Même les étoiles s’éloignent, abandonnant à son sort une terre de plus en plus exsangue et toujours en plein déni. Dans un monde désormais entièrement globalisé ou les identités et les cultures se sont fondues et lissées dans le grand magma virtuel de l’internet et du prêt-à-penser, ceux qui le peuvent encore ferment les yeux et font comme si on pouvait vivre comme avant, comme si le climat ne se déréglait pas, comme si le papier était l’ennemi, comme si des hordes de gueux ne hantaient pas les rues des villes désertées, privés de tout et d’abord de droits, comme si la maladie noire ne ravageait pas ces pauvres encombrants, comme si l’armée ne les achevait pas à la mitrailleuse, comme si les étoiles n’étaient pas toujours plus loin, comme si dans les banlieues on pouvait vivre comme on avait toujours vécu, à l’abri et au chaud. Mais au cœur de Montréal, dans ses rues lézardées, entre ses bâtiments écroulés ou barricadés, la hordes des sans castes a peut-être encore de la ressource, il suffirait d’une occasion peut-être, de la visite du trop célèbre Oscar de Profundis* – universellement adoré ou haï, rockstar décadent, mécène érudit, excentrique notoire qui aime à se loger dans les villes plutôt que les banlieues, oui une bonne occasion peut-être…
L’écriture puissante de Catherine Mavrikakis sert à merveille son vrai personnage, le seul qui compte vraiment dans un roman peuplé de fantômes, Montréal elle-même, à la fois lépreuse et effervescente, ravagée et vivace, recelant dans ses entrailles corrompues une vie qui ne veut pas s’éteindre en silence comme on le lui demande. Le surnom aigre-doux qu’Oscar attribue à la rue Sherbrooke où il loge donne le ton : Sunset boulevard, boulevard du crépuscule, d’un passé révolu, de perspectives vaines, d’espoirs sans objet. Ce roman est un étrange fourmillement de références – littéraires le plus souvent, mais aussi cinématographiques, musicales ou philosophiques qui épinglent notre présent à chaque coin de rue, climat détraqué, pauvreté galopante, aveuglement obstiné, environnement négligé, humanité brocardée, futur barré. L’histoire passe au second plan, les humains aussi, créant une distance qui nous fait spectateur fataliste d’une apocalypse rampante, aussi fataliste que ces gueux avides de mourir en faisant la fête une dernière fois, ou qu’Oscar désirant plus que tout être le spectateur de sa propre mort – et de la mort du monde, et sans doute est-ce la même chose. No futur !
Oscar de Profundis – Catherine Mavrikakis – 2016 – Héliotrope (Québec) – Sabine Wespieser (France)
*nom de scène choisi en l’honneur à la fois de la célèbre lettre d’Oscar Wilde à Lord Alfred Douglas écrite dans la prison de Reading et du De Profundis Clamavi de Baudelaire tatoué dans son dos et qui résume à lui seul tout le roman.
J’implore ta pitié, Toi, l’unique que j’aime,
Du fond du gouffre obscur où mon cœur est tombé.
C’est un univers morne à l’horizon plombé,
Où nagent dans la nuit l’horreur et le blasphème ;
Un soleil sans chaleur plane au-dessus six mois,
Et les six autres mois la nuit couvre la terre ;
C’est un pays plus nu que la terre polaire
– Ni bêtes, ni ruisseaux, ni verdure, ni bois !
Or il n’est pas d’horreur au monde qui surpasse
La froide cruauté de ce soleil de glace
Et cette immense nuit semblable au vieux Chaos ;
Je jalouse le sort des plus vils animaux
Qui peuvent se plonger dans un sommeil stupide,
Tant l’écheveau du temps lentement se dévide !
Aujourd’hui c’était la LC Catherine Mavrikakis, l’avis de Lou sur Oscar, de Blue sur Le ciel de Bay city, d’autres à venir peut-être 🙂