Dans une petite ville hongroise, à l’orée du XXe siècle, un très respectable professeur de latin d’une cinquantaine d’années mène une vie immuable et rangée centrée sur son métier et ses élèves qu’il aime à conduire sur le chemin de la connaissance. Perturbé depuis peu par une fatigue qu’il ne s’explique pas, il décide de prendre quelques vacances dans une obscure ville d’eau et pour tromper son ennui se met à écrire son journal. Au départ lieu d’anecdotes minuscules, d’inquiétudes pondérées sur sa santé et de réflexions morales celui-ci va devenir le témoin – l’acteur peut-être – d’une fêlure aussi inattendue que dévastatrice dans cette vie sans relief, une nouveauté qui va le conduire aux portes de la folie…
Lire Sándor Márai était sur ma liste depuis des lustres mais c’est une liste sans fin ni fond et on ne peut guère s’y fier. Quoiqu’il en soit, alors que j’étais en vacances sur une île (j’aime les îles, il y a la mer autour), j’ai trouvé ce roman sur une étagère et me suis dit que c’était tout justement un signe de dame littérature et bien m’en a prit. Le premier amour est un roman cruel et prenant, admirablement écrit et construit qui nous entraine par petites touches dans les méandres d’un esprit rationnel rongée par le doute sur l’utilité d’un métier qui tenait lieu de vie, par la solitude qui se voudrait voulue mais apparait soudain subie, par la vieillesse qui vient et se voit dans le regard des autres que l’on croyait pourtant sans conséquence, par la vie enfin qui glisse entre les doigts comme du sable trop fin. Dans ce premier roman écrit alors qu’il n’avait pas trente ans, Sándor Márai a su saisir les frustrations d’une âme vieillissante avec une acuité qui fait froid dans le dos. J’ai pensé à Zweig bien sûr et Schnitzler, il y a quelque chose dans cette écriture limpide qui parle de cette bourgeoisie austro-hongroise qui vénérait la raison, la culture et l’humanisme tout en croquant avec férocité les travers d’une humanité souffrante toujours en quête et toujours en peine de maitriser ses pulsions. Raffiné !
Le premier amour – Sándor Márai – 1928 – Traduit du hongrois par Catherine Fay