La Beauté des jours

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Jeanne est une femme d’habitudes et de routines, employée des postes, mariée à un homme aussi prévisible que prévenant, deux filles déjà adultes, un jardin fleuri donnant sur des voies ferrées où elle aime à regarder passer les trains – toujours les mêmes, le 18h01 et son passager si élégant, et le suivant 20 minutes plus tard et sa passagère au chapeau bleu. Mais derrière cette apparence des plus ordinaires se cache une âme lumineuse attachée aux petits bonheurs du quotidien. Et quand un cadre un peu oublié à force d’habitude se détache du mur, un rien d’imprévu se glisse dans la vie bien réglée de Jeanne.

Une de mes filles me dit parfois – entre reproche et amusement – que j’aime les films où il ne se passe rien (surtout quand ils sont en VO et de préférence dans une langue incompréhensible ajoute-t-elle – fi, faites donc des enfants). C’est un tantinet injuste je trouve (quoique pas totalement faux peut-être), disons que comme Jeanne je vois de la beauté – ou du moins de l’intérêt – là où d’autres ne voient que routine et insignifiance… une fleur bizarre, une couleur détonante, un inconnu qui passe, un palindrome inattendu, un petit défi qu’on se donne comme de marcher sur un pavage sans en toucher les joints quand on est enfant. La Beauté des jours est sans doute un roman où il ne se passe pas grand chose mais il réussit le tour de force d’être à la fois un hymne au vrai bonheur – celui qui passe inaperçu tant qu’il est là – et une ode à l’art le plus extrême comme dérivatif à l’ennui qui guette et pourrait menacer le-dit bonheur. J’aime Claudie Gallay, ses personnages, son écriture limpide, sa vision de l’art – ici celui, quelque peu dérangeant à mon sens, de Marina Abramovic, la délicatesse de ses non-dits, la profondeur qui se cache derrière son apparente simplicité. Chacun de ses romans est un petit bonheur de lecture et celui-ci tout comme les autres – plus, peut-être. Solaire !

La beauté des jours – Claudie Gallay – Actes sud – 2017

PS : De la même auteure sur ce blog, Une part de ciel, Les années cerise et je n’ai pas chroniqué les déferlantes, c’est mal !

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En la forêt de longue attente

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En la forêt de Longue Attente
Chevauchant par divers sentiers
M’en vais, cette année présente,
Au voyage de Desiriers.

Charles d’Orléans, fils de Charles V le sage, neveu de Charles VI le fou, père de Louis XII qui maria pour toujours la Bretagne à la France, est plus connu pour ses talents de poète que pour ses faits d’arme… et pour cause ! Propulsé à la tête de la maison d’Orléans à 14 ans, prince trop timide qui aimait les livres plus que les armes en un siècle de fer et de sang, il est capturé à 20 ans à  Azincourt et ne sera libéré que 25 ans plus tard. Otage trop précieux d’un roi d’Angleterre bien décidé à conquérir un royaume de France déchiré par la guerre civile entre Bourguignon et Armagnac. 25 ans de solitude, d’isolement, d’ignorance du sort de ses proches mais d’écriture aussi, ces ballades, rondeaux et chansons qui nous charment encore aujourd’hui.

Hella S. Haasse cherche l’homme derrière le personnage public – à qui aucun choix ne sera jamais permis – le poète, l’homme de livres, de mots, à la recherche d’un accomplissement qu’il trouvera peut-être au soir de sa vie à Blois lorsqu’il organise au côté de Marie de Clève, sa dernière épouse, des tournois littéraires qui accueillent tous les beaux esprits du siècle, dont – brièvement – François Villon. En la forêt de longue attente est un roman étrangement fascinant pour qui aime l’histoire, restituant la complexité politique d’une époque plus que troublée, explorant la psychologie de personnages dont les noms nous sont si familiers – enfin si comme moi, le moyen-age et la guerre de cent ans vous charment depuis l’enfance (Jean Sans Peur, Philippe le Hardi, Isabeau de Bavière, ces noms ne vous font-ils pas rêver ?). Une lecture prenante, fascinante, teintée de la poésie douce de ce Prince qui passa peut-être à côté de sa vie, à moins que, finalement, ses épreuves ne lui aient permis d’explorer un monde tout intérieur fait de mots, de songes et de mélancolie. Captivant !

En la forêt de longue attente – Hella S. Haasse – 1949 – traduit du néerlandais par Anne-Mairie de Boeth-Dietz – le Seuil – 1991

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11 ans, deux jours, quelques heures et des milliers de mots…

11terHier le nez dans mon cellulaire-portable (ceci est un article bilingue), je tombe derechef sur l’article célébrant les dix ans du blog de ma très aimée et très voyageuse Karine – joyeux blogoversaire twinette – quand tout à coup l’évidence de frappe (tel un sabre laser entre les mains d’un bébé jedi), l’anniversaire de mon blog tombant un jour avant le sien, je l’ai raté. Bon deux jours sur onze (11) (non ? si si !) ans, c’est cosmiquement imperceptible et nous ne nous en soucieront pas au moment de sabrer le champagne avec panache et un katana (soyons fous).

Bref, il y a 11 ans, j’ai décidé dans un moment d’absence d’ouvrir un blog pour garder trace de mes lectures, élargir mon champs d’action lecturesque et peut-être partager un tantinet. Objectifs atteints ! Enfin plus ou moins. J’ai bien – et très largement – élargi mes horizons, le partage fut des plus grandioses – avec des amitiés à la clé qui me sont un grand bonheur, quant à garder trace de mes lectures, je dois avouer que si je chronique un petit quart (un mini quart ?) de ce que je lis, c’est le bout du monde MAIS et ceci est une bonne résolution au long court (car je la renouvelle tous les ans avec constance et détermination) je ne désespère pas de faire mieux… un de ces jours et à mon rythme s’entend car ces humbles pages resteront pour le meilleur et le pire le reflet décalé, bringuebalant et chaotique de mes lubies de lectrice bouliméclectique. Bon disons un gros quart cette année et n’en parlons plus.

Qu’importe après tout l’essentiel étant qu’après 1363 billets, plus de 25000 commentaires (ça fait toujours plaisir les commentaires), des conversations à n’en plus finir, des élucubrations échevelées, des mois thématiques (le québécois approche les gens), des années du même métal, des challenges divers et variés, des swaps, des rallyes, des listes, des tops et des livres à tous les étages, je ne suis pas lassée… j’aime toujours autant lire, partager et même écrire – quoique dans la douleur mais il parait que ça fait partie du plaisir, alors blogounet et moi rempilons pour une nouvelle année (et plus si affinité) et vous rencontrer au détour d’une page me sera un très grand plaisir…

11bis

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Québec en novembre… c’est reparti !

quebecennovembre_240Oyez oyez gens de l’internet livresque international (pas moins), il nous arrive la nouvelle ébouriffante quoique attendue de l’automne, Québec en novembre sera ! Comme tous les ans depuis, je ne sais pas trop, six ans je crois, La très merveilleuse Karine et moi-même vous proposons de consacrer le premier mois des grands frimas à la Belle Province et principalement (mais non exclusivement) à sa littérature.

Comme toujours avec nous, tout cela se fera sans contraintes et à votre goût. Que vous lisiez un livre ou 30 (Karine peut le faire, si !), vous êtes les très bienvenus. Que vous préfériez les romans classiques, la sffff, les polars, l’historique ou un peu de tout, les essais, les bd, les livres jeunesse, les contes, que vous testiez des recettes, visionniez des films, ou simplement que vous nous parliez de vos vacances (au Québec hein),  racontez-nous !  Tout ce qui est québécois est à l’ordre du mois !

Pour l’instant il est question d’une lecture commune Réjean Ducharme  qui vient de nous quitter et je proposerais volontiers d’y ajouter une lecture polar et une rencontre autour de Michel Tremblay mais toutes les propositions sont les bienvenues (elles-aussi). Pour en discuter (et vous inscrire) vous pouvez passer par les commentaires ci-dessous ou nous retrouver sur le groupe facebook (c’est souvent là que se décident les lectures communes) et utiliser le #QuebecEnNovembre sur d’autres réseaux. Si vous avez besoin d’idées lecture, vous pouvez consultez les catégories québécoises d’ici ou de celui de karine, lire les récaps des années précédentes (dans l’onglet ci-dessus), vous pouvez également aller faire un tour sur leslibraires.ca , sur le site de la Librairie du Québec à Paris ou de la librairie Tulitu en Belgique, bref à vos lectures les gens et que le Québec nous accompagne. Enjoy !

logo-québec-en-novembrePS : Les logos des années précédentes sont tous très beaux (oui je ne suis pas objective mea culpa) et réutilisables par tous et à l’envi mais j’ai quand même commandé un nouveau logo pour cette année, il arrive, il est presque là…

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Le meilleur du premier semestre 2017

top8Il y a quelques temps, je suis tombé sur un billet de la très aimée et très fantabuleuse Cuné qui recensait ses meilleures lecture des six premiers mois de l’année et cela m’a semblé du plus grand intérêt. Déjà parce que je n’avais lu qu’un titre sur les huit qu’elle proposait – et ce fut un coup de coeur – ce qui m’en laissait sept à noter toute affaire cessante, ensuite parce qu’elle y mentionnait l’attrait qu’il y avait a trier et faire des choix dans ses lectures récentes avec juste assez de recul pour que les choses soient encore fraîches mais pas trop si je puis ainsi m’exprimer. Je me suis donc inspirée – en toute impunité, j’ai trié et voici ma liste.

1. les vies de papiers de Rabih Alameddine

2. Les cosmonautes ne font que passer de Elitza Georguieva

3. Bondrée de Andrée A Michaud

4. Les Passagers du Roissy Express de François Maspero

5. La Daronne de Hannelore Cayre

6. Apaise le temps de Michel Quint

scoutet hors tri, hors concours, hors tout, deux romans que je me réservais de lire depuis des lustres en repoussant toujours le moment – du fait de leur statut de classique sans doute – et qui furent comme de bien entendu deux coups de coeur toute catégorie

7. Mémoire d’Hadrien de Marguerite Yourcenar

8. Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur de Harper Lee

viedepapierJe pensais qu’il serait terrible de se limiter mais en fait pas tant que cela (bon un peu quand même), certains livres s’imposent et disposent. En parcourant ma liste (70 livres depuis le début de l’année, je crois que je devrais plier plus d’origamis moi) (Oui je fais des listes sinon je ne sais jamais quoi répondre quand on me demande ce que j’ai lu récemment) Les vies de papier s’est imposé tout naturellement ; ma première lecture de l’année, à la fois grandiose et inquiétante, trouverais-je dans la suite de 2017 quelque chose d’aussi entêtant que cette sublime ode à la vie et à la littérature (heureusement ce fut finalement un bon présage). Les cosmonautes ensuite, pour ce ton à la fois totalement décalé et d’une incroyable fraicheur qui nous garde le sourire même quand on pourrait (oh oui on pourrait bien) le perdre, Bondrée pour sa langue si particulière, toujours à la limite entre oralité et écriture, entre français et anglais, entre poésie et polar, les Passagers du Roissy express pour son incroyable humanité et parce que j’aime François Maspero d’amour, La Daronne parce que c’est la dernière claque que j’ai prise et la joue m’en cuit encore entre rire et grincement de dents (mais comment peut-on écrire la désespérance du monde avec autant de verve et d’optimisme), et enfin Apaise le temps, je ne sais pas trop pourquoi, peut-être parce qu’en le refermant je me suis promis de lire tout – absolument tout – Michel Quint et ça c’est un signe.

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En un mot comme en cent, l’année a plutôt bien commencé question lecture, et vous ?

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Ripper street

ripperLondres 1889, depuis six mois, on entend plus parler de l’éventreur ; Whitechapel souffle enfin. Mais quand une prostitué est retrouvée assassinée dans une ruelle du quartier, toutes les angoisses se cristallisent tant pour la population que pour les policiers de l’East End. Est-il revenu ? Est-ce un imitateur ? Un autre monstre est-il lâché dans les rue ? Voire est-ce enfin l’occasion de l’arrêter ? Pour l’inspecteur Edmund Reid, il s’agit surtout de ne pas se laisser détourner de son enquête par le fantasme de l’éventreur et il entend bien découvrir la raison et le coupable de ce meurtre…

Cette série trainait dans ma pile à voir depuis déjà plusieurs mois – Tolkien sait pourquoi – quand je me suis enfin décidée à la glisser dans mon lecteur, et hop en deux jours c’était vu et bien vu. Richard Warlow a su redonner vie et couleurs à un Londres Victorien étonnamment bien reconstitué, tout en y faisant évoluer des personnages bien campés – un inspecteur respectable et consciencieux mais rongé de l’intérieur, un ex soldat en ascension sociale, un américain beaucoup trop doué pour être honnête, une fille de bonne famille en rupture de ban, d’autres encore… Les enquêtes sont prenantes et nous font pénétrer dans les dessous et les arrière cours de ce Londres fabuleusement riche s’épanouissant sur un terreau de misère noire. La saison 1, comme souvent dans les séries britanniques, ne compte que huit épisodes, sans raté ni temps mort et tous excellemment interprétés (je ne dis pas ça parce qu’il y a Matthew, bande de mauvaises langues – mais c’est un excellent acteur de toute façon) Bref un must watch pour tout les amateurs du genre et de la période. Son succès – comme souvent j’arrive un peu tard – lui a valu d’être reconduite de saison en saison, la cinquième – et dernière ? – a été diffusée fin 2016 en Grande-Bretagne et moi, il me reste à m’attaquer à la deuxième. Victorien !

Ripper Street – une série de Richard Warlow – 2012 – BBC One – avec Matthew McFadyen, Jérôme Flynn et Adam Rothenberg

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Chroniquée dans le cadre du mois anglais – version prolongations – des dames Lou et Cryssilda

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La vie rêvée de Virginia Fly

virginia

A 31 ans, Virginia est enseignante dans une petite ville de la grande banlieue londonienne, vit toujours chez ses parents, est toujours vierge et s’est laissé enfermer dans une vie aussi routinière qu’ennuyeuse. Ses seules échappatoires, une correspondance de douze ans avec un américain dont elle ne connait que la photo mais à qui elle se confie et quelques soirées au concert avec un vieux professeur autrichien rencontré par hasard. Rien de très folichon mais justement les choses semblent bouger un peu autour d’elle, son correspondant débarque à Londres pour la voir et on lui propose de participer à une émission télévisée très populaire ; bon certes le thème en est sa virginité incongrue mais enfin, elle en est sûre, cela ne peut que déclencher quelque chose quelque part…

Ce roman, l’un des premier d’Angela Huth, date de 1972 mais il est tellement hors du temps qu’il pourrait aussi bien se dérouler dans n’importe quelle décennie de l’après guerre. Totalement décalée, Virginia est la prisonnière consentante d’une vie familiale à laquelle il ne lui vient pas à l’idée d’échapper. Cultivée et en apparence rationnelle mais rongée par des fantasmes de midinette, la jeune femme passe avec entêtement et constance à côté de la vie, désespérant de ne pas la trouver semblable à une romance mais incapable d’en tirer une quelquonque satisfaction. Le style enlevé, spirituel et un rien cruel d’Angela Huth sauve son héroïne de l’insignifiance totale en brossant un tableau souvent drôle d’une certaine Angleterre. Acide !

moisanglaisLa Vie rêvé de Virginia Fly – Angela Huth – 1972 – traduit de l’anglais par Anouk Neuhof – Quai Voltaire 2017

Lu dans le cadre du mois anglais de Cryssilda et Lou (billet en retard mais j’ai le droit dixit les grandes prêtresses 🙂 )

 

 

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Vous descendez ?

vous descendezLe soir du jour de l’an, quatre personnes se retrouvent par hasard, en même temps sur le toit de la “Tour du saut”, tristement célèbre pour ses suicides. Les fêtes de fin d’année sont toujours difficiles à passer pour ceux qui se débattent dans de solitaires problèmes. Seulement entre plonger dans la nuit solitaire et discuter avec d’autres de qui va passer d’abord, il y a un pas… qui se révèle ce soir là infranchissable. Alors redescendre oui, mais pour quoi faire ? Recommencer plus tard ? Se résigner à vivre ? Autre chose ? et avec qui en parler sinon avec ceux qui viennent de vivre la même expérience. Seulement, on ne saurait guère trouver personnes plus dissemblables que Martin, Jess, Maureen et JJ et les discussions s’avèrent dès le départ hautes en couleur.

De Nick Hornby, j’avais adoré Juliet, naked et retenu de l’auteur, ce piquant talent pour nous faire rire – parfois jaune mais souvent franchement – des travers du monde contemporain – voire des nôtres. Ici, il ne fait pas dans la dentelle en choisissant des thèmes on ne peut plus sombres voire malséants – suicide, handicap, dépression, aventure avec une mineure, famille toxique – et en les moulinant dans un roman choral étonnamment entrainant, à la limite du guilleret et à cent lieues d’un roman feel good. Ce qui est d’ailleurs bien dommage pour nos quatre protagonistes qui vont rapidement découvrir qu’il est bien difficile de redescendre de la tour, que nul miracle ne les attend à l’arrivée, que leurs problèmes sont bien toujours là, aussi insolubles, qu’aucune lumière divine ne leur montre le chemin (malgré ce qu’ils racontent à la presse) et que la rédemption ne semble pas au rendez-vous. Avouons qu’ils ne sont guère sympathiques ces bras cassés, pourtant on finit par s’y attacher à moitié, en dénichant sous la carapace de leur multiples travers, et comme toujours chez Nick Hornby, ce petit soupçon d’humanité, oh une lichette, qui nous permet de garder le sourire aux lèvres et un rien de foi en l’humanité. A long way down !*

Vous descendez ? – Nick Hornby – 2005 – traduit de l’anglais par Nicolas Richard

moisanglais

*J’adore le titre original 🙂

lu dans le cadre du mois anglais de Cryssilda et Lou

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La Crique du français

criqueAu XVIIIe siècle, la très mondaine lady Dona St Columb fuit soudain une vie en apparence agitée mais dont la vacuité la mine pour se réfugier avec ses deux enfants en Cornouailles dans une propriété de famille du bord de mer où elle espère se retrouver elle-même. Elle trouve la maison presque à l’abandon, régie par un domestique unique qui semble avoir pris de singulières initiatives. Alors que dans la région des rumeurs courent sur les exactions de pirates français, Dona relève d’étranges indices autour de la maison…

Certes ce résumé pourrait être celui d’une romance tout ce qu’il y a de plus classique et cela ne serait déjà pas si mal mais comme toujours avec Daphne, les choses sont un tantinet plus compliquées. Elle réussit le pari de nous servir l’histoire la plus romanesque du monde – oui, oui, la mondaine rebelle et le pirate, bien évidemment dans une grande propriété de Cornouailles – Manderley forever, sans jamais tomber dans la facilité ni la guimauve mais avec une bonne dose de méditation sur la vie, la nature, le mariage, la maturité, le renoncement, l’amour bien sûr, le tout sans que l’on s’ennuie une seconde dans une histoire menée tambour battant. Moins étrange que Rebecca, moins ambigu que Ma Cousine Rachel, plus solaire que L’Auberge de la Jamaïque, la Crique du français est un roman faussement léger mais réellement entrainant, qui nous laisse le sourire aux lèvres mais teintée d’un brin de nostalgie pour nos rêves d’enfant pleins d’aventures et de pirates. Lumineux

La crique du français – Daphne du Maurier – 1941

moisanglaisPS : Oui, oui je suis toujours aussi fan de Daphne, qu’on se le dise

De la même auteure également dans ces pages Le Général du Roi, Les Souffleurs de verre

 

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Immortel

bm_CVT_Immortel_8057L’immortel c’est Kochtcheï, le tsar de la vie. Démon primordial, inaccessible à la mort mais ni à la souffrance ni à l’abandon que tout amour engendre. Surtout pour un être qui siècle après siècle s’éprend d’innombrables Ielena qui lui sont ravies par autant d’Ivan lourdauds mais humains, ce qu’il ne saurait être. Mais cette fois, c’est de Maria Morevna qu’il s’agit. Cadette de trois sœurs ravies par des oiseaux, voyante et guerrière dans l’âme au destin de velours et de sang, fille de douze mères et protégée de Baba Yaga elle-même alors qu’alentours les mondes tant réel que magique s’embrasent de révolutions et de guerres, se télescopant, se mêlant sans que l’immortel lui-même ne puisse rien y faire à moins bien sûr qu’il ne sache déjà tout de l’avenir…

Alors que la réécriture des contes est devenue un motif récurrent des littératures de l’imaginaire – formant entre autre le courant mythpunk donc dans la lignée de Neil Gailman (j’aime bien citer Neil mybad), Catheryne Valente réussit un roman totalement atypique en entrechoquant le merveilleux russe tissé de contes et de légendes et une révolution qui bouleversa tous les codes. Et de voir les domovoïs, ces lutins du foyer, former des comités pour décider de dénoncer tel ou tel au soviet du coin pour pensées contre-révolutionnaires ou le tsar de la mort danser sur les frontières poreuses séparant la réalité crue de la magie… Dans une langue somptueuse, poétique, charnelle même, l’auteur réinvente les mythes sans jamais les trahir, les entrelace, en colorie les motifs de gris cendre et de rouge profond, en secoue les personnages et, la dernière page tournée, laisse le lecteur orphelin de sensations dans son quotidien soudain incolore. Un roman riche et dense, très russe tant dans la narration que dans l’imaginaire, qui se mérite sans doute mais récompense son lecteur. Féérique !

Immortel – Catheryne Valente – Panini books collection Eclipse – 2014 – traduit excellemment de l’anglais par Laurent Philibert-Caillat

PS : Catheryne Valente, multi récompensée outre atlantique – et cette année aux Imaginales, mérite vraiment d’être plus traduite en français…

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