que jamais vous n’avez pu finir, vos 10 livres à pleurer toutes vos larmes, vos 10 livres les plus drôles, vos 10 auteurs chouchous…
3 novembre – autour de la popote, recette, livre ou expérience…
4 novembre –Du Québec à nos oreilles
6 novembre – du 9e art… (sortez vos bd !)
8 novembre – Perdons nos repères avec la SFFF (science-fiction, fantasy, fantastique)
10 novembre –Sombre et glaçant, le jour du polar
12 novembre – Auteur ou autrice autochtone du Québec
14 novembre – Invitation spéciale, un canadien dans la belle province
16 novembre – Autour de Nicolas Dickner
19 novembre – Autour de Michel Tremblay
21 novembre – Autour d’Anne Hébert
24 novembre – Toujours jeune de coeur (littérature jeunesse)
26 novembre –Frais de l’année (publié en 2019)
28 novembre – Écoutons la télé ! (ou le cinéma)
28 novembre – Regard d’ailleurs : un auteur (de toute nationalité) qui parle du Québec
30 novembre – Gros party de clôture ! lâchez vous lousse !
Si vous manquez d’idée, vous en trouverez aux sections québécoises de nos blogs à karine et moi-même ainsi que sur tous les blogs qui participent depuis maintenant bien des années. Vous pouvez également venir faire un tour sur le groupe facebook du mois québécois… Sans parler des recaps que vous trouverez soit dans les menus déroulants de nos blogs (onglets Québec en novembre) soit par là
En quelques années, amazon est devenu le vendeur en ligne incontournable de notre quotidien. Bien sûr, on a depuis un moment commencé à se poser des questions sur les méthodes de ce champion du service client. Sans parler des rumeurs courant sur les méthodes inhumaines pratiquées dans les entrepôts de l’enseigne ou de l’étrange politique développée par amazon autour du kindle. bref je savais des choses mais sans m’être intéressée plus que cela au fond de l’histoire. Évidemment je m’attendais bien un peu au pire et rassurez vous je n’ai pas été déçue. Programme spatial privé, location d’espace pour le stockage de données du monde entier (y compris des services publiques de chez nous et oui), management sectaire, phobie fiscale et tutti quanti.
Je n’étonnerai personne en avouant que je suis tout sauf une lectrice de Capital, il était donc peu probable que je tombe sur le livre d’un journaliste de ce magazine. Comme quoi tout peut arriver au détour d’une rencontre organisée dans une de mes librairies favorites en l’espèce La librairie Renaissance à Toulouse. Ce fut fort intéressant d’entendre et de discuter avec l’auteur, qui a enquêté sur le terrain pendant plusieurs années et mené quelques 150 interviews d’ex et d’actuels amazoniens puisque c’est le nom que se donnent les employés de l’enseigne. Ce qui m’a captivée c’est la fascination évidente de l’auteur pour son sujet, du moins au départ et qui transparaît encore dans ses propos quand bien même cette fascination aurait changé de nature à mesure que l’ampleur de l’appétit de pouvoir de la bête se révélait. Une fascination qui s’explique – le succès a toujours quelque chose d’éblouissant au sens propre, d’aveuglant si on veut jusqu’à ce qu’on détourne les yeux de la lumière pour considérer les faits. Et là, c’est tout autre chose. Paradoxalement – il faut que je le dise quand même – de toutes les choses effrayantes dont parle ce bouquin, je crois que ce qui m’a symboliquement le plus glacée c’est la description d’une librairie en dur ouverte par amazon (grande destructrice de librairies s’il en fut) et rassemblant – en format papier – les 1000 livres papiers ayant obtenu 5 étoiles et les plus nombreux avis positifs de la maison. argh rien que d’y penser j’en ai des sueurs froides.
Je me suis fait l’effet d’entrer dans Le Cercle de Dave Eggers ou mieux (pardon pire) de revenir dans un de mes vieux Shadowrun (Oui c’est un jeu de rôles) quand nous luttions dans les ombres contre les froides et tentaculaires Corpos qui détenaient tous les pouvoirs, les États n’étant plus que des souvenirs. Cela fait toujours un petit quelque chose quand la dystopie rejoint la réalité non ? Asphyxiant !
Le monde selon Amazon – Benoît Berthelot – 2019 – Le Cherche Midi
PS : Tout cela ne va pas arranger l’organisation de mes achats de Noël, il faut quand même le dire. Il y a un temps pour arrêter de détourner les yeux.
De 2010 à 2018, à travers l’histoire d’une famille disons élargie, Jonathan Coe nous livre ses chroniques douces amères d’une Angleterre qui ne se reconnaît plus et se cherche en vain. D’aléas politiques en tensions sociales, d’enterrement en divorce, des jeux olympiques de Londres aux émeutes des quartiers périphériques, de la génération des seventies aux millenials, de la capitales des nantis aux campagnes abandonnées, c’est tout un pays, toute une époque qui prennent vie sous nos yeux. L’auteur a un talent fou pour nous faire sourire devant ce qui pourrait bien être tragique, tiquer devant ce qui est objectivement drôle, réfléchir à tout ce qu’on voit tous les jours sans – peut-être – en tenir assez compte. A l’instar de ses personnages, qui mettent bien du temps à réaliser ce qui est en train de se passer autour d’eux.
J’ai une relation en dent de scie avec Jonathan, (s’il me permet de l’appeler ainsi), j’ai adoré certains de ses livres (La Pluie avant qu’elle tombe), en ai détesté d’autres (La Vie très privée de Mr Sim) et jamais pu finir Testament à l’anglaise pour ne pas le citer. Je n’avais cependant jamais été présentée à la famille Trotter, n’ayant lu ni Bienvenu au club ni Le Cercle fermé. Mais cela n’a en rien gêné ma lecture (Si ce n’est que j’ai envie de les lire maintenant) car c’est d’une époque qu’il s’agit – la nôtre – et les personnages sont assez vigoureusement campés pour que l’on comprenne qu’ils ont un passé et voilà tout. Car c’est de leur vie présente qu’il s’agit et Tolkien sait qu’elle est assez complexe comme cela. J’ai été effarée par l’acuité des propos de l’auteur et par les convergences qu’elle révèle dans l’évolution de nos deux pays. Peur et misère qui monte, repli nationaliste, méfiance de l’autre, rejet du politique, impuissance et incompréhension à tous les étages, manipulations douteuses mais trop certaines… Et en toile de fond cette sublime touche de nostalgie à l’anglaise qui étreint mais fait sourire. C’est diablement bien écrit, totalement lumineux tout en étant d’une noirceur certaine, souvent drôle et toujours invitant à la méditation. Superbe !
Le Coeur de l’Angleterre – Jonathan Coe – 2019 – Gallimard
“Les gens voient qu’il y a des acteurs de la City qui ont quasiment foutu l’économie par terre il y a deux ans et qui n’en ont absolument pas payé les conséquences. Pas un n’est allé en prison, et aujourd’hui les voilà qui récupèrent leurs primes pendant que nous, le reste de la population, on nous invite à nous serrer la ceinture. Les salaires sont gelés, aucune sécurité de l’emploi, pas de plans retraite, les vacances en famille c’est fini, réparer la voiture c’est trop cher. Il y a quelques années, les gens avaient l’impression d’être riches. Aujourd’hui, ils se sentent pauvre.”
“Selon moi, tout a changé en Angleterre en mai 1979 et, quarante ans plus tard, on en paie encore les conséquences. Vous voyez, Benjamin et moi, on est des enfants des années soixante-dix. On n’était peut-être que des gosses, mais c’est dans ce monde-là qu’on a grandi. L’État-Providence, le système de santé, tout ce qu’on a mis en place après guerre. Seulement tout ça se délite depuis 1979 et continue à se déliter. Le voilà, le fond de l’affaire. Je ne sais pas si le Brexit en est un symptôme ou s’il fait diversion. Mais, en gros, le processus arrive à son terme aujourd’hui. Tout aura bientôt foutu le camp.”
Dame Agatha a commis bien des crimes et des plus variés durant sa longue vie d’écrivaine. Dix petits nègres compte sans conteste parmi ses classiques avec son intrigue hautement retorse et son ambiance angoissante. Et voilà qu’un professeur de littérature se mêlerait de rectifier la reine du crime en montrant qu’elle se serait trompée du tout au tout dans ses déductions et aurait guidé ses lecteurs vers une fausse solution. Vraiment ? Et ce serait le criminel lui même qui nous raconterait son crime, n’hésitant pas – avec un certain culot – à affirmer des choses du genre “je voudrais dire ma surprise, alors que tout aurait dû m’accuser depuis le début de l’enquête, à l’idée que j’aie pu passer pendant près de décennies entre les mailles de la lecture et de la critique sans jamais être soupçonné.” Fi donc !
Et de continuer, “Cette série d’aveuglements en dit long sur la capacité de l’être humain à s’illusionner, et, contre l’évidence, à persister dans ses erreurs pourvu que celles-ci correspondent à sa vision tragique du monde, et ne viennent pas mettre en cause la représentation qu’il a de lui-même et des autres.”
Ici bien sûr ce trouve le noeud – et le sel – de l’affaire car bien entendu il ne s’agit pas simplement de prendre en faute sa majesté Christie, ni même de l’affronter sur son terrain en se montrant plus malin qu’elle. Je soupçonne au demeurant Pierre Bayard de nourrir une quelque peu coupable passion pour Dame Agatha. Non le propos est avant tout d’analyser les mécanismes qui permettent tant à l’auteure de nous manipuler qu’au lecteur de s’aveugler. Toute la rigueur et l’analyse critique de l’auteur – professeur de littérature française à L’université Paris VIII donc – est ici au service de l’astuce et du machiavélisme de dame Agatha et c’est délicieux. Certains de ces artifices – mais pas tous je dois le dire – m’étaient d’ailleurs connus, car notre reine aimait à les vanter – avec cette (auto)dérision qui faisait tout son charme – quand elle se mettait en scène dans ses propres romans sous le nom d’Ariane Oliver. Nul besoin de connaitre le roman par coeur (comme moi mettons), Pierre Bayard nous le décortique minutieusement avant de le déconstruire, tout en gardant quelque chose d’allègre voire de Christien dans son écriture et en particulier dans la confession du supposé vrai criminel (moi j’en resterai à la proposition d’origine mais je dois dire que c’était astucieusement vu). Bigrement intelligent !
La vérité sur Dix petits nègres – Pierre Bayard – 2019 – éditions de minuit
Pendant les longs mois de mon absence bloguesque, j’ai traversé les affres et tourments d’une abominable panne de lecture. Rien à faire : rien que de penser à lire, j’en baillais. Alors j’ai plié, crocheté, me suis abonnée à un nombre ridicule de chaines youtube mais bon, tout cela ne m’a jamais suffi. Dans ces cas là, je ne connais pas 36 remèdes : à moi les relectures et de préférence les relectures les plus confortables, celles de livres ou de séries de livres que je connais par cœur tellement mes yeux en ont usé les lignes. Alors dans un moment de grande fraternité lectoresque – et pour le cas ou vous aimeriez les romans historiques ET que vous ne connaitriez pas encore le très sagace Erwin – il m’est venu l’envie de vous parler cette superbe série de Marc Paillet.
J’aime les romans historiques, cela se sait, et particulièrement les polars historiques qui d’enquête en enquête permettent aux auteurs d’approfondir les personnages et de brosser de beaux panneaux d’ensemble d’époques plus ou moins connues. Ici c’est le règne de Charlemagne qui est à l’honneur et vous avouerez avec moi que ce n’est pas la période que l’on rencontre le plus communément. Sachant que je suis, pardonnez moi de citer le grand Georges, foutrement moyenâgeuse dans mes goûts, cette série ne pouvait manquer de m’attirer dès le départ, elle a rempli toutes ses promesses à la lecture et je ne me lasse pas de la relire encore et encore quand l’envie m’en prend.
Charles le Grand, fils de Pépin et petit-fils du Marteau des Sarrasins (ça fait peur, dit comme ça) (en même temps c’est l’idée) disposait pour gouverner son immense empire, d’un certain nombre d’institutions. Entre autres, celles des comtes et marquis – en général des parents ou des compagnons d’armes – qu’il nommait pour gouverner ses provinces en son nom avec tous pouvoirs. Et celle des Missi Dominici, les envoyés du maitre, pour s’assurer que lesdits comtes n’en prenaient pas trop à leur aise – on est jamais trop prudent – et respectaient ce tout nouveau contrat de vassalité qui était en train de se créer dans la bonne vieille Gaule jadis romaine.
Erwin est donc un abbé saxon – à l’époque les fonctions d’abbé et d’évêque ne sont pas intrinsèquement liées à un lieux comme ce sera le cas plus tard – né et élevé dans l’actuel Grande-Bretagne (oui et il est grand, maigre, caustique dans ses propos et plutôt austère dans ces habitudes, je ne vois pas du tout à quel détective grand-breton il pourrait faire penser) érudit et disciple du célèbre Alcuin qui fut la cheville ouvrière de la renaissance carolingienne. Associé au comte Childebrand, cousin de Charlemagne de la lignée des Nibelung (quel joli nom), ils forment l’une de ces paires redoutées de tous car ne relevant que de l’empereur. Et ils s’y entendent pour bousculer des choses que l’on croyait bien établies, évinçant des comtes à la justice approximative, écartant des évêques aux appétits trop grands, apaisant au passage quelques révoltes, creusant là où on ne les voudrait pas et bien souvent redresseur de torts – quand bien même leur justice nous semble parfois cruelle mais bon on est au IXe siècle.
Au fil des enquêtes, ils nous font visiter quelques coins de cette Gaule encore si variée dans ses peuples, ses coutumes et ses langues. De Lyon en Berry en passant par ce qui sera la Bourgogne (le Poignard et le Poison), ce qui est encore à l’époque la Septimanie (Les noyées du grau de Narbonne) ou même la résidence impériale de Thionville en Moselle (Le mystère de la femme en bleu), Marc Paillet nous permet d’explorer ce monde en mutation ou se dessine l’Europe à venir. Stratifications sociales et familiales, droits variables et complexes selon l’origine des sujets, vie quotidienne, paysages, marchandises et transport, enfin toutes ces choses qui font exister une époque. A cela s’ajoute toujours un rien de politique : révoltes (les Spectres de la nouvelle lune, la Femme en bleue, la Salamandre), souvent d’actualité sous Charlemagne qui ne fit pas dans la dentelle pour pacifier ses conquêtes, ou même ambassades car l’empereur ne dédaigne pas d’envoyer ses chers missi prendre contact avec le très célèbre Haroun al Rachid au coeur de sa ville de Bagdad (le Sabre du calife) ou explorer un peu les coutumes des redoutés Hommes du Nord du côté du Jutland (les Vikings aux bracelets d’or). Dans tous les cas, un meurtre ou plusieurs seront l’occasion, pour notre saxon, de montrer son étonnante sagacité car il n’est guère porté sur l’ordalie ou autre torture et préfère démontrer, prouver et faire avouer. Ce qui le rend éminemment sympathique aux lecteurs du XXIe siècle cela va sans dire. Embarquez donc au côté d’Erwin et Childebrand pour un voyage dans le temps et l’espace, gage d’évasion, de dépaysement et – disons-le – de plaisir même pas coupable.
(ayant écrit un seul billet jusqu’ici sur ce cher Erwin, je vous mets quelques liens vers le blog du Papou qui s’est récemment fait une orgie carolingienne 🙂 )
Le regretté Marc Paillet, historien, résistant, journaliste et écrivain, né en 1918, nous a quitté en 2000 à ma considérable tristesse car je l’appréciais fort et l’apprécie toujours.
Si la mouvante frontière entre l’antiquité et le moyen âge vous intéresse, il est également l’auteur du Remords de Dieu qui à travers les tribulations de deux clercs immortels entre le IVe et le IXe explore la naissance et la mort de civilisations qui se crurent toutes impérissables. Plus érudit que la série Erwin mais disons moins pétillant dans son intrigue, ce roman fascinant et excellemment écrit est un plaisir de lecture.
Enfin et à toutes fins utiles, si vous aviez comme moi, du mal à quitter cette époque passionnante, vous pourriez vous tourner vers une œuvre de pur historien, en l’espèce Pierre Riché, très grand spécialiste de l’histoire médiévale, en lisant son très bel essai, Les Carolingiens, une famille qui fit l’Europe (Hachette 1997). Un ouvrage passionnant, clair et fort bien écrit qui débarrasse efficacement l’histoire carolingienne des quelques scories façon roman national – voire nationaliste – qu’elle trainait depuis le XIXe. Hautement recommandable !
Bon voyage les gens et puisse la lecture vous être agréable…
Paul est en prison. Voilà qui a tendance à borner un horizon ; ici réduit à 6 m² partagé avec un homme et demi de muscles, de tatouages, de violences verbales et de passion pour les Harleys. Deux hommes, deux lits superposés, deux fenêtres, deux tabourets scellés au sol, deux tablettes, un lavabo, un siège de toilette. Voilà l’horizon et pour l’ambiance : La prison nous avale, nous digère et, recroquevillés dans son ventre, tapis dans les plis numérotés de ses boyaux, entre deux spasmes gastriques, nous dormons et vivons comme nous le pouvons.
Pour l’homme et demi, bikers et membre des trop fameux Hells, peu de mystère, quand bien même il protesterait de son innocence, tout le monde se tient à carreau devant lui – y compris les gardiens qui ne tiennent pas à ce qu’il s’énerve. Mais Paul ? Comment cet homme tranquille et serviable, superintendant pendant 26 ans du même immeuble dans Ahuntsic (concierge en somme), n’aspirant qu’au calme du ciel, des eaux et des forêts, a-t-il bien pu se retrouver dans ce « condo » d’un triste genre ? L’histoire d’une vie…
J’avais aimé une Vie française etla Succession, ce nouvel opus m’a donc plaisamment sauté dans les mains presque à mon insu et puis le thème me parlait, ce huis-clos improbable entre un déraciné décalé et un bikers frappé – ce dernier renvoyant excellemment en miroir l’humanité – et peut-être la solitude – du premier. Et puis ce grand écart entre Toulouse et Montréal… évidemment. L’écriture de Jean-Paul Dubois est comme toujours intense, précise, ironique, pétrie de nostalgie et de questions sans réponse, délicatement désespérée mais avec une petite lueur peut-être, celle d’une lumière sans pareille sur l’argent d’une mer nordique. Prenant !
Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon – Jean-Paul Dubois – 2019 – L’Olivier
PS : Après presque un an de pause, je me suis dit que taper dans la rentrée littéraire était le moins que je pouvais faire.
PPS Mon blog a treize ans aujourd’hui, treize ans !!!! tout ce temps déjà… joyeux blogoversaire à moi-même donc 🙂
Après des années d’errance théâtrale qui l’ont rendue célèbre en Europe, Flora Fontange se voit offrir un rôle à Québec dans la pièce de Samuel Beckett Oh les beaux jours, l’occasion pour elle de retrouver les lieux de son enfance – qu’elle a soigneusement évités depuis fort longtemps – et de retrouver sa fille, jeune adulte qu’elle sent s’éloigner d’elle. Deux occasions redoutées qui vont l’entrainer dans une étrange balade à travers la ville et les profondeurs de sa mémoire et peut-être lui permettre de se retrouver voire de se réconcilier avec son histoire et avec elle-même…
Lire un Anne Hébert est toujours un bonheur et Le Premier Jardin ne fait pas exception à la règle. Cet été j’ai eu le bonheur de suivre une promenade littéraire à Québec sur les pas des écrivaines qui en ont écrit. C’est là que j’ai entendu parler de ce roman et je savais – je savais – qu’il me fallait le lire. J’ai adoré me promener à nouveau dans la vieille ville sur les pas de Flora, femme vulnérable, blessée qui depuis des années fuit dans les personnages qu’elle incarne pour éviter d’être elle-même – ou peut-être pour se pardonner de ne pas s’être soumise à ce qu’elle aurait du être comme l’ont fait tant de femmes anonymes et dévouées dans l’histoire de cette ville. C’est magnifiquement écrit, superbement mis en scène – si j’ose dire – dans l’exceptionnel décor qu’est la ville de Québec, et le personnage est étonnamment attachant sous ses apparentes superficialités de femme-enfant. Un magnifique roman sous le signe du temps qui passe et de la réconciliation intime. Excellent !
Le premier jardin – Anne Hébert – 1988 – Le Seuil 200
*ce n’est peut-être plus la journée (je me suis un peu perdue dans les LC), mais Anne Hébert est une immense écrivaine et compte parmi les classiques de la littérature québécoise.
« Il faut se méfier des mots. Ils commencent parfois par désigner et finissent par définir. Celui qu’on traite de bâtard toute sa vie pour lui signifier sa différence ne voit pas le monde du même œil que celui qui a connu son père. Quel monde pour un peuple qu’on traite de sauvages durant quatre siècles ? »
Un après-midi de juin, le bus scolaire de la réserve mi’gmaq de Restigouche est bloqué sur la route. Des gyrophares scintillent dans tous les sens, les gens courent, les forces de police du Québec, venues en nombre, semble avoir encerclé les lieux. Inquiets pour leurs parents, quelques écoliers s’échappent du bus pour rentrer chez eux malgré le chaos ambiant. Pour Océane, 15 ans, c’est le début d’une épreuve qui la marquera pour longtemps…
1981, le Québec est en pleine crise institutionnelle. Après l’échec du référendum de 1980 sur la souveraineté, le parti québécois à l’origine dudit et réélu de frais, entend affirmer son indépendance face à l’autorité fédérale canadienne. Or si les droits de pêche sont sous juridiction provinciale, les réserves dépendent le l’administration fédérale. Une belle occasion pour le gouvernement québécois de montrer qu’il est maître chez lui serait-ce au dépens des autochtones à qui il entend interdire de pêcher le saumon – activité traditionnelle s’il en fut. Et ainsi un peuple en lutte pour sa langue et son autonomie se retrouve à s’en prendre à une minorité plus mal lotie pour se faire entendre. Paradoxe ? Sans doute mais nourri de tout un contexte que Taqawan* s’emploie admirablement à nous montrer** à travers l’histoire tragiquement banale qui va réunir pendant quelques jours, quatre personnalités très différentes.
Dans les livres de Eric Plamondon, j’aime tout : l’écriture, les sujets multiples qui s’emboîtent, l’humour par l’absurde, l’humanité souffrante des personnages. Mais ce qui m’impressionne le plus c’est sa maîtrise de la narration collage. (J’invente des mots si je veux). Taqawan, comme Hongrie Hollywood express avant lui – se présente comme un assemblage de courts chapitres, rassemblant, tressant, tissant une histoire bien plus large et complexe que son intrigue, à travers ici un conte, là une rencontre, une recette, un viol, une précision linguistique, une poursuite en canoé, un rappel historique et bien d’autres choses encore… Et à la fin, on s’aperçoit que tout se tient, qu’on aime chaque personnage, que les pages ont tourné toutes seules et qu’on est bien marrie d’avoir encore une fois à quitter la Ristigouche et ses reflets. (C’est qu’il m’y avait déjà emmené dans sa nouvelle éponyme qu’on retrouve aujourd’hui dans le recueil Donnacona***** et que je ne saurais trop vous recommander). C’est grave et pétillant, engagé mais sans manichéisme, allègre mais plein d’enseignement, à mille lieux de la caricature ou de l’angélisme facile. C’est tout ce que j’aime dans un roman. Grisant !
Taqawan – Eric Plamondon – Quidam 2018 – Le quartanier 2017
Les avis enthousiastes (entre autres) de Karine, Keisha, la cause littéraire, ceux moins convaincus du papou et de catherine – Et on me souffle dans l’oreillette (l’oreillette actualitté précisément) que Taqawan vient de recevoir le prix France Québec littérature 2018 – il était déjà détenteur du prix des chroniqueurs de Toulouse polars du sud 2018.
*Taqawan c’est le nom que les mi’qmaq donne au jeune saumon qui revient pour la première fois pondre dans la rivière de sa naissance.
**à Toulouse polar du sud, l’auteur racontait que ce qui l’avait frappé quand il avait découvert cette histoire, c’est que lui québécois n’en avait jamais entendu parler, ce qui l’avait amené à se rendre compte que les amérindiens était largement invisibles dans l’histoire du Québec telle qu’il l’avait apprise. Des propos qui ont été droit au coeur de l’ancienne étudiante en anthropologie qui avait suivi avec effarement la crise d’Oka en 1990. (oui c’est moi)
***Ah et je comprend maintenant pourquoi il a rigolé quand je lui ai dit que j’étais anthropologue – c’est baveux ça Eric – mais je ne vous dirais rien, lisez le livre
****Ce qui me fait penser que la conversation entre Yves et Caroline qui mène à leur rupture est quasiment l’écho parfait d’une conversation (heureusement moins dramatique) que j’ai eu il n’y a pas si longtemps. Le mot nationalisme ne sonne vraiment pas tout à fait pareil de part et d’autre de l’atlantique.
***** Saviez-vous que Donnacona en plus d’être une ville québécoise, était le nom d’un chef iroquaien qui accompagna Jacques Cartier en France et eu quelques entretiens avec le roi François 1er ?
******Oui j’aime les billets courts mais parfois, j’ai trop de chose à dire (comment ça je suis bavarde ?) (je crois que je viens de battre mon record de notes de bas de billet)
À 70 ans, Bartine, désormais seule au monde, emménage dans une maison de retraite et se retrouve – littéralement – face à elle-même. Albertine à 30 ans – pleine de vie et d’une colère qui peine à s’exprimer, Albertine à 40 ans perdue dans sa rage, Albertine à 50 ans plus apaisée, enfin autonome mais sur la défensive, Albertine à 60 ans cassée et droguée, Albertine à 70 ans presque sereine, ou disons prête à faire face à sa vie. Une vie cabossée vécue sous le maitre signe de la frustration qui, dans cette étonnante introspection chorale, nous fait la démonstration d’une inaptitude au bonheur tout en esquissant en filigrane une histoire intime de la condition féminine dans le Québec du tournant du XXe siècle.
Je continue mon voyage dans le théâtre de Michel Tremblay et grand Tolkien que je regrette de n’avoir jamais eu l’occasion de voir au moins une de ses pièces sur scène. Je me demande même parfois si je ne préfère pas ses pièces à ses romans – si du moins une telle préférence pouvait avoir un sens tellement j’aime son écriture, sa finesse, la richesse de son univers et la subtilité qu’il instille dans ses personnages. Albertine, personnage centrale des Chroniques du Plateau Mont-Royal nous ouvre ici les secrets d’un cœur rongé par le rôle qui lui a été assigné et dont elle n’a jamais pu, jamais voulu se satisfaire. Eut-elle été plus heureuse si elle avait vécu un autre destin dans une autre époque ? qui sait. Ayant lu cet été Le Peintre d’aquarelle – dont je vous parlerai quelque jour – roman qui conte le destin du fils d’Albertine, Marcel, destin hors norme, tragique mais peut-être finalement moins terrible que celui de sa mère ; j’ai été profondément touchée par cette femme si peu en accord avec ce qu’on attendait d’elle, si insoumise dans son apparent conformisme, si seule enfin tout au long de sa vie. Attention Chef d’oeuvre !
Albertine en cinq temps – Michel tremblay – 1984 Léméac – 2007 Actes sud papiers
Enquêtant sur la mort quelque peu mystérieuse et fort peu ragoutante d’un chercheur en ingénierie végétale apparemment victime de ses propres expérimentations, le lieutenant Mathis Blaustein, se retrouve parallèlement confronté à une étrange visite au domicile de ses parents, très précisément au 158bis rue Saint-Viateur ouest, lieu où il n’est officiellement plus censé mettre les pieds. C’est que le dit lieutenant Blaustein né et élevé dans la communauté Hassidique de Montréal est à la fois policier et homosexuel, ce qui le met par définition au ban de la communauté de son enfance. Un ostracisme qui ne l’empêche pas de rendre visite – en cachette – à sa mère et donc d’être présent lorsqu’une vieille femme quelques peu déboussolée vient bouleverser la vie bien rangée de Madame Blaustein. De fil en aiguille, de piano cloué au mur en lettres d’amour fanées, Mathis remonte aux racines d’une histoire sanglante qui relie deux continents et pourrait bien lui permettre, chemin faisant, de rassembler les fragments de sa propre identité.
J’aime le Mile End, ce quartier de Montréal situé juste à la limite ouest du Plateau Mont Royal et où l’on mange les meilleurs bagels du monde. Et ce fut un plaisir de m’y promener au côté de ce policier atypique en quête de réponses tant sur des meurtres présents ou passés que sur sa propre identité. Quête qui l’entraînera au demeurant plutôt loin dans le temps et dans l’espace. Roman d’atmosphère et de non-dits ou l’Histoire avec une majuscule croise crimes et secrets de famille, 160 rue Saint-Viateur ouest est un polar, foisonnant, bien mené, bien écrit et pour tout dire hautement recommandable. Entraînant !