L’Amour et l’Oubli

https://ecx.images-amazon.com/images/I/417QgzDcGzL._SX210_.jpgAu crépuscule de sa vie, alors qu’il vient de perdre celle qu’il pense être son dernier amour et qu’une guerre se déclenche en Irak, Chris Minaar, un écrivain sud-africain se plonge dans les souvenirs d’une vie. Explorant sa profonde amour pour son pays – l’Afrique du sud, il égraine les épisodes d’une vie profondément engagée au travers de ses aventures féminines, légères ou profondes, durables ou évanescentes jusqu’à les faire toute coïncider dans cette dernière passion et ce dernier échec, rattrapé par la mort et la guerre…

C’est une façon bien étrange d’explorer presque un siècle d’histoire de l’Afrique du sud en s’en tenant au prisme des passions d’un Don Juan… et pourtant assez étrangement cela fonctionne. Il semble clair qu’André Brink a mis beaucoup de lui-même dans cet écrivain fictif et je pense vraiment qu’il voulait en faire une ode autant à l’indépendance des femmes qu’aux luttes pour la liberté, contre l’apartheid et toutes les formes d’oppression qui ont guidé sa vie. Toutefois – question d’époque peut-être – je me suis parfois demandée s’il échappait entièrement aux poncifs sexistes qu’il dénonçait ? Cela étant dit, ce roman nous accroche bel et bien, nous montrant littéralement ce que fut ce siècle dans un pays que l’on connait bien mal. De son enfance corsetée par un père rigoriste, afrikaner militant, à sa découverte des inégalités de traitement, de la violence omniprésente, à ses voyages, son exil, son propre militantisme à mille lieu de celui de son père, ses emprisonnements. C’est tout un siècle qui prend vie sous nos yeux. Si la construction du roman, où chaque chapitre pourrait porter un prénom féminin, est étonnante, l’écriture d’André Brink, l’un des plus grand écrivain du XXe siècle, est sans conteste une merveille qui nous accroche au premier chapitre et nous laisse à regret à la dernière page. Étonnant !

L’amour et l’oubli – André Brink – traduit de l’anglais (Afrique du sud) par Bernard Turle – Acte sud – 2009

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Dieu, le temps, les hommes et les anges

“Antan est l’endroit situé au milieu de l’univers”. À ses quatre points cardinaux se tapissent les péchés du monde et veillent les archanges. À Antan on trouve aussi deux rivières, peut-être trois, une colline, des champs, une forêt, un moulin, des humains, des animaux, un moulin à café et quelques anges gardiens… un village polonais bien tranquille, perdu dans une campagne du bout du monde au carrefour de plusieurs pays qui paraissent si lointains mais débordent parfois. À moins qu’il ne s’agisse de tous les villages ayant jamais existé de part le monde. De 1914 à la fin du XXe siècle, le temps passe sur Antan, le temps des gens, le temps des bêtes, le temps des guerres, le temps de naitre, le temps de vivre, de souffrir, de vieillir, de jouer peut-être, de mourir un jour….

Quand j’aime trop un roman, souvent je n’ose pas en écrire car c’est une chose bien difficile de rendre justice  à un chef d’oeuvre et ceci en est un. Alors je ne dirai pas grand chose sinon que ce roman-conte, composé de multiples temps suspendus comme autant de touches tissant la fresque du monde, est une merveille d’originalité, de fantaisie, d’émotion, d’écriture, de subtilité… tout y est, absolument tout : l’univers, la vie, l’absurde, l’amour, la mort en quelques pages d’une fraicheur absolue, d’une poésie poignante, belles et tristes comme la vie. à couper le souffle !

Dieu, le temps, les hommes et les anges – Olga Tokarczuk – 1996 – traduit du polonais par Christophe Glogowski – Robert Laffont – 1998

De la même autrice dans ces pages, Sur les ossements des morts que j’avais beaucoup aimé.

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Bénie soit Sixtine

Sixtine est l’archétype de la bru* idéale pour Madame Sue de la Garde. Famille catholique traditionaliste, éducation stricte, coiffure sage, jupe aux genoux, yeux baissés. La panoplie complète de la future bonne épouse, propre à enfanter de nombreux héritiers – dans la douleur comme il se doit – en gardant son humeur égale et son intérieur propre. Sixtine est sans doute moins persuadée d’être parfaite dans le rôle mais bien décidée à faire de son mieux pour atteindre l’idéal de femme du croisé** moderne, mère de nombreux futurs petits croisés car la France éternelle, celle qu’on lui a toujours racontée, réclame instamment d’être défendue, par les armes quand nécessaire, contre toutes les menaces qui l’assiègent, de l’homosexualité aux catholiques tièdes en passant par les étrangers, les mal peignés et toute la chienlit qui les accompagne. Tout cela est bien beau sur papier glacé mais peu à peu, isolée dans un mariage où elle ne se sent jamais à la hauteur, dans une famille ou le strict traditionalisme de ses parents passe pour laxiste***, Sixtine s’interroge. Sur la violence – vraiment aimée de Dieu ? Les diktats – Porter son bébé naissant lui donnerait-il vraiment de mauvaises habitudes ? les solutions toutes faites – devrait-elle vraiment renoncer aux soulagement de la médecine et s’en remettre à Dieu**** ? Oui. Non. Comment savoir ? jusqu’à ce qu’une conjonction d’événements la pousse à la fuite…

J’ai eu du mal à entrer dans ce livre, je l’ai lu en commençant par la fin avant de reprendre tout dans l’ordre. C’est que les carcans familiaux et sociétaux intégristes d’où qu’ils viennent me terrifient par leur inhumanités délétères et bien pensantes. Les gens qui “savent” au delà de toute miette de doute m’épouvantent par leur insensibilité et leur capacité au mal. Oui au mal, devrais-je lui mettre un grand M, le mal ou l’absence d’humanité, d’empathie, de bienveillance, de tolérance… Pour autant Bénie soit Sixtine, n’a rien d’angélique ou de manichéen, Sixtine ne se transforme pas d’un coup en libre penseuse délurée, pas plus qu’elle ne renie sa foi – lumineuse, pas plus qu’elle n’est sûre d’être dans le vrai en fuyant ce qui a été sa vie. Elle s’interroge et c’est bien cela qui la rend attachante. On ne se défait pas en un geste de toute une éducation mais le propre de l’humain qui grandit est de la questionner. Et justement les questionnements de Sixtine, pour philosophiques qu’ils soient, lui apporteront des éclairages étonnamment concrets. Un très beau roman, à l’écriture fluide et à la construction astucieuse qui explore autant l’émancipation que la transmission. Prenant !

Bénie soit Sixtine – Maylis Adhémar – 2020 – Julliard

*Quand j’écris Bru j’ai dans l’oreille la voix de Noémie Schmidt dans “l’étudiante et monsieur Henri” : “Bru, mais personne dit ça, c’est trop moche !!!” (sic je cite de mémoire) j’avais cru entendre mes filles et effectivement le mot se perd peut-être mais c’est précisément celui qui convient ici.

**comme dans croisade oui oui oui

***j’aimerais penser que cette peinture des milieux catholiques intégristes est caricaturale mais j’ai vu des gens basculer ; enfin une famille, pas particulièrement proche mais j’ai vécu l’effacement progressif des possibilités de discussion et ça faisait mal ; et l’autrice raconte qu’elle n’a fait que décrire son propre milieu familiale.

****la façon dont sa famille lui interdit tout accès au moindre soulagement du paracétamol à l’épidurale au nom du respect de la nature créée par Dieu fait froid dans le dos. à vrai dire tout fait froid dans le dos, y compris ces références permanentes et peut-être inconscientes aux trois K – Kinder, Küche, Kirche – du national-socialisme triomphant. brrrrr !

 

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Les Années

“Ce ne sera pas une explication de soi.
Elle ne regardera en elle-même
que pour y retrouver le monde.”

Toutes les images disparaîtront

En effeuillant les images, tantôt sépia tantôt  couleur, de l’album d’une vie, les souvenirs remontent à la surface, moins les souvenirs de soi que les images du monde ayant laissé une trace dans la mémoire : image fugace, publicité, mots entendus, repas de famille. À travers 60 ans de vie, Annie Ernaud nous tend un étrange miroir ou se reflètent le monde tel que nous l’avons vécu, perçu ou peut être hérité. L’écriture distanciée de l’autrice – cette fameuse écriture blanche tant célébrée, tant décriée – nous permet étrangement de nous immerger dans ces souvenirs qui sont peut-être les siens ou ceux du monde ou même les nôtres et ressuscite paradoxalement les émotions qu’elle se garde de porter. Une étrange mélodie mémorielle, poignante, insistante, qui vous reste longtemps en tête, qui vous pousse à réfléchir, à vous souvenir…

Les Années est le premier ouvrage de Annie Ernaud que je lis. Mais pourquoi donc alors que je lis quasiment n’importe quoi depuis toujours – étant comme chacun sait une lectrice compulsive, boulimique et d’autres lieux ? Parce que jusqu’ici j’étais vaguement persuadée que cette autrice faisait dans l’autofiction, genre égotiste, nombriliste et sans grand intérêt. Et puis le jury Nobel l’a choisie et puis les hordes se sont déchaînées et comme parfois* ce sont les détracteurs autant que les laudateurs qui m’ont donné envie car dire du mal met étrangement en lumière l’essence des écrits. Ainsi donc tout à coup, la question se posait autrement mais comme étais-je passé à côté pendant tant d’années alors que ce dont elle parle – et semble-t-il inlassablement – est typiquement ce qui me touche et me fait réfléchir ? Comment et pourquoi ? Et bien disons que – comme dirait un personnage de film**, l’intox avait été bien menée. Car égotiste, on est très loin du compte. En explorant l’expérience vécue, la sienne en l’espèce, c’est le monde que Annie Ernaud ausculte, consulte, restitue. Le monde d’après guerre d’une transclasse qui après avoir eu honte de ses origines n’a cessé de rendre la parole à ceux qui l’ont eu si peu. Un trajet qui me parle, me renvoie à ma famille, des images, des odeurs, des sensations héritées en partie car il y a une génération entre moi et l’autrice mais néanmoins tout une vie d’images qui remontent en boucle en prenant une autre épaisseur, en ouvrant d’autres significations, de nouveaux champs de méditations. Magistral !

Les Années – Annie Ernaud – 2010 – Gallimard

*C’est aussi comme cela – à cause d’une critique bas de plafond – que j’avais lu King kong theorie et, par là même, Virginie Despentes pour la première fois. Je n’avais pas regretté non plus !

**Breakfast club, vous aviez trouvé ?

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Quartier rouge, Nuit bleue, Béton rouge

La pizzeria préférée du commissaire Calabretta n’est pas un restaurant traditionnel, mais un lieu de rencontre hyper cool pour hommes à barbe. À l’intérieur, des bancs et tables massifs en bois ; à l’extérieur, pareil, mais légers. La pizza est préparée dans une cuisine ouverte ; les pizzaïolos, qui blaguent sans arrêt devant les fours, sont de jeunes garçons et filles grands et minces. Ils ne portent pas tous des dreadlocks ; par contre, les tatouages semblent être obligatoires. Jeans noirs et T-shirts blancs – tout est enfariné. L’ensemble est magnifiquement simplissime, tout en étant une sorte de Starbucks anarchiste ; c’est un peu agaçant, car on est obligé de composer sa pizza soi-même en répondant à un tas de questions.
« De la farine normale ou sans gluten ?
– Normale.
– Sauce tomate ou bianca ?
– Tomate.
– Mozzarella ou fromage vegan ?
– Mozzarella, s’il te plaît.
– Quelle garniture ?
– Des câpres.
– Que des câpres ?
– Que des câpres.
– Ça roule, Charity, tu as le numéro dix-sept. Next ! »
Si leur pizza n’était pas aussi fantastique, je leur flanquerais une gifle, mais avant, chacun devrait m’expliquer en détail comment il la veut. (Béton rouge 2017)

Dans un Hambourg gris et pluvieux, la procureure Chastity Riley, mère allemande, père américain d’où ses deux noms atypiques, enquête pour oublier l’absurdité du monde. Toujours vacillante mais sauvée par la proximité du premier bar louche venu, elle associe une totale incompréhension des convenances sociales – heureusement elle vit dans le quartier rouge peu susceptible d’être ne serait ce que légèrement embourgeoisé* – à une perspicacité teintée d’empathie plus handicapante qu’autre chose. À ce cocktail, s’ajoute une ténacité certaine et une totale marginalité, ce qui se révèle étonnamment efficace dans ses enquêtes, qu’elles la conduisent à une série de meurtres du quartier chaud, à un trafic de drogue avec pignon sur rue ou à des crimes – vengeance personnelle, sociétale, autre ? – au spectaculaire revendiqué**…

Comment suis-je tombée sur ces romans, mais tout simplement dans une table ronde de Toulouse polar du sud animé par Jean-Marc Lahérèrre sur le thème du paysage dans les polars (thème fascinant quoique finalement à peine effleuré mais qu’importe). Il y avait là une autrice à l’humour décapant et au charme décoiffé qui m’a immédiatement donné envie d’aller boire une bière avec elle. Il n’en fallait pas plus sinon le temps de trouver ses trois romans – les seuls publiés en français qui sont si je comprends bien, le premier, le sixième et le septième d’une série. Les voix de l’édition sont impénétrables***. Chastity Riley – comme son autrice je pense – est de ces femmes qui aiment les villes pour ce qu’elles ont de délabré, d’inconfortable, d’insupportablement humain et grouillant, pour le brouillard, les grues, la pluie, le pavé gras et le verre cassé.  Elle arpente Hambourg de bars en troquets, son port immense et embrumé, son quartier rouge ou hurle la misère du monde, ses rues sombres ou lumineuses, bottes aux pieds, gueule de bois en arrière plan et cerveau inlassablement en surchauffe. J’aime les polars dont l’écriture me touche, m’écorche, me parle enfin et ici c’est bien le cas. Hautement recommandable !

Simone Buchholz :
Quartier rouge, (Revolverherz 2009) Piranha 2015 – traduit de l’allemand par Joel Falcoz.
Nuit bleue, (Blaue nacht, 2016), L’Atalante-Fusion 2021 – traduit de l’allemand par Claudine Layre.
Béton rouge, (Beton rouge, 2017), L’Atalante-Fusion 2022 – traduit de l’allemand par Claudine Layre.

*oui je sais pour le jeu de mot moisi mais comment résister à une hambourgeoise qui dit dans Béton rouge :”« Selon moi, c’est le fait même qu’il existe un chef et qu’il puisse décider du destin d’autrui qui est incroyable, mais personne ne me demande mon avis. » et comme je suis d’accord !
**Les trois pitchs dans l’ordre des trois romans – je suis disciplinée si si si.
***Malheur à moi, mon allemand me permet de commander une bière ou de me prendre pour un papillon (Ich bin ein schmetterling avec beaucoup de i) mais non de lire un roman et c’est bien dommage…

 

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Québec en novembre – top départ, récap et clap de fin

Et voilà les ami.e.s, clap de fin sur Québec en novembre. Merci d’avoir participé à ce beau défi, merci d’avoir partagé vos découvertes avec nous, merci enfin à celles qui nous ont dit avoir découvert la littérature québécoise grâce à ce mois thématique qui anime nos automnes depuis dix ans, cela fait chaud au coeur. Bref merci encore et bien sûr on continue à lire et à partager car lire québécois c’est pas qu’en novembre. Le groupe facebook reste ouvert à tous les partages et toutes les conversations, les blogs sont toujours là (plus ou moins régulièrement mais enfin j’esssaie, je promets, j’essaie) et je vous souhaite de belles lectures et beaucoup de douceur.

***

C’est parti les ami.e.s, le top départ est donné en ce beau jour de la Toussaint (plutôt lumineux d’ailleurs dans mon sud) ! Dans ce billet, je mettrai à jour un récapitulatif des billets ; si vous les mettez en commentaires, ce sera plus facile… N’hésitez pas à me rappeler à l’ordre si je vous oublie surtout…

Et hop que la lecture soit !

1er novembre

La présentation vidéo de la divine Karine

Hélène Lecturissime – Aller aux fraises – Eric Plamondon

Claire – La recette québécoise : la tarte au sucre

Argali – Man – Kim Thuy

2 novembre

eimelle : Six minutes – Chrystine Brouillet

yueyin : Le murmure des hakapiks – Roxanne Bouchard

3 novembre

Claire aproposdelivres : Chroniques de jeunesse – Guy Delisle

4 novembre

Enna lit : Chronique de jeunesse – Guy Delisle

7 novembre

Eimelle : oeufs mollet à la vinaigrette et au sirop d’érable

8 novembre

Inganmic : le Lièvre d’amérique – Mireille Gagné

Kathel : Indice des feux – Antoine Desjardins

Hélène lecturissime : Pas même le bruit d’un fleuve – hélène Dorion

Karine 🙂 : Le murmures des hakapiks – Roxanne Bouchard

Anne : Blanc dehors – Martine Delvaux

9 novembre

Eimelle : Une illusion d’optique – Louise Penny

Argali : Une mort honorable – Jacques Savoie

10 novembre

Eimelle : Le magasin général tome 8 – les femmes – Loisel et Tripp

Claire aproposdelivre – Lac megantic, la dernière nuit – Rousseau, Lacas et Roy

yueyin : Contrecoup – Marie Laberge

Madame lit : Les grands espaces – Annie Perreault

12 novembre

Inganmic : Querelle (de Roberval) – Kevin Lambert

Karine : Chaque heure de danse – Mireille Veronneau

13 novembre

yueyin : Pour toi Nina – Claire Pontbriand

Claire àproposdelivre : Ghetto X – Martin Michaux

14 novembre

Ennalit : L’affaire Madame Paul – Lucie Doucet

Ennalit : quelques séries netflix pour Québec en novembre

Hélène Lecturissime : Chasse à l’homme – Sophie Letourneau

15 novembre

Ingannmic : Maikan (le vent en parle encore) – Michel Jean

Eimelle : Le beau mystère – Louise Penny

yueyin : Aller aux fraises – Eric Plamondon

Luocine : Victoire – Michel Tremblay

Karine : Wapke – 15 auteurs autochtones – dirigé par Michel Jean

17 novembre

Claire àproposdelivres : Kukum – Michel Jean

yueyin : Tous les diables sont ici – Louise Penny

Eimelle : Le magasin général – tome 9 – Notre dame des lacs – Tripp et Loisel

Pativore : La fugue -Pascal Blanchet

19 novembre

Eimelle : La faille en toute chose – Louise Penny

Inganmic : L’orangeraie – Larry Tremblay

20 novembre

Ennalit : J’irai danse si je veux (autopsie d’une femme plate) – Marie-Renée Lavoie

21 novembre

Eimelle : Café latte érable cannelle

yueyin : Le Lièvre d’Amérique – Mireille Gagné

Argali : Radiale – Valérie Forgues

22 novembre

Ennalit : Le jeu de la musique – Stéphanie Clermont

Sylire : Anne la maison aux pignons verts – Lucy Maud Montgomery

Karine : You – Chantal Neveu

Anne : Mãn – Kim Thuy

Keisha : Au coeur du Yamato – Aki Shimazaki

23 novembre

Hélène Lecturissime : Vi – Kim Thuy

Eimelle : Aline – Valérie Lemercier

24 novembre

Eimelle : Jane, le renard et moi – Fanny Britt et Isabelle Arsenault

25 novembre

Yueyin : Fille de fer – Isabelle Grégoire

29 novembre

Eimelle : La nature de la bête – Louise Penny

Aifelle : Les Ombres filantes – Christian Guay-Poliquin

Hélène : Les villes de papier – Dominique Fortier

30 novembre

Inganmic : La bête à sa mère – Davis Goudreault

Yueyin : Tiohtià:ke – Michel Jean

1 décembre

Eimelle : Betty Boob – Cazeau et Rocheleau

 

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Tiohtiá:ke

Élie vient de passer dix ans en prison pour meurtre. Pour la société québécoise, il a payé sa “dette”, mais la communauté innue de Natashkuan, la seule chose qu’il ait jamais connue, l’a définitivement banni. À 28 ans, sans repères ni attaches, il monte dans un bus pour Montréal et échoue comme tant d’autres dans les interstices de la métropole. Il découvre alors le parc Cabot qui rassemble chaque soir – par la grâce de la roulotte nourricière de Jimmy Lakota – une petite foule d’autochtones, innus, atikamekws, wendats, inuits, qui se retrouvent pour un peu de compagnie et de nourriture avant de replonger dans l’invisibilité de la rue. Une nouvelle communauté ? Peut-être. Et peut-être aussi, pour certains, une lueur d’espoir…

Encore un roman aussi touchant que troublant de Michel Jean tournant autour de ce que signifie être autochtone aujourd’hui au Québec. Ici il l’aborde par le biais de l’itinérance* – les SDF dirait-on on en France, les gens de la rue donc… ceux qu’on ne voit pas**, qu’on ignore même avec une application aussi constante qu’inconsciente. Mais derrière chaque invisible, il y a une histoire, parfois floue, parfois banale, parfois trop brutale pour être même abordée. Une histoire toujours humaine cependant et qui n’interdit pas forcément toute espérance. Et le lecteur s’attache facilement à ces personnages cabossés, à Marie, Caya, Géronimo, d’autres encore… et à Élie qui se méfie tant de lui-même mais se soucie toujours des autres.

Comme toujours le style est limpide, avec cette délicatesse qui permet d’envisager les pires horreurs sans voyeurisme. On y retrouve quelques personnages du Vent en parle encore*** – car le souvenir des pensionnats autochtones est toujours bien présent dans les histoires individuelles et ces femmes itinérantes se voient bien souvent ôter la garde de leurs enfants comme un écho dérisoire et tragique à d’anciennes tragédies. On y effleure aussi certains sujets d’actualités notamment les disparitions et meurtres de femmes autochtones**** mais aussi le racisme ordinaire et l’espoir de voir les choses changer. Tout au plus dirais-je que la fin frôle un peu l’angélisme, ôtant un rien de puissance à l’ensemble mais après tout, on a parfois besoin de fins heureuses. Poignant !

Tiohtiá:ke – Michel Jean – Libre expression – 2021

PS : Où je m’aperçoit que je n’ai pas parlé de ce nom – Tiohtia:ke – qui désigne l’île de Montréal en Mohawk (oui Montréal est une île sur le Saint-Laurent pour ceux qui n’ont pas la carte dans l’œil ni eu à pester contre le passage des ponts aux heures de pointes) mais je vais laisser la parole à Michel Jean:
L’île (de Montréal) a bien changé depuis Jacques Cartier. Vingt-trois ponts et un tunnel permettent d’y accéder, et des centaines d’avions traversent son ciel chaque jour.
Cependant, certaines choses demeurent. Le fleuve, imperturbable, coule des Grands Lacs vers le golfe. La montagne, qui avait impressionné Cartier, domine encore le paysage. Et des Autochtones habitent toujours à ses pieds.
Les Iroquoiens du Saint-Laurent qu’a rencontrés Cartier ont disparu. Jusqu’à la fin du xvie siècle, ils occupaient un territoire longeant le fleuve au Québec et en Ontario, et une partie de l’État de New York. Quand Champlain est venu soixante-quinze ans plus tard, ils n’étaient plus là. C’est ce qui fait dire à certains historiens que lorsque Maisonneuve a fondé Montréal en 1642, ce n’était plus un territoire autochtone, puisqu’il n’était pas occupé par eux.
Pour les membres des Premières Nations, cette question paraît futile. Ils ont toujours visité ou habité l’île qu’ils nomment Tiohtiá:ke, comme les Mohawks, installés sur la rive sud du fleuve, la désignent dans leur langue maintenant.

*itinérant : en France clochard ou plus récemment SDF (ce qui ne me semble pas exactement synonyme d’ailleurs mais bon, cela permet d’occulter les tragédies qui mettent des familles entières sur le trottoir).

**dans la grande tradition du Neverwhere de Neil Gailman ou les pauvres et les sans logis s’évanouissent dans les ombres de la rue

***Roman, que je ne saurais trop vous conseiller, sur l’abomination que furent les pensionnats autochtones… On retrouve aussi Jean-Nicholas Legendre le héros de Tsunami (et d’un autre roman plus ancien, je pense, que je n’ai pas lu car pas trouvé)

****Citons ce bon vieux wiki pour se faire une première idée chiffrée : “Les femmes autochtones au Canada, qui forment 4% de la population féminine du pays, représentent 24% des victimes d’homicides (en 2019)7. Elles ont un risque d’être tuées 12 fois plus élevé que les autres femmes au Canada”

De Michel Jean dans ces pages, le sublime Kukum et le magnifique Atuk, Elle et nous, et dans un autre registre mais tout aussi recommandable Tsunami et la Belle Mélancolie – My bad je n’ai pas chroniqué le Vent en parle encore (mais Karine si), en même temps j’avais eu beaucoup de mal à écrire sur Atuk, trop intimement remuée par cette histoire, trop effrayée à l’idée de ne pas lui rendre justice.

Et voilà c’était mon dernier billet de lecture du dernier Québec en novembre organisé par La divine Karine et moi-même pendant dix ans de bons et livresques services. Ce fut un plaisir… Et n’oubliez pas : lire québécois c’est pas qu’en novembre !

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Fille de fer

Marie conduit, ou plutôt chauffe, un train minier dans le nord québécois entre Sept-Îles et Shefferville. Si loin au nord, les distances ne sont pas comme ailleurs et s’étirent sur de longues heures. Seule femme conductrice et plus ou moins acceptée par ses pairs, Marie aime se retrouver seule dans la nuit aux commandes de son monstre de fer – 240 wagons de boulettes de minerai. Une nuit de tempête, elle se blesse en inspectant son convoi après un arrêt d’urgence. Secourue par un homme étrange, elle est retenue dans un manoir tout à fait improbable au beau milieu de nulle part…

L’année dernière j’avais lu Sault-au-Galant de la même autrice que j’avais trouvé plaisant (et je ne l’avais pas chroniqué, honte et rehonte sur moi). Mais Fille de fer est d’un tout autre calibre et ce tant du point de vue de l’écriture – beaucoup plus puissante, que de la narration – fort prenante. Quant à l’histoire, elle est des plus singulières et des plus fascinantes : Il y a l’image de ces monstres de fer fonçant dans la neige, pilotés par un unique et solitaire être humain ; il y a ce géant surgi de la tempête ; il y a ce manoir perdu dans la forêt, apparemment incartable et rempli de livres de toutes sortes (avouez que ça relève du fantasme pour la lectrice compulsive que je suis), il y a ce camp d’étape pour cheminots entre deux trains, presque aussi isolé et hors du monde que le manoir, et enfin il y a cet endroit – Shefferville – entre cité fantôme et survivante entêtée – Le tout sur fond de lutte écologique et autochtone… Même les imperfections de Marie m’ont plu, car elle sonne vrai cette femme, pas forcément sympathique (du moins à mon goût), pleine de contradictions mais cohérente avec elle-même. Dernière précision, au cas où mon texte vous induirait en erreur – ce qui n’est pas impossible, il s’agit bien d’une histoire parfaitement contemporaine et rationnelle. Une découverte. Puissant !

Fille de fer – Isabelle Grégoire – 2019 – Québec Amérique

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Le lièvre d’amérique

« Elle s’assoit devant son ordinateur et ouvre ses courriels. Déjà cent-vingt-huit non lus ; deux-cent-vingt-quatre notifications. Et ça la frappe en plein visage. L’humain pourra-t-il survivre à ça encore longtemps ? »

Diane a 15 ans, Diane a 30 ans ! Qu’est devenue l’adolescente sauvageonne qui arpentait l’ile-au-grues en tout sens. Est-ce bien la même femme que cette créature aliénée par le travail, isolée dans sa capsule d’efficacité, toujours en quête de plus : Plus d’ouvrage, plus de dossiers, plus de rendement, au point d’en avoir oublié son humanité, au point de vouloir s’en affranchir plus encore. Par une opération si nécessaire. Une opération qui la libérerait des contraintes d’un corps qui malgré tous ses efforts lui réclame – parfois  – un peu de repos. Quelle opération ? On ne le sait pas vraiment. Le sait-elle elle-même ? Mais les effets ne tardent pas à se faire sentir, certains attendus d’autres véritablement très inattendus…

Que voilà un roman tout à fait décoiffant, mi fable hypercontemporaine, mi légende du bois, mi pamphlet antilibéral teinté de féminisme. (Ce qui fait au moins trois demis et nous sommes encore loin du compte). Trois moments de la vie de Diane s’offrent à nous, doté chacun d’une écriture et d’un rythme propre, entrecoupés de textes documentaires – façon wikipedia – sur le lièvre d’Amérique – ce mammifère endémique de l’amérique du nord, considéré comme une proie de peu de valeur marchande ou culinaire mais amusante à chasser.  (j’imagine qu’il y a là une allusion plutôt transparente aux femmes).  Et le lecteur – ou la lectrice en l’occurrence, est happée, aspirée par cette narration labyrinthique, semblable en cela à l’esprit de cette femme égarée d’elle-même, perdue, aliénée au dernier degré – mais qui peut-être – peut-être – pourrait se retrouver s’en l’avoir voulu – du moins consciemment. Un roman court et prenant, à la construction positivement brillante qui se lâche bien difficilement tant on respire avec Diane tout au long de ces quelques pages mais qui nous laisse en pleine méditation sur l’état du monde. Singulier !

Le lièvre d’Amérique – Mireille Gagné – La Peuplade – 2020

L’avide de la très délicieuse et très pertinente Karine, et celui tout aussi pertinent d’Inganmic qui m’a rappelé que j’avais ce roman dans ma pal.

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Tous les diables sont ici

Hell is empty and all the devils are here*
Will** – the tempest

Tous les diables, vraiment ? À Paris ? Paris, où les Gamache sont en visite pour voir leurs enfants et petits enfants, assister à la naissance de leur nouvelle petite fille et, d’une façon générale, prendre du bon temps. Pourtant C’est ce que prétend le plus vieil ami de l’inspecteur chef (donnons lui ce grade, on se perd un peu dans ses promotions, et rétrogradations). Divagation d’un vieil homme ? Peu probable, d’autant que le vieil homme en question se fait renverser peu de temps après et de façon tout à fait intentionnelle selon les Gamache, témoins de la scène…

Malédiction quand tu nous tiens… Moi qui n’aime que les whodunnit, je ne tombe que sur des thrillers, c’est bien ma veine ! Bon avouons que celui-ci est bien ficelé, bien écrit et que les personnages, la famille Gamache au grand complet, sont toujours aussi attachants. Et malgré la précipitation des événements – inhérente au genre – il y a – quand même – une vraie enquête pour consoler mon petit cerveau tout mou (oui j’ai aussi un petit coeur tout mou mais cela n’a rien à voir). Comme souvent, depuis un certain temps, c’est à un complot de grande ampleur que nous avons affaire (enfin surtout les Gamache), l’autrice semble s’être découvert une passion pour les conspirations mais c’est bien vu, bien mené, presque crédible. Bien sûr le Paris qui est décrit ici est bien plus éloigné de moi – née native du XIVe arrondissement – que le Three Pines des Cantons de l’est ; Grand Tolkien je n’ai jamais rêvé entrer au Lutecia pour manger une glace***, quand au Georges V, je l’ai peut-être – peut-être – entrevu un jour ou j’essayais de m’échapper du VIIIe arrondissement  – pas le plus affriolant des quartiers si vous voulez mon avis. Pour autant, Louise Penny comme d’habitude soigne son cadre et fait passer toute son affection pour Paris, la ville lumière – sans doute en partie fantasmée mais n’est-ce pas le cas de toutes les villes de papier. Attachant !

Tous les diables sont ici – Louise Penny – traduit de l’anglais (canada) par Lori Saint-Martin et Paul Gagné – Flammarion Québec – 2020

Mes chroniques des aventures de l’inspecteur-chef Gamache
Les Aventures de l’inspecteur-chef Gamache   
 La nature de la bête
Le Long retour
La Faille en toute chose
Un outrage mortel

* je boude, je préfère la traduction de Guizot, “l’enfer est vide, tous les démons sont ici” (1864)
** William Shakespeare of course
*** Pour la peine, je vais y penser… ou un cocktail tiens, j’ai vu des photos, le bar est une œuvre d’art en soi.

Publié dans Québec en novembre, roman québécois | 20 commentaires